Mariann Edgar Budde n’est pas la première à être menacée de mort à la suite d’une prédication (v.o.a.) invitant les leaders religieux et politiques de sa ville à repenser leur interprétation des Écritures ainsi que leur compréhension de l’accueil – de la faveur de Dieu (Luc 4, 19) dans d’autres traductions de la Bible. « Aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. » (Luc 4, 24) Avant elle, il y avait, entre autres, Jérémie et Jésus.
Le ministère de Jérémie s’étend sur plusieurs décennies à une époque tumultueuse pour le peuple de Dieu. Le roi Josias avait mis en place plusieurs réformes dont la centralisation du culte. Plusieurs croyaient que c’était suffisant pour que Judah demeure libre et prospère. Make Judah Great Again ! Mais après la mort de Josias, Jérémie et d’autres constatent l’effritement de la solidarité sociale, politique et religieuse et appellent le peuple à pousser les réformes encore plus loin. C’est dans ce contexte que Jérémie annonce que le seul moyen d’éviter le désastre est de revenir à Dieu, de cesser de chercher la sécurité dans des manigances politiques et d’accepter l’inévitable : l’exile à Babylone. Jérémie est accusé de trahison, jeté en prison (Jérémie 37,15-16) et ensuite dans une citerne (Jérémie 38, 1-13). « Partout où je t’envoie, tu y vas ; tout ce que je te commande, tu le dis ; n’aie peur de personne : je suis avec toi pour te libérer » a dit le Seigneur. Dieu n’a pas dit que la vie avec lui serait un long fleuve tranquille, que tous nos projets se réaliseraient ou que toutes nos prières seraient exaucées comme nous le souhaiterions. « La fin du livre de Jérémie annonce le retour de l’exil et la reconstruction du pays mais avant que de déracinements et de démolitions. »1
Environ 600 ans plus tard, grosso modo, à l’époque où l’empire romain dominait l’échiquier socio-politique, Jésus revient à Nazareth où il a grandi et on l’invite à lire et à commenter le livre d’Ésaïe. Il choisit un extrait qui évoque la libération promise de Dieu : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d’accueil par le Seigneur. » (Luc 4, 18-19). Jésus lit seulement deux versets d’Ésaïe 61. Ensuite il offre la prédication la plus courte de toute l’histoire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » Luc 4, 21).
Pas surprenant que ses propos suscitent des réactions intenses et contrastés. De l’étonnement à la colère : « Le messie, l’oint de l’Esprit de Dieu, au milieu de nous ici et maintenant ? Jésus évoque la délivrance mais il a coupé court. Ésaïe proclame un joyeux message pour le peuple humilié (Ésaïe 61, 1) mais il promet aussi la vengeance de notre Dieu (Ésaïe 61, 2). Selon la tradition, la délivrance sera accompagnée de la vengeance messianique. Ne faut-il pas que quelqu’un paye pour tout le tort qu’on a subi depuis si longtemps ? Mais c’est bien le fils de Joseph. On le connait celui-là. Le petit gars d’à côté… aucune expérience politique… venu nous délivrer ?! La Bonne Nouvelle qu’il annonce ne serait-elle plutôt Fake News… des faits alternatifs ? » Et Jésus ne s’arrête pas là. En évoquant les histoires de la veuve de Sarepta et de la guérison de Naaman, il va jusqu’à dire que ce n’est ni la nationalité, ni l’appartenance religieuse ou politique qui importe mais l’ouverture du cœur à la miséricorde de Dieu.
Imaginez la réaction des foules si Jésus arrivait à Québec de nos jours, qu’on lui invitait à lire et à commenter les Écritures dans l’une de nos Églises et qu’il terminait en disant : « Je vous ai donné un commandement : de vous aimer les uns, les unes les autres comme je vous ai aimés (Jean 13, 34). En vérité, je vous le dis, il y a des gens d’autres confessions religieuses comme des gens sans aucune religion qui gardent ce commandement mieux que certaines personnes qui se réclament de moi. » Il y en aurait sans doute qui seraient aussi enragés que les gens de Nazareth ou que les gens de partout qui menacent l’évêque Budde.
L’Esprit qui a animé de Jésus est un Esprit de miséricorde, d’accueil et d’amour pour toutes et tous, un amour qu’aucune frontière nationale, ni ligne de partie ne pourra arrêter. C’est la Bonne Nouvelle que Jésus a annoncée et incarnée.
Dans un monde polarisé, où il y a des perspectives différentes – et parfois diamétralement opposées – des enjeux auxquels nous faisons face, ce n’est pas toujours facile de discerner qui a une parole d’autorité, qui a une parole créatrice et prometteuse pour l’avenir. On peut se tromper. Nous sommes des êtres humains. Notre vision du monde et notre connaissance des choses sont imparfaites (1 Corinthiens 13, 12). Mais notre Dieu qui est amour est une lumière digne de confiance. L’amour divin qui peut nous éclairer est un amour qui patient, bienveillant, un amour qui n’est ni orgueilleux ni égoïste, un amour qui croit tout, espère tout, excuse tout, qui supporte tout. C’est l’amour dont Dieu nous aime et nous sommes appelés, au meilleur de nos capacités, à aimer les autres d’un même amour. Si nous nous laissons guider par l’amour de Dieu, nous avons de meilleures chances d’avancer toutes et tous ensemble – quelle que soit notre appartenance religieuse ou notre allégeance politique – vers un monde de liberté, de justice, d’équité et de solidarité entre tous les peuples. Ce sera, par la grâce de Dieu, la vie en abondance pour la création tout entière.
Jésus n’a signé aucun décret. Il n’a imposé aucune politique. Comme Jérémie avant lui, il appelle les gens à revenir à Dieu… mais ce n’est pas pour remplir les temples et encore moins pour être un influenceur. Jésus ne carbure pas aux likes (aux mentions « J’aime »). Tout ce que Jésus fait, il le fait par amour pour Dieu et pour son prochain. Et chaque personne qui, par la grâce de Dieu, ouvre son cœur à la miséricorde du messie en est transformée. Jésus sort de la synagogue, passe à travers la foule menaçante comme Moïse à travers la mer rouge, pour libérer ses contemporains de tout ce qui barre leur accès à la vie abondante qu’il est venu nous apporter. C’était en se faisant proche des hommes, des femmes et des enfants, chacun, chacune dans l’intimité de sa vie personnelle, que Jésus les a délivrés tous. C’est en touchant les gens là où la vie les avait blessés que Jésus a pu les guérir. La vie de Jésus, comme celle des prophètes qui sont venus avant et après lui nous le démontre : un avenir meilleur pour toutes et tous passe par la transformation du monde… souvent une vie à la fois, souvent une parole bienveillante, un geste libérateur, à la fois.
Frères et sœurs, croyez-vous que l’Esprit qui est descendu sur Jésus à son baptême, l’Esprit qui l’a habité et animé ses paroles et ses gestes travaille aussi en nous et parmi nous ? L’Esprit du Seigneur est sur nous. Dieu a répandu son amour dans nos cœurs. Par sa grâce, même si toutes nos prières ne sont pas exaucées comme nous le souhaiterions. toutes et tous seront délivrés pour la vie. Je me réjouis de vous l’annoncer. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
1 A. Nouis, La Bible : commentaire intégral verset par verset, vol. 4, Les Livres prophétiques, p. 211.
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