Qu’est-ce que vous êtes venus voir au ce matin ? Une Église bien décorée, un-e célébrant-e habillé-e comme un vrai pasteur – de la robe de prédicateur avec les rabats, en aube et en étole ou sans aucun habit liturgique ? Qu’espériez-vous en arrivant ce matin ? De la belle musique, de beaux chants, une prédication inspirante ? Un moment d’exaltation pour vous donner de l’élan pour le reste de la semaine ou un temps plus méditatif ? Une halte dans le brouhaha de ces semaines effrénées ? Que cherchiez-vous ? Un peu de solitude ? Un temps de communion fraternelle ? À quoi vous attendez-vous ce matin ? En vérité, je vous le dis, peu importe ce que vous êtes venus voir et entendre ce matin, les chances sont bonnes que certains vont en sortir comblés, d’autres vont être déçus, et d’autres encore, les deux à la fois.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Ainsi va la vie. Si souvent, la joie et la déception, voire le découragement, cohabitent. La naissance d’un enfant… lourdement handicapé. Une belle relation… qui tourne au vinaigre. Une job de rêve… qui vire en cauchemar. La retraite qui arrive… en même temps qu’un diagnostic. Un beau projet qui finit en queue de poisson. On multiplie les démarches… mais on n’arrive pas à protéger un proche de lui-même. Tout notre travail, nos préparatifs, nos efforts les plus sincères, notre bonne volonté… sans les résultats escomptés. Comment avancer quand on est plongé dans le noir, quand on ne voit plus clair ? Si c’est ainsi que vous arrivez ce matin, ne craignez pas. Vous n’êtes pas seuls. C’est ainsi que nous retrouvons Jean le baptiste ce matin.
Jean avait cru, dur comme fer qu’une vie meilleure était non seulement possible… mais aussi sur le point d’advenir. Il avait senti venir de loin ce changement tant espéré. Il en avait trouvé l’annonce dans les Écritures et particulièrement dans la bouche des prophètes. Il avait élevé la voix dans le désert de Judée afin de répéter ces messages d’autrefois qui avait conservé toute leur pertinence. Jean répond à ce qu’il ressent comme l’appel de Dieu. Il dénonce l’hypocrisie et le péché de ses contemporains, la corruption politique et l’injustice social. Et il se ramasse en prison. A-t-il cru en vain ? Tous ses efforts ont-ils été stériles ? Sa foi et son espérance futiles ? Pas difficile de l’imaginer en proie aux doutes, et à la colère – envers lui-même, envers Dieu. Jean a besoin de réponses, besoin de voir clair. Alors il envoie ses disciples voir Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?
Jean a besoin de réponses, une parole qui redonnera un sens à sa vie, qui lui permettra non seulement de comprendre ce qui lui arrive mais surtout de s’orienter dans ce nouveau désert qu’il traverse. Plongé dans l’obscurité de son cachot, il a besoin d’être éclairé. Et Jésus lui envoie ce message : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ; et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! »
Si Jean s’attendait à un simple oui ou un non… sans doute était-il à nouveau déçu. Qui n’a pas connu ce sentiment de frustration devant ce qui semble être une « non réponse » à nos requêtes les plus simples ? « O.k. Jésus, garde-moi ben…il y a moins de lépreux dans le monde aujourd’hui, c’est vrai. Mais il y a toujours des exclus, des gens qui vivent en marge de la société, des laissés pour compte. Et il y encore bien des aveugles, des boiteux et des sourds de tous genre. Et.. Jésus… pendant qu’on y est.. j’ai remarqué que dans ton message à Jean, tu ne promets pas la liberté aux captifs. » Pas de Happy end, de dénouement heureux, pour Jean (Hérode aura sa tête… littéralement. Lisez Matthieu 14, 1-12). Faut peut-être repenser tout cette idée de Messie.
C’est peut-être justement ça que Jésus voulait nous amener à faire. En refusant de répondre par un oui ou par un non Jésus invite Jean – et nous – à abandonner nos idées reçues, et les représentations qu’on se fait de celui qui vient nous sauver… à considérer autrement le monde, Dieu et celui que Dieu envoie dans le monde.
Reconsidérons, par exemple, cette phrase : « Heureux celui ou celle qui ne tombera pas à cause de moi. » Ici, le mot « Heureux », que Matthieu met dans la bouche de Jésus est le même mot qu’on trouve dans le Sermon sur la montagne (Matthieu 5, 3-12) : « Heureux les pauvres, les doux, ceux qui pleurent… etc. » Vous vous souvenez peut-être que dans sa traduction de la Bible, Chouraqui traduit ce mot par « En marche ! » Voyons ce que ça donne dans l’Évangile d’aujourd’hui : « En marche, celui ou celle qui ne tombera ou qui ne trébuchera pas à cause de moi… parce que mes chemins ne sont pas ceux de ce monde. En marche ! Ne tombez pas dans le piège de croire qu’une histoire dont le dénouement n’est pas heureux aux yeux du monde finit nécessairement en cul de sac ! » Nous le savons, pour les disciples de Jésus, « joie » ne rime ni avec « bonheur » ni avec « plaisir ». « Joie » rime avec « foi » et « voie » et « croix ».
Ce matin, peu importe ce que nous sommes venus voir. Et peu importe comment nous sommes arrivés. Nous sommes heureux parce que nous savons déjà ce que Jean ne pouvait même pas imaginer. Nous savons où Jésus veut nous amener. La voie que le Seigneur nous ouvre lui-même, c’est le chemin de la croix. Même la mort n’est pas une impasse. Même la mort est un chemin de vie toujours nouvelle et éternelle ! La Joie n’est pas l’absence de douleur, de doutes, de colère et d’angoisse mais la transformation de toutes nos souffrances en sources jaillissantes … la métamorphose de tous nos déserts stériles en terreaux fertiles. La Joie de l’Avent, c’est l’éclat de la résurrection qui point déjà à l’horizon.
Frères et sœurs, en marche ! Allez ! Même vous qui n’êtes pas certains d’être à votre place. Un pas de plus ! Même si vous ne voyez pas très clair où vous allez. Même si vous n’entendez pas très bien la voix du Seigneur, même si vos mains sont fatiguées et vos genoux sont chancelants. Il y en a qui avancent en fauteuil roulant, d’autres à l’aide d’une canne blanche… d’autres encore qui lisent les signes sur les lèvres des autres. Peu importe ! En avant ! Ensemble nous aurons la force… et assez de lumière… pour danser de joie avec la création toute entière.
Peu importe ce que vous êtes venus voir, en vérité, en vérité je vous le dis, par la grâce de Dieu, nous n’avons rien vu encore. Amen.
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