Photo: P.-A.G.
Dans un texte éclairant sur l’espérance, le théologien André Gounelle propose de distinguer le futur et l’avenir. Le futur, c’est ce que nous pouvons anticiper à partir d’une observation attentive du présent. C’est ainsi que procèdent les scientifiques en observant, par exemple, la progression de la fonte de la calotte glaciaire ou la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Ils peuvent projeter la situation climatique dans 10 ou 50 ans.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Le futur, c’est, au fond, la manière de compléter la phrase célèbre des soirées électorales : « Si la tendance se maintient… » Le futur, c’est la continuation du présent dans ses conséquences.
L’avenir, pour sa part, serait d’une tout autre nature. Il désigne ce qui « advient », l’inattendu qui vient vers nous. Il y a, bien sûr, dans l’avenir, des choses ou des événements que nous pouvons déjà entrevoir. Mais il y a tout ce qui est imprévisible, imprévu et parfois même, improbable.
Cette distinction nous est utile alors que nous progressons dans l’Avent, Advent en anglais ou en allemand. Le temps de l’Avent, c’est justement le temps du désir de ce qui vient vers nous. Car pour qui chemine sur la voie spirituelle judéo-chrétienne, l’histoire humaine est ouverte. Il n’existe pour nous ni fatalité, ni karma, ni destin. Au fondement de cette attitude spirituelle, il y a cette appellation de Dieu maintes fois répétée dans la Bible : Dieu est « celui qui vient ». Dieu a de l’avenir en réserve pour nous.
Au tournant du 7e siècle avant notre ère, le prophète Ésaïe a encouragé ses concitoyens en leur annonçant la venue d’un roi qui apportera la justice et la paix. Ils en avaient bien besoin, car ils venaient de subir une cuisante humiliation aux mains du roi assyrien Sennakérib (2 Rois 18 11-16). Absolument rien dans leur situation présente n’était porteur de promesses. Et voilà que le prophète annonce la venue d’un roi sage, juste et vaillant qui instaurera une ère de justice et d’harmonie sociale. Une ère politiquement idéale, qui ressemblerait au paradis retrouvé, où cohabiteraient en paix le loup et l’agneau, le léopard et le chevreau, le veau et le lionceau, la vache et l’ourse, le lion et le bœuf, l’enfant et la vipère.
L’annonce d’Ésaïe visait à redonner espoir à une population démoralisée, lui permettant de se reprendre en main. Des siècles plus tard, Jean-Baptiste aussi parle de ce qui ad-vient. Mais sa parole ressemble plutôt à un électrochoc qui fait éclater la bulle d’autosatisfaction dans laquelle vivaient ses contemporains. Il convient de prêter attention à quatre mots du texte que nous avons entendu tout à l’heure. D’abord, au tout début : « En ces jours-là paraît Jean le Baptiste » (3 1). Le verbe grec désigne ce qui survient, et rien, en effet, ne laissait présager l’apparition d’un prophète dans le désert de Judée. Le deuxième mot est : « la colère qui vient. » (3 7) Aux yeux des juifs subissant la domination romaine, il ne semblait y avoir ni futur, ni avenir. Leur vie sociale et religieuse était devenue routinière, sans horizon, sans aspiration et sans âme. La situation était apparue si désespérée que vers le début du 1er siècle avant notre ère, un groupe de croyants, conduits par « le Maître de justice », avait rompu avec Jérusalem, son temple et tout ce qu’il représentait, pour s’établir aux bords de la Mer Morte, emportant avec lui la flamme d’une foi qui se voulait pure et sans compromis.
Or, c’est tout près de là que Jean survient et crie haut et fort que du nouveau vient : et ce qui vient, c’est la colère. Dans la Bible, ce terme sert à exprimer l’attitude de Dieu qui livre l’être humain à sa pleine responsabilité sur sa vie et son histoire1. Parler de la colère de Dieu, c’est affirmer que Dieu laisse arriver les conséquences négatives des mauvaises décisions humaines. Il nous laisse à notre futur que nous fermons à son avenir. La parole de Jean-Baptiste est claire : « Convertissez-vous », c’est-à-dire changez de direction. Arrêtez de vivre dans la résignation parce que vous ne voyez rien de bon dans le futur; tournez votre regard vers l’avenir qui vient, et cela vous redonnera la capacité de produire de véritables fruits qui démontreront le sérieux de votre changement intérieur.
Et voici les deux autres termes du récit évangélique sur lesquels j’attire votre attention, car ils constituent l’autre versant de la prédication de Jean. D’abord, le Règne de Dieu « s’est approché » (3 2). Il s’en vient. Il est tout proche. Oui, affirme Jean, et ce sera aussi le cœur de la prédication de Jésus, l’avenir que Dieu a en réserve pour l’humanité s’en vient. Et comment se manifestera-t-il? Jean parle alors de « celui qui vient après moi ».
Jésus est présenté par Jean comme l’avenir qui vient vers le présent pour l’ouvrir au Règne de Dieu qui se fait proche. Mais, surprise encore pour Jean lui-même : au lieu de la purification par le feu espérée et prédite par le prophète, Jésus, « celui qui vient », privilégiera la bienveillance, la miséricorde, le pardon et la confiance dans la capacité humaine de changer. Cet « avenir » déconcertera Jean lui-même, au point qu’il fera demander : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? » (Matthieu 11 3)
Deuxième dimanche de l’Avent, dimanche de la paix. Vu sous cet angle, le futur est sombre. Je ne sais pas si Emmanuel Macron a eu raison de parler de la « mort cérébrale » de l’OTAN, mais ce que je sais, c’est que les ventes d’armes ne cessent d’augmenter dans le monde depuis une dizaine d’années. Que le traité contre la prolifération des armes nucléaires a été dénoncé par le président des États-Unis. Que la puissance djihadiste se renforce au Sahel. Bref, que sans jeu de mots, nous vivons sur une bombe à retardement ou marchons dans un champ de mines.
Mais si le futur est menaçant, qu’en est-il de l’avenir?
L’avenir qu’a pour nous en réserve le Dieu des promesses et de la vie, c’est toujours par des médiations humaines qu’il se manifeste et se concrétise. Jamais par un coup de baguette magique. C’est grâce au travail patient d’organisations comme l’ONU, de groupements de citoyens comme Amnistie Internationale ou de groupes religieux comme la communauté San Egidio que la cause de la paix n’est pas une cause perdue. C’est parce que dans ces groupes et organisations, des individus, loin de désespérer, continuent de croire en l’humanité que le Règne de Dieu est proche. Que nous demeurons capables de désir, ouverts sur l’avenir. En d’autres termes, que nous espérons. À leur manière, ces personnes et ces groupes ne se laissent pas abattre.
Voilà l’espérance à laquelle nous sommes appelés encore ce matin. Voilà la lueur qui brille, même humblement, dans la nuit de l’humanité comme dans nos nuits personnelles. Soit nous laissons les inquiétudes du futur nous déprimer et nous décourager, soit nous nous investissons dans ce présent parce que nous avons confiance en Dieu qui a de l’avenir en réserve pour l’humanité.
André Gounelle a cette formule heureuse sur laquelle je vous laisse à votre méditation : « L’avenir ne se borne pas à ce qui nous arrive, il naît aussi ce que nous faisons du présent, alors que le futur apparaît comme ce que le présent fait de nous. »
1Voir en particulier François VARONE, Ce Dieu censé aimer la souffrance, Paris, Cerf, 1984, p.140-153.
TEXTES BIBLIQUES
Un commentaire
Très beau texte !