Saviez-vous qu’hier soir, à la Maison de la littérature (l’ancien temple Wesley avant la fusion avec la paroisse Chalmers) a débuté à Québec le Festival de contes et menteries ? La lecture de l’évangile de ce jour, au 9e chapitre de Jean, aurait pu se qualifier pour une représentation scénique dans un tel festival. Ce qu’on y retrouve tient beaucoup du conte et n’est pas non plus dépourvu de menterie. Un peu à la façon d’une pièce de théâtre, l’extrait d’aujourd’hui pourrait être découpé en quatre actes ou sections : donc le 1er acte : (1-7) la guérison et (8-12) son constat par le voisinage; le 2e acte : (13-15) le témoignage de l’ex-aveugle, (16-17) la perplexité des autorités et (18-23) l’authentification par la famille; le 3e acte : (24-34) le conflit de l’interprétation entre le miraculé et les théologiens et dévots; et enfin le 4e et dernier acte (35-41) la confession de foi et le renversement des certitudes. J’ai déjà commenté ce volet théâtral il y a quelques années (3 avril 2011) et vous pouvez, si la chose vous intéresse, retrouver cette prédication aux archives du site Web de la paroisse.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Ce matin, ce sont les questions, posées tout au long du déroulement du récit, qui retiennent mon attention. Combien y a-t-il de questions dans cet extrait selon vous? 16 questions directes! Pour un texte de 41 versets, c’est beaucoup. Et en même temps, la chose ne devrait pas nous surprendre puisque nous sommes ici dans le monde religieux, celui du cheminement de foi, la dimension humaine qu’on dénomme souvent la quête de sens, la quête spirituelle. L’être humain est en recherche de sens, de vérité, d’absolu, en recherche de Dieu. La question est, pourrait-on dire, l’outil indispensable de la quête.
1ère « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » Jn 9,2
2ième « N’est-ce pas celui qui était assis à mendier ? » Jn 9,8
3ième « Et alors, tes yeux, comment se sont-ils ouverts ? » Jn 9,10
4ième « Où est-il, celui-là ? » Jn 9,12
5ième « Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d’opérer de tels signes ? Jn 9,16
6ième « Et toi, que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ? » Jn 9,17
7ième « Cet homme est-il bien votre fils dont vous prétendez qu’il est né aveugle ? » et 8ième « Alors comment voit-il maintenant ? » Jn 9,19
9ième « Qui lui a ouvert les yeux ? » Jn 9, 21
10ième « Que t’a-t-il fait ? » et
11ième « Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? » Jn 9,26
12ième « Pourquoi voulez-vous l’entendre encore une fois ? » et
13ième « N’auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi ? » Jn 9, 27
14ième « Crois-tu, toi, au Fils de l’homme ? » Jn 9,35
15ième « Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jn 9, 36
16ième « Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi ? » Jn 9,40
À cette écoute on saisit bien que toutes les questions n’ont pas la même portée. La toute première est en fait la question fondamentale, posée par les disciples à Jésus. Le handicap de naissance pose la question de la responsabilité personnelle ou collective, de la raison d’une telle privation de ce qui normal, d’une cause qui peut expliquer et ultimement permettre d’accepter l’état de fait. Qui a péché? À qui la faute? Expliquez moi la cause.
Mais celle-ci se transforme en question d’existence : comment peut-on affirmer l’amour de Dieu, concilier la bonté divine face au manque, au mal, à la maladie, à la souffrance chez ceux qu’on aime, dans le monde autour de nous, et en nous-même? Expliquez moi le sens.
Jésus, le Rabbi, n’apporte pas de réponse satisfaisante à ce mystère des injustices et des souffrances : C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui… je suis la lumière du monde… Ce récit, ce « conte », est là non pour répondre à la curiosité intellectuelle des auditeurs ou fournir une explication satisfaisante mais pour leur faire connaître le chemin de la lumière divine. Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d’opérer de tels signes ? Jésus est la réponse de Dieu : c’est par la relation, la proximité, l’accompagnement que Dieu répond. Où est-il, celui-là ? En se laissant toucher par son amour et sa compassion s’opère une métamorphose, un changement de perspective sur notre vie, ce que les spiritualités nomment l’illumination. La guérison physique est alors signe de la profondeur de ce qui est à l’œuvre ici. Et elle débouche sur LA question, L’invitation, Crois-tu, toi, au Fils de l’homme? et sa réponse formulée également comme une question Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui?
Les questions de la foule et des pharisiens portent sur l’identité de l’ex-aveugle et tentent de ‘comprendre’ comment il a recouvré la vue. C’est le niveau des journaux quotidiens ou des manchettes et lignes ouvertes à la radio. Étonnant, divertissant mais aussi souvent l’occasion de dérapages, de « menteries » diverses qui ne font que confirmer les préjugés des pseudos-chercheurs et disqualifier toute quête véritable comme fraude et fumisterie.
Toute question présuppose qu’on veut comprendre, avoir de l’information pour pouvoir saisir ce qui se passe et ajuster ses idées et son comportement en conséquence. Mais chaque question est portée par la personne qui la pose. Formuler une question pour orienter une réponse est une pratique millénaire. « Toute personne intelligente sais bien qu’il en est ainsi : ne crois-tu pas? », « Rien qu’à voir on voit bien, n’est-ce pas? », etc.
Jésus est là pour celles et ceux qui sont dans le besoin, qui le reconnaissent humblement et qui se laissent simplement toucher par son amour et illuminer par sa présence. Mais pour les raisonneurs qui, sous des dehors de questionnement, ne veulent en fait que confirmer leurs opinions déjà faites et leur fonctionnement habituel, il n’apporte aucune lumière, bien au contraire. C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.
N’auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi ? demande l’ex-aveugle. Nous connaissons la réponse de l’establishment religieux de l’époque. Mais nous, pourquoi sommes-nous ici ce matin? Pourquoi voulons-nous l’entendre encore une fois? Que nous a-t-il fait ? Comment nous a-t-il ouvert les yeux ? Nos réponses sont différentes pour chacun et chacune mais elles sont toutes communes à notre condition humaine. Ensemble, nous nous aidons à formuler la question essentielle et, par la grâce dans la foi à accueillir la réponse : Et toi, que dis-tu de celui qui t’a ouvert les yeux ? Amen.
Par Denis Fortin, pasteur
St-Pierre / 4e dimanche du Carême « A » / 26 mars 2017
LECTURES BIBLIQUES
Psaume 23
Éphésiens 5, 8-14
Jean 9, 1-41
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