Nous sommes le soir du dernier repas de Jésus avec ses disciples. C’est supposé être un soir de fête, de réjouissances, d’action de grâce… mais l’atmosphère est lourde. Jésus sait que son heure est proche. Et là, à table avec ses amis les plus proches, visiblement troublé, Jésus lance : « l’un de vous va me livrer. » Les disciples se regardent les uns les autres, se demandant ce qu’il en train de leur dire. Simon Pierre se tourne vers le disciple qui est assis à côtém de Jésus et lui fait signe : « Demande de qui il parle. » et Jésus répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper. » Sur ce, Jésus tend une bouchée à Judas et lui dit : « Ce que tu as à faire, fais-le vite. » Judas prend la bouchée et sort immédiatement. (Jean 13, 21-30). C’est dans ce contexte de tension et de trahison que Jésus dit à ses disciples : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. »
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Et si j’avais été là, je l’aurais certainement interrompu : « Oui, mais Jésus, il n’y a rien de nouveau dans ce commandement ! Déjà dans le Lévitique on trouve : tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lévitique 19, 18), une sorte de résumé d’un ensemble de commandements favorisant la justice sociale. » Et là, j’entends Jésus – qui me connait et qui sait que mon impétuosité n’est pas un manque de respect mais un signe de mon enthousiasme pour son enseignement – me dire sur un ton patient et compréhensif… « Attends un peu, Darla ! Laisse-moi finir. Comme moi je vous ai aimés. Voilà ce qui est nouveau. Comme moi je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. »
Avez-vous remarqué ? Jésus ne dit pas : Aimez-moi comme je vous ai aimés. Il dit : Comme je t’ai aimé, tu dois aimer les autres. L’amour n’est pas un commerce mais une circulation1. Payez au suivant ! Et notez bien aussi que, pour Jésus, l’amour n’est pas juste « une question de feeling », une affaire de bons sentiments ou de bonne entente. Jésus n’a pas dit : « Ayez de l’affection les uns pour les autres. » Il a dit : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » Et comment est-ce que Jésus manifeste son amour pour nous ? En allant jusqu’à la croix, bien évidemment ! Là où l’amour se donne totalement… librement… pour le bien de tous… pour que plus rien, même pas la mort, ne nous sépare de Dieu et de la vie toujours nouvelle et éternelle. Mais juste avant d’aller à la croix, Jésus donne à ses disciples un autre signe de son amour… moins radical certes… mais tout aussi transformateur ! Il lave les pieds de ses disciples et il leur dit : « Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. » (Jean 13, 14-15). C’est ainsi que le monde saura que nous sommes chrétiens : si nous nous lavons les pieds les uns des autres. Un chrétien n’est pas seulement un croyant… c’est aussi un être agissant. Aimer son prochain, c’est servir son prochain. C’est se pencher pour lui laver les pieds. C’est aussi simple… et aussi compliqué que ça. C’est simple parce que « ça ne demande pas un cours classique2 », comme on dit. Pas besoin ni de diplômes, ni reconnaissance par un ordre professionnel, ni de don particulier. Et on n’a même pas besoin d’avoir une affection particulière pour quelqu’un pour le servir… même pour lui laver les pieds.
En fait, ce qui est plus compliqué, c’est se laisser laver les pieds, n’est-ce pas ? Pensez à Pierre. Quand Jésus se penche pour lui laver les pieds, il s’exclame : « Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » (Jean 13, 8). Moi, j’aurais fort probablement réagi de la même manière. Et vous ? Lors du repas du Jeudi saint en avril dernier, plutôt que de vous proposer qu’on s’essuie les mains les uns les autres comme geste qui annonce la grâce de Dieu, si je m’étais agenouillée à vos pieds pour les laver avant que l’un de vous me fasse pareil ?
Il y a quelque chose dans ce geste de se laver les pieds les uns des autres qui rend bien des chrétiens-nnes mal à l’aise. S’assoir, enlever ses chausseurs et ses bas, se laisser toucher dans son intimité, dans sa vulnérabilité, et ce, dans notre monde où on nous dit qu’il faut apprendre à se tenir toujours debout… solide… inébranlable.
Je suis revenue à la foi chrétienne il y a bientôt 25 ans. Je connais beaucoup de disciples. La vaste majorité servent les autres avec beaucoup de générosité et sans gêne ni hésitation. Se laisser servir… c’est moins évident.
Quand j’étais pasteure en Gaspésie, un jour, dans le cadre d’une étude biblique où on se penchait justement sur l’évangile d’aujourd’hui, l’une des participantes a exprimé sa tristesse – et même une certaine frustration- face aux gens qui refusaient quand elle offrait de leur rendre service (une commission, un coup de main, un « lift » pour venir à l’Église le dimanche.) « Ça me ferait tellement plaisir ! Et ça m’apporte tellement plus que ça me coute » a-t-elle dit. Quelques semaines plus tard, cette même paroissienne a subi une intervention chirurgicale. Je suis allée lui rendre visite à l’hôpital. Quand je suis arrivée, elle peinait à se lever pour aller chercher de l’eau fraîche et des glaçons. J’ai offert d’aller lui en chercher… et elle a refusé catégoriquement ! « Non, non, non, tu ne vas pas aller me chercher de l’eau. Tu n’es pas ma serveuse. » Et moi de répondre : « Souviens-toi de ce que tu as dit lors de l’étude biblique de l’autre jour ? » Elle a fini par me tendre le pichet. Pas toujours évident, se laisser servir… mais ça s’apprend… et ça peut être transformateur…
Imaginez comment le monde serait différent si notre premier réflexe était d’adopter une posture d’humilité, d’enlever nos souliers et de nous laisser toucher dans notre intimité. Imaginez si on regardait tout le monde – même ceux et celles pour qui nous n’éprouvons pas d’affection – comme des frères et sœurs avec quelque chose à nous apporter, comme des gens par qui l’Amour circule. Ça pourrait changer notre vie… comme la vie de Pierre a été transformée. Il a fini par laisser Jésus lui laver les pieds. Ce changement de posture était un premier pas pour lui. L’Amour qui a circulé en lui et à travers lui a fini par transformer complètement sa conception de Dieu et sa vision du monde que Dieu aime tant. Voilà une conversion qui mène à la vie !
Que l’amour du Christ agissant en nous en fasse autant… jusqu’à ce que nous aussi, nous voyions un ciel nouveau et une terre nouvelle. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
1 Nouis, Antoine, Le Nouveau Testament, commentaire intégral verset par verset, Olivétan / Salvator 2018
2 Expression québécoise qui signifie que quelque chose n’est pas compliqué ou difficile à comprendre.
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