La formule Je crois … la résurrection de la chair apparaît dans une des multiples confessions de foi qui jalonnent les premiers siècles de l’Église. Elle a été incorporée au Je crois en Dieu que nous venons de réciter et qui est aussi appelé symbole des apôtres. Symbole non pas au sens habituel de « signe figuratif », mais au sens du verbe grec συμ-βαλλειν : mettre ensemble, ici mettre ensemble les formules qui expriment la foi. Cette mise ensemble d’affirmations qui expriment la foi s’appelle symbole des apôtres, parce qu’elle peut être divisée en douze parties ou articles. Une légende qui remonte au quatrième siècle veut que les douze apôtres, avant de se disperser, aient formulé chacun un de ces articles dont celui qui dit Je crois… la résurrection de la chair.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Que peuvent bien vouloir dire pour nous, aujourd’hui, ces mots par lesquels nos ancêtres dans la foi ont voulu résumer ce qui nous est annoncé dans l’Évangile à propos de la vie au-delà de la mort? Ces mots sont, bien sûr, un écho de ce qui nous est annoncé par la résurrection de Jésus. Il apparaît, en effet, aux disciples comme un homme en chair et en os. Il se fait voir à eux et elles avec son corps, un corps « glorieux », un corps « spirituel ». Il apparaît dans un lieu dont les portes sont closes. Il mange devant eux et elles, pour montrer qu’il est bel et bien corporel, un homme en chair et en os, mais qui n’est reconnu par les autres que quand il choisit lui-même d’être reconnu.
Or, ce Jésus ressuscité, il est dit par Paul, nous venons de le lire, être « prémices de ceux (et celles) qui sont morts » (1 Co 15, 20), c’est-à-dire commencement de ce qui arrive désormais à ceux et celles qui sont morts et à ceux et celles qui meurent, à nous qui demain mourrons. Et Paul prononce ici une parole très forte : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi. » (1 Co 15, 13-14).
Ainsi placés au pied du mur, comment concevoir une telle résurrection des corps, une telle résurrection de la chair, déjà anticipée au livre de Job, comme nous venons de le lire, et déjà présente dans le courant pharisien du judaïsme au temps de Jésus? Aujourd’hui, dans notre monde privé par la science de son imagination, la question nous rend tellement perplexes qu’on préfère la mettre le plus possible entre parenthèses. Tout ce qui sort de l’ordinaire et du vraisemblable dans la vie de Jésus suscite le doute, même chez des personnes touchées et animées par son enseignement et son appel radical à aimer; à plus forte raison quand il est question de résurrection de la chair.
Il n’en a pas toujours été ainsi. En visitant les catacombes romaines, ces souterrains où se réunissaient les chrétiens et chrétiennes au temps des persécutions, j’ai été ému de voir les niches creusées dans les murs où reposent des corps momifiés, placés là en attente de leur résurrection. Au seizième siècle, un poète des premiers temps de la Réforme, Agrippa D’Aubigné (1552-1630), a imaginé en vers sa vision de la résurrection de la chair. « La terre ouvre son sein, écrit-il; du ventre des tombeaux / Naissent des enterrés les visages nouveaux; / Du pré, du bois, du champ, presque de toutes les places / Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces. »1 La description s’étend ainsi en évocations surréalistes sur trente-six des cent soixante-treize vers que compte un poème intitulé « La résurrection et le jugement ». On est en droit de penser que c’est cette façon d’imaginer la résurrection de la chair qui a été pendant longtemps à la base du refus de l’incinération pour des funérailles chrétiennes.
La confession de foi très contemporaine de notre Église est certes plus sobre dans son expression que celle d’Agrippa D’Aubigné. Elle se contente de dire que « dans la vie, dans la mort, dans la vie au-delà de la mort, Dieu est avec nous. » Pour le reste, c’est dans la foi, dans son pur sens originel de confiance, que nous sommes invités à envisager l’au-delà de la mort. Il n’est demandé à personne d’endosser des façons de voir qui dépassent sa capacité d’adhésion, dans le moment présent de son cheminement de foi.
Il y a pourtant un sens à déchiffrer sous la formule résurrection de la chair. Un philosophe de notre temps a résumé le sens de cette formule dans des termes qui, d’après moi, nous la font bien comprendre. « … toute l’originalité du message chrétien, écrit-il, réside justement dans la ‘bonne nouvelle’ de l’immortalité réelle, c’est-à-dire de la résurrection, non seulement des âmes, mais bel et bien des corps singuliers, des personnes en tant que telles… Là où, pour le sage bouddhiste, l’individu n’est qu’une illusion, un agrégat provisoire voué à la dissolution et à l’impermanence, là où, pour le stoïcien, le moi est voué à se fondre dans la totalité du cosmos, le christianisme promet au contraire l’immortalité de la personne singulière. Avec son âme, bien sûr, mais surtout, avec son corps, son visage, sa voix aimée dès lors que cette personne sera sauvée par la grâce de Dieu… » Notre philosophe soulève ensuite les questions qui viennent immédiatement à l’esprit quand on veut imaginer concrètement la chose : « … avec quel corps allons-nous renaître? À quel âge? Que veut-on dire lorsqu’on parle d’un corps ‘spirituel’, ‘glorieux’? etc. » Il conclut son résumé de la doctrine de la résurrection de la chair par ces mots : « … qu’elle fasse assurément partie des mystères insondables d’une Révélation qui, sur ce point dépasse de beaucoup, aux yeux des chrétiens, les pouvoirs de notre raison, ne change rien à l’affaire. L’enseignement de la doctrine chrétienne ne fait aucun doute. »2
À mon point de vue, l’essentiel à retenir de ce point de doctrine est, malgré la difficulté à l’imaginer, la permanence de la personne que chacun/chacune de nous est au-delà de la mort. Bien avant notre philosophe, Jésus nous a dit, à travers les disciples de son temps, ce que nous venons de le lire : « … là où je suis, vous serez vous aussi. » (Jn 14, 3). Il nous a ainsi donné à entendre que nous sommes appelés à partager son chemin de mort et de résurrection. Nous avons tout récemment célébré la fête de Pâques. Elle tourne le regard de chacun/chacune de nous avec Jésus vers les horizons de la vie au-delà de la mort.
Foi, au sens de confiance, d’espérance qui influence la vie, est pour moi le fin mot de l’affaire, avec comme repère le témoignage que les évangiles nous livrent sur la résurrection de Jésus; témoignage à partir duquel s’est déclenché ce formidable mouvement de foi et d’espérance dans lequel nous sommes.
Amen.
Par Gérald Doré, pasteur bénévole associé
Église Unie Saint-Pierre et Pinguet
Culte du dimanche 17 avril 2016
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1 Agrippa D’Aubigné, « La résurrection et le jugement », dans Les poètes du XVIe siècle. Paris, Hatier, 1948 : 331.
2 Luc Ferry. Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l’usage des jeunes générations. Paris, Plon, 2006 : 103-105 et 108.
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