« Nous ne sommes pas seuls. » Ainsi débute… et se termine… notre confession de foi. Nous ne sommes pas seuls. On le dit deux fois plutôt qu’une. Peut-être parce qu’il est si facile de l’oublier… même pour les gens de foi.
Depuis des années, bien avant l’arrivée du Coronavirus, on parlait déjà de l’isolement comme un fléau social au Québec, particulièrement chez les personnes âgées. Avec l’apparition du virus, la distanciation, le télétravail… des gens de tous âges et de tous les milieux sociaux souffrent de plus en plus de leur solitude, de leur isolement… même nos frères et sœurs les plus proches. « Nous ne sommes pas seuls. » Plus que jamais, il faut se le répéter… deux fois plutôt qu’une. Et il faut se tourner vers Dieu, et faire tourner les pages des Écritures, pour se rappeler comment Dieu est présent avec nous… même quand nous nous sentons fins seuls… comme Jacob devait se sentir la nuit où il traversa le Yabboq…. en allant à la rencontre de son frère aîné, celui que Jacob avait spolié… ce frère qui lui en voulait à mort.
C’était la nuit noire. Nuit de solitude et d’angoisse. C’était une nuit blanche… comme on en passe quand nos peurs, nos inquiétudes et nos angoisses roulent en boucle dans notre tête. Jacob passe la nuit à rouler dans la poussière – la matière première et destination finale de toute vie. Il lutte avec un homme… et refuse de lâcher-prise. Source de souffrance et de transformation, cette expérience marquera Jacob à tout jamais. Il en gardera des séquelles (il boitera de la hanche)… mais il portera aussi un nom nouveau : « On ne t’appellera plus Jacob mais Israël car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l’as remporté. » (v. 29). Mais avec qui Jacob a-t-il lutté au juste ? N’est-il pas vrai que dans la noirceur, il nous est difficile de distinguer la présence et l’activité de Dieu dans notre vie ? Et si ce n’était pas un ange ou Dieu, mais l’un de ses propres démons ? Jacob veut en avoir le cœur net. « De grâce, indique-moi ton nom. », dit-il. Mais nommer quelqu’un, c’est exercer un pouvoir sur lui. L’adversaire… ou le partenaire de lutte… de Jacob refuse qu’on ait mainmise sur lui. Il n’obtempère pas, mais répond à Jacob en le bénissant. Ce que Jacob cherche depuis toujours… lui est accordé… là, au terme de la nuit, au terme de sa lutte.
Jacob, qui se croyait fin seul, a été accompagné tout le long. Où est Dieu au creux de notre nuit ? Qu’on le reconnaisse ou pas (Genèse 28, 16), Dieu est éternellement à nos côtés. Où que nous soyons, Dieu est celui qui nous tient compagnie (du latin com panis, qui veut dire « avec pain »). Dieu est celui avec qui on partage le pain. Sur tous nos chemins – chemins de joie ou de tristesse, chemins de triomphe ou d’échec, chemins de solitude ou de solidarité – Dieu est notre compagnon de route. Nous ne sommes jamais seuls. Tous nos chemins lui sont familiers. Nous n’avons qu’à nous tourner vers Jésus pour le voir.
Ce matin, Jésus marche dans le deuil. Il vient d’apprendre la décapitation de Jean-Baptiste. « À cette nouvelle, Jésus se retira de là dans une barque, à l’écart dans un lieu désert. » Jésus sait ce que c’est avoir besoin de recul, de repos. Il sait ce que c’est avoir besoin de se retirer un certain temps… pour encaisser un choc, pour vivre une grosse peine. Pourtant, Jésus n’est pas parti longtemps… et déjà il est sollicité de tous bords tous côtés. Jésus se tient au milieu de la foule, au cœur de la souffrance humaine. Et il est pris de pitié… il est littéralement « remué aux entrailles », pris aux tripes (le siège des émotions, de l’amour et de la compassion). Jésus est ému de compassion. Compassion. Com-passion… ça veut dire « avec passion » ou « souffrir avec ». Jésus souffre avec gens qui le suivent. Il porte jusque dans ses tripes leurs douleurs, leurs doutes, leurs angoisses et leurs luttes… pour que ses disciples de tous les temps et en tous lieux, communient à sa vie.
L’Évangile de ce matin nous renvoie à la Cène. Jésus lève les yeux au ciel, prononce la bénédiction sur le pain, le partage et le donne. C’est ainsi qu’il va donner sa vie pour nous, pour que plus rien ne nous sépare de Dieu. Nous ne sommes jamais seuls. Où que la route de la vie nous mène, Jésus nous offre la nourriture dont nous avons besoin pour aller plus loin. Jésus donne du pain, symbole de nos besoins physiques et matériels de base (comme dans « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »). Et il y a aussi du poisson, symbole de la foi et de l’espérance chrétiennes. Aux foules qui se rassemblent autour de lui, Jésus donne de quoi se nourrir le corps, l’âme et l’esprit… ce qu’il faut pour avoir la force et le courage d’avancer à sa suite, de vivre selon son exemple : compagnie, compassion, communion. Cela pourrait être notre énoncé de mission.
Ainsi, ce matin, Jésus nous dit, à nous aussi : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », Il ne faut pas, me semble-t-il, entendre ces mots sur un ton d’indifférence… du style : « Achalez-moi pas avec ça ». Jésus sait ce que nous avons et ce dont nous sommes capables. Ce matin, j’entends Jésus essayer de responsabiliser ses disciples, à augmenter notre confiance en nous-mêmes, à faire de nous de vrais partenaires. Jésus multiplie ce qu’on lui offre.
Ce matin, Jésus nous dit en quelque sorte, « Allez-y ! Donnez-leur vous-mêmes à manger ! Vous avez déjà tout ce qu’il vous faut pour faire toute la différence dans la vie des gens autour de vous, pour répondre aux besoins les plus pressants de vos frères et sœurs, pour être une bénédiction pour les autres selon la promesse que Dieu a faite à Jacob, notre ancêtre dans la foi (Genèse 28, 14).
Forts de cette promesse, poursuivons notre route à la suite du Christ en toute confiance. Nous ne sommes jamais seuls. Là où deux ou trois se rassemblent en son nom, il y a compagnie, compassion et communion. Amen.
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