Constater avec sagesse

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

« Laisse-la observer cet usage en vue du jour de mon ensevelissement, nous dit Jésus. Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous… »

Cette parole-là n’est-elle pas déroutante à votre goût ?

Jésus, qu’on dit l’ami des pauvres et celui qu’on reconnaît dans le visage de ceux qui ont faim et soif, comment peut-il dire cela à Judas qui proposait de vendre un simple parfum pour ensuite distribuer l’argent aux indigents ? Ça trotte dans ma tête cette question-là et peut-être aussi la vôtre.

Pour certains qui œuvrent tous les jours pour répondre aux besoins des indigents, la réponse de Jésus à Judas Iscariote pourrait se faire sentir comme un coup de poing dans les côtes. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous… » En effet, c’est un dur constat pour ceux et celles qui aspirent à un monde tout autre… En tout cas, pour être honnête envers vous, moi, je prends le bord de Judas dans cette histoire, hein ! Jésus, sérieusement, que vaut pour toi un parfum alors que sa vente pourrait nourrir nombre de personnes dans le besoin ?

Je vous avoue que, sur le coup, sa réponse blesse mon altruisme. Et c’est sans compter que l’intervention de Jésus s’emboîte dans l’étonnant commentaire de Dame Sagesse quant aux réalités de notre monde. Le riche et l’indigent, nous dit-elle, ont tous deux été « faits » par Dieu. Et oui, des riches et des pauvres, on en a et on en aura toujours. C’est notre réalité et, dans la logique du Premier testament, ça fait partie du grand ordre des choses.

La tentation d’envoyer promener nos deux interlocuteurs peut être forte, mais détendons-nous un instant. Ne montant pas aux barricades avant d’avoir un peu réfléchi et fait la part des choses ! Si l’importance de traiter les pauvres avec dignité et d’être généreux dans le partage de nos ressources fait partie de l’éthique chrétienne et même des recommandations de Dame Sagesse, la remarque de Jésus à de quoi nous questionner. Se trouverait-il dans ses propos une sagesse insoupçonnée ? Réfléchissons-y un instant…

Par ce refus de vendre le parfum de Marie de Magdala et cette distance qu’il prend d’avec l’impératif des bonnes œuvres, Jésus semble entamer une réflexion par rapport aux intentions de Judas. Et je ne parle pas ici de ce jugement très sévère que pose l’auteur de l’Évangile, mais de quelque chose de plus profond et qui pourrait nous concerner plus qu’on pense.

Peut-être serait-il question ici d’une possible prétention à croire que les bonnes œuvres à elles seules peuvent accomplir des changements d’envergure quant à des problèmes fondamentaux. Certes, poser une bonne action peut soulager notre prochain. Ça fait partie de notre ADN moral de chrétiens. Toutefois – quand on y pense bien – une bonne œuvre, ça n’enlève pas certains problèmes inhérents à nos systèmes fêlés ainsi que les iniquités qui surgissent des craques de notre monde fracturé.

Tout comme Judas qui préférerait que le parfum à Marie de Magdala soit vendu afin d’offrir l’argent aux pauvres, nous aussi nous sommes parfois tentés de sauter sur les moyens rapides pour arriver à nos objectifs. Objectifs qui, cela dit, peuvent parfois être disproportionnés par rapport aux gestes qu’il nous est possible de poser.

Continuons avec le sujet de la pauvreté, voulez-vous bien ? Je vais vous donner un exemple de discours un peu stéréotypé et naïf, mais qui pourrait tout de même nous parler. On pourrait s’écrier – et on l’a sûrement déjà entendu sous d’autres mots : « S’il y a encore de la pauvreté au Québec, c’est qu’on brasse pas assez fort et que les riches ne donnent pas assez. Il faut augmenter les taxes pour les millionnaires et, avec des poches bien remplies de fric, on va pouvoir éliminer la pauvreté. »

Et à moi – en entendant Dame Sagesse et Jésus – d’être pessimiste et de répondre : c’est une solution instantanée et facile, mais qui n’aura peut-être pas autant de résultats qu’on le croit dans le grand ordre des choses. La pauvreté, c’est beaucoup plus qu’une histoire d’argent…

Malheureusement, en Église cette fois-ci, on est aussi tenté par la même approche pour répondre à nos problèmes.

Si vous avez lu l’infolettre de mardi, je me suis permis une petite phrase qui m’est restée en tête tout au long de la semaine. Humblement, je vais me citer moi-même quant aux angoisses qui peuvent nous secouer comme communauté. « C’est plus fort que nous, on dirait, de ramer pour avoir le dernier mot. Ce désir de décider, de choisir la destinée du monde est intimement lié à cette idée en nous qu’il puisse se trouver une chute à l’autre bout de la rivière. »

Nous ne sommes pas sans savoir que l’Église Unie du Canada recherche la croissance. Pour répondre à cet objectif tout de même légitime, ont est porté à créer toutes sortes de plans stratégiques avec des moyens pour revigorer notre nombre de participants dans les bancs et générer ces ressources si précieuses qui font la différence entre vivre… et mourir.

Il n’est peut-être pas question de lutte contre la pauvreté ici, mais, mais de moyens dont on a connu les limites au cours de notre histoire. Nos peurs, notre hâte à régler les choses une fois pour toutes risquent de nous voiler les yeux sur l’essentiel et de nous faire trébucher.

Ces deux exemples-là – la pauvreté et la croissance en Église – servent à démontrer cette tentation qui peut être la nôtre de tomber dans cette prétention de croire que nos œuvres peuvent régler tous nos problèmes. Des problèmes, cela dit, profondément enracinés dans notre monde et qui furent soulevés quelque part par Jésus et Dame Sagesse, et ce, à leur manière propre.

Des pauvres, nous en aurons toujours et le cœur du message de l’Évangile ne peut pas faire l’affaire de tout le monde. Ce n’est pas en vendant un parfum ou en faisant des acrobaties pour attirer des gens à l’Église qu’on peut enrayer la pauvreté ni guérir le cœur blessé de l’humanité. Pas surprenant, dans le deuxième cas, si la tradition chrétienne parle de la foi comme d’un don et non pas quelque chose qui s’obtient ni s’apprend !

Si ça peut nous sembler très pessimiste comme propos, rappelons-nous que nous avons bel et bien une influence sur notre entourage. Nous sommes libres de faire des choix qui ont des incidences tout autour de nous. C’est chose fort heureuse ! Toutefois, il ne faut pas oublier ce que nous sommes et dans quel monde nous vivons. Une éthique authentiquement chrétienne nous porte à prendre soin du malheureux, mais une sagesse à proprement dite biblique nous amène aussi à reconnaître notre relative impuissance et à nous confier en Dieu seul. C’est cette même sagesse-là qui nous fait passer de la prétention à la confiance, de l’impératif des œuvres à celui de l’espérance. Si la pauvreté disparaît un jour, si nos bancs d’église se remplissent de nouveau, ce ne sera pas tant à cause de nos œuvres, mais par la grâce de Dieu. Dieu qui nous visita à travers Jésus… qui s’est donné jusque dans la mort pour mieux sortir ensuite du tombeau.

Cet évènement-là dans l’histoire de la foi nous démontre qu’en Dieu l’horizon de l’avenir est grand ouvert, et ce, peu importe nos limites et les impossibles qui balisent le monde du possible. Ce n’est pas par nos œuvres que nous justifiés et promis à la « vie nouvelle », mais par l’amour et la fidélité d’un Dieu qui peut tout, incluant ce qui est pour nous dans le domaine de l’impossible.

C’est pour cette raison que l’Esprit nous invite aujourd’hui à ne pas nous décourager ou adopter une aptitude trop cavalière vis-à-vis de l’état de notre monde. Par l’exemple même de Jésus, nous sommes appelés à œuvrer non pas à travers le prisme de nos angoisses, mais à œuvrer dans le sillon de notre foi, notre confiance en Dieu qui se chargera du reste.

Que le Seigneur nous accompagne dans nos discernements et les œuvres que nous entamons. Des œuvres, cela dit, dont nous ne goûterons pas nécessairement aux fruits de notre vivant, mais qui valent tout de même la peine d’être mises en chantier avec confiance… et espérance.

Amen

LECTURES BIBLIQUES

Proverbes 22, 1-2, 7-9, 22-23

Jean 12, 1-8

Un commentaire

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *