Le temps est bel et bien révolu où les Églises chrétiennes imposaient leur influence sur l’ensemble de la société, du moins dans l’hémisphère nord dans lequel nous vivons. Nous fêtons cette année le 90e anniversaire de la nôtre. Au moment de sa fondation en 1925, elle avait l’ambition de devenir, comme son nom le suggère, la grande Église du Canada ; celle qui marquerait de son empreinte éthique et religieuse toute la société anglo-canadienne.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Afin de l’apprécier pleinement, il est préférable de lire, au préalable, les textes bibliques dans la version TOB, accessibles via le site http://lire.la-bible.net/. |
Elle nous laissait aux bons soins de la religion catholique romaine, nous d’ici, qu’elle voyait de haut comme une minorité parlant encore pour un temps le français, dans ce pays vu comme idéalement anglophone coast to coast. De son côté, l’Église catholique romaine qui voyait la langue française de ses fidèles comme gardienne de la foi, lui rendait bien son attitude prétentieuse, en se prétendant, elle, et encore aujourd’hui, la seule vraie Église; la seule à ses propres yeux dans la pleine continuité de Jésus Christ par ses évêques, affirmés comme en succession directe des apôtres.
Au moment de la fondation de notre Église, il existait bien déjà quelques dizaines de petites communautés protestantes francophones, principalement d’origine presbytérienne, entrées dans l’union avec les méthodistes, congrégationalistes et presbytériens anglophones. Il en reste quelques-unes de cette époque dont notre chère Église Unie Pinguet, l’Église Unie Saint-Jean de Montréal, l’Église Unie Saint-Marc d’Ottawa et l’Église Unie de Belle-Rivière, à Mirabel. Au-delà du niveau de la paroisse, et plus tard du consistoire, les membres de ces communautés ont peiné, comme nous peinons encore, à prendre leur place en français dans cette Église se voulant pourtant United/Unie, et qui est la nôtre. Elle est progressiste sur beaucoup de points, mais encore et toujours en retard sur les gens d’affaires et les politiciens de la société laïque pour ce qui est de la place accordée au français.
Malgré ce handicap chronique, je lui trouve, comme vous sans doute, des qualités que je ne trouve au même degré dans aucune autre Église et qui font que j’en fais partie, que je lui suis fidèle et que je me suis senti appelé à en devenir un des pasteurs, voué par vocation à son ministère auprès des francophones. Ces qualités, vous les connaissez, mais je vous en rappelle quelques-unes : sa réflexion théologique et éthique ouverte, ses structures participatives, son égalité dans les rapports entre les femmes et les hommes, son inclusivité, sa sincère repentance pour sa complicité avec la politique canadienne à l’égard des Premières Nations, son engagement pour la justice sociale, sa capacité à évoluer en lien avec la société, à se remettre en question et à chercher à répondre aux conditions du temps présent.
Elle en est là présentement, notre Église, à chercher à répondre aux conditions du temps présent. Elle est en difficulté par rapport à la situation nouvelle créée par la baisse de la pratique religieuse, les baisses de revenus qui en découlent et l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de tout conserver de la grande organisation qu’elle était devenue; elle, la plus importante Église au Canada après l’Église catholique romaine. Une révision globale est en cours dans notre Église. Dans son Mot de la pasteure, en première page du dernier numéro de La parpaille, Darla nous explique la nature de cette révision, qui est, pour le moment, essentiellement administrative.
Comme le suggère notre pasteure à la fin de son article, il faut pousser plus loin la réflexion. Nous pouvons vivre la crise institutionnelle que traverse notre Église comme une grâce qui nous invite, et même nous oblige, à effectuer un retour à l’essentiel, à ce qui nous définit fondamentalement comme chrétiens et chrétiennes. C’est dans cette ligne de pensée que j’ai choisi les lectures bibliques pour aujourd’hui. Ce qui nous définit fondamentalement comme chrétiens et chrétiennes, ce ne sont ni les rites qui nous sont familiers, ni les cantiques que nous aimons chanter, ni la musique d’orgue que nous aimons entendre, ni la beauté du bâtiment dans lequel nous nous réunissons, ni la sociabilité que nous développons entre nous, ni, enfin, pour revenir à la révision globale, la manière dont notre Église s’est organisée jusqu’à maintenant. Toutes ces caractéristiques font inévitablement partie de la réalité de notre Église comme institution et comme milieu social. Même si nous nous sommes attachés à elles et avons de la difficulté à reconnaître qu’elles pourraient changer, elles ne sont que des modalités qui expriment, certes, notre identité chrétienne, mais qui ne la constituent pas dans ce qu’elle a d’essentiel.
À l’exemple de Pierre, dans l’extrait de l’évangile de Matthieu que nous venons de lire, ce qui nous définit fondamentalement comme chrétiens et chrétiennes, c’est d’accueillir la grâce de reconnaître en Jésus de Nazareth le Christ. En d’autres mots, être chrétien, être chrétienne, c’est reconnaître en Jésus de Nazareth la manifestation par excellence du divin dans notre humanité et nous inspirer de sa manière d’être dans le monde pour la conduite de nos vies. L’essentiel est de garder le contact avec lui à travers les témoignages que nous ont laissé de lui ceux et celles qui l’ont connu de son temps. Nous avons besoin de nous réunir en communautés de disciples pour nous solidariser dans notre conviction qu’il est le Christ, célébrer sa mémoire par des rites et des symboles et actualiser pour notre temps le message des textes anciens qui nous parlent de lui. Pour éviter de l’imaginer autrement qu’il n’a été, nous avons besoin, dans nos communautés, de croyants et croyantes comme nous qui soient en même temps des spécialistes de ces textes anciens et nous aident à comprendre ce qu’ils voulaient dire en leur temps, pour que nous puissions déduire avec eux ce qu’ils veulent nous dire pour aujourd’hui.
Dans l’Église romaine, la phrase « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église… » est interprétée comme le moment de fondation de la grande organisation hiérarchique et transnationale qu’elle est maintenant. En réalité, à travers le mot Église, qui n’était pas aussi solennel qu’il l’est aujourd’hui, c’est tout simplement une communauté de disciples que Jésus est en train de fonder, dans la précarité des conditions du moment. Les modalités d’organisation de cette communauté ne sont pas précisées. Elles prendront forme dans la suite des temps, en se donnant malheureusement trop souvent comme des absolus. Cette communauté de disciples que Jésus fonde, il la confie aux soins d’un homme ordinaire dont les évangiles nous disent la ferveur, en même temps que la capacité de renier, puis de se reprendre en main. À nous de même, dans la précarité du temps présent, à partir de ce que nous sommes, avec nos forces et nos limites, est confiée la mission de remodeler des communautés de disciples bien vivantes, à partir des institutions en déclin qui ont porté jusqu’à nous le message du Christ Jésus.
Le temps du confort dans des Églises-institutions solidement établies est révolu ou tout au moins en voie de l’être. La religion dont on hérite à la naissance et qui nous porte presque sans effort jusqu’à la tombe, aussi. Un fossé est déjà creusé entre les générations. Aujourd’hui, on reste authentiquement chrétien ou on le devient par conviction, en redécouvrant ou découvrant la personne, l’enseignement et l’exemple de Jésus Christ. À compter de maintenant, il redevient exigeant, et parfois même souffrant, d’être chrétien. Cette exigence, cette souffrance, l’apôtre Paul l’a portée en son temps comme une participation à la souffrance vécue par Jésus dans l’accomplissement de sa vocation. À la jeune communauté chrétienne de Corinthe, dont il souffre de la discorde (1 Co 1, 11), il dit ceci que nous venons de lire : « …j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » (1 Co 2, 2). Dès le début de son ministère public, Jésus a choisi, lui, une ligne de conduite risquée, en citant les deux versets d’Ésaïe que nous avons lus. Dans l’Évangile de Luc, cette citation lui fait dire que l’Esprit du Seigneur est sur lui…pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres…proclamer aux captifs la libération…renvoyer les opprimés en liberté… » (Lc 4, 18). Ce programme invite toute Église qui veut rester branchée sur Jésus Christ à être ou continuer à être, malgré ses problèmes internes, agente de libération dans le monde qui l’entoure. Ces problèmes internes donnent peut-être, au fond, le signal providentiel du retour à l’essentiel : Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. (1 Co 2, 2). Amen.
Culte du dimanche 14 juin 2015
Prédication du matin à Saint-Pierre et de l’après-midi à Pinguet
Par Gérald Doré, pasteur bénévole associé
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