Il y a certains écrits qui gardent de leur intensité et de leur pouvoir de frapper l’imagination à chaque fois que nous les relisons ou que nous les entendons. Ce récit en fait partie, du moins pour moi.
Cela tient à l’art consommé de l’évangéliste Luc certes, et s’explique également par le fait que nous connaissons bien ce chemin d’Emmaüs, pour nous y être retrouvés nous-mêmes, plus d’une fois.
Luc nous ramène au jour de la résurrection. Très tôt ce matin-là des témoins oculaires qui sont bien identifiés (Marie de Magdala et Jeanne et Marie de Jacques, et leurs compagnes) reviennent du tombeau et rapportent tout ce qu’elles ont vu en entendu, de leurs propres yeux et de leurs propres oreilles, aux onze et à tous les autres. Nous apprenons qu’aux yeux de ceux-ci, tout cela apparaissait du délire et ils ne crurent pas ces femmes. Est-ce vraiment parce que c’était des femmes qui avaient rapporté les propos que ces témoins oculaires n’étaient pas crus ou bien était-ce aussi, parce que les faits rapportés étaient tellement au dessus de leur tête, tellement au-delà de leur compréhension? Il en va peut-être de la deuxième hypothèse. Ce n’est pas par hasard, en effet, que Luc, après avoir fait un travail de chercheur minutieux, a identifié par leurs noms les témoins; ils n’étaient pas n’importe qui, et puis les propos ne sont quand même pas rejetés d’un revers de la main. Pierre, le doyen, partit en courant au tombeau. Ce qu’il voit ne fait qu’augmenter le mystère. C’est sur ces entrefaites que se situe notre récit (Luc 24.23-35).
C’est la fin de l’après-midi et deux de ceux qui avaient vécu les événements rentrent chez eux, à Emmaüs situé entre 9 et 10 kilomètres, à deux heures de route de Jérusalem, c’est à dire deux heures de discussions soutenues et intenses. Il n’y a pas de hasard chez Luc.
Vous rendez-vous compte? Deux heures de discussions d’importance capitale sur un sujet qui leur tient à cœur et ils ne sont pas capables de reconnaître celui qu’ils considéraient comme leur rabbi et leur enseignant, leur maitre et leur ami?
Qu’est-ce qui avait empêché leurs yeux de le reconnaître, mais qui avait fait battre leur cœur un peu plus vite et allumé un feu brûlant en leur for intérieur, pendant deux heures? C’est un mystère que nous connaissons bien car souvent nous aussi, nous éprouvons cet un je ne sais quoi qui nous agite et nous anime sans que nous puissions vraiment le cerner ou le toucher du doigt. C’est une sensation qui désarçonne quelquefois.
Ce que leur curiosité intellectuelle ou théologique ne leur avait pas révélé, ce que leur douleur et leur désespoir leur avaient peut-être masqué, bref cet obstacle qui bouchait leur intelligence et rendait leurs cœurs lents à croire, tout cela va fondre grâce à un geste d’humanité et d’hospitalité, tout simple; un geste ancré dans leur culture et inscrit dans leurs rapports quotidiens : offrir le gîte et partager le pain avec l’étranger.
Comme le soir tombe, le compagnon de route est invité à casser la croute et en cassant la croute il se révèle à leurs yeux ébahis et ravis. … The rest is history!
Parce qu’il a été invité à « casser la croute », la croute qui empêchait leurs yeux de voir (verset 16) est brisée; il leur est donné de voir celui qu’ils connaissaient sans le reconnaître. L’expérience humaine est vraiment l’espace de révélation de l’Incarné. Seigneur, aide-nous à devenir des casseurs et des casseuses de croute en permettant, tant à l’autre qu’à nous-mêmes, d’entrer dans une relation apte à en faciliter la cassure.
Que ceux et celles qui ont des oreilles pour écouter, entendent!
Samuel Vauvert Dansokho
Eglise unie Saint-Pierre et Pinguet
Québec le 04 mai 2014
ECRITURE : Luc 24, 13-35
13Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem. 14Ils parlaient entre eux de tous ces événements. 15Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ; 16mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. 17Il leur dit : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? » Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre. 18L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » – 19« Quoi donc ? » leur dit-il. Ils lui répondirent : « Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : 20comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ; 21et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés. 22Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés : s’étant rendues de grand matin au tombeau 23et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant. 24Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conformeà ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » 25Et lui leur dit : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes ! 26Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? » 27Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait. 28Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin. 29Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. » Et il entra pour rester avec eux. 30Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. 31Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. 32Et ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? » 33A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem ; ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, 34qui leur dirent : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. » 35Et eux racontèrent ce qui s’était passé sur la route et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.
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