Toutes et tous unifiés / rapaillés / monos

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.[1]

Le printemps est arrivé, officiellement; à voir les gens sortir au soleil on n’en doute pas : le plein air nous a manqué. Le nombre d’adeptes du jogging et de la marche athlétique est impressionnant. La mise en forme est donc devenue centrale au style de vie de bien des gens, ce qui est assurément une excellente chose : un esprit sain dans un corps sain dit l’adage. En observant ainsi mes concitoyens pratiquer leurs exercices avec ardeur, il m’est revenu à l’esprit cette considération de l’apôtre Paul, encore bien actuelle presque 2000 ans plus tard : pour gagner une couronne périssable, les athlètes s’imposent une discipline rigoureuse; et moi donc, je cours de même, mais je ne vais pas à l’aveuglette, je ne frappe pas dans le vide : je vise une couronne impérissable.[2] Ai-je cette même détermination dans ma pratique spirituelle?

Depuis 2000 ans des hommes et des femmes, passionnés du Dieu de Jésus Christ et animés par son Esprit, se sont ingéniés en utilisant les moyens de leur époque et la compréhension du monde de leur temps, à créer une façon de vivre la durée limitée de leur existence pour mettre au cœur de leur vie la rencontre. C’est à ce courant deux fois millénaires que les sœurs protestantes de Grandchamp sont allées puiser les éléments de leur règle, dont cette première stance lue plus tôt : Prie et travaille pour qu’Il règne. À première vue, ermites, moines, moniales, gyrovagues, pourraient être considérés un peu comme les athlètes de la discipline spirituelle. Leur existence fascine, comme celle des athlètes, et ils nous sont habituellement présentés comme des individus d’exception. Et si pourtant le sérieux qu’ils accordent à la rencontre du divin et à la transformation de l’existence qui en découle était en fait la normalité de l’expérience de foi plutôt que l’exception? Et que la mise en forme spirituelle était ce à quoi tous et chacune de nous sommes conviés ?

Le but de la vie intérieure (prie) et de l’activité créatrice et productrice (et travaille) c’est l’avènement d’une vie selon le dessein de Dieu (pour qu’Il règne). La prière est essentiellement une expérience de perméabilité à la vision de Dieu; un mouvement de l’Esprit qui sollicite de l’intérieur (par mon intellect, ma sensibilité, mes émotions, mon intuition) ma réceptivité, qui me conduit à comprendre et faire miennes les valeurs divines, le point de vue divin sur les êtres et les choses, la vision divine sur la vie sociale et l’attitude œcuménique autant qu’écologique à l’égard de la Mère-terre et des vivants.

Le travail, quant à lui, c’est tous les comportements, gestes et paroles habités par cette vision qui imbibe d’une portée sacrée et jubilatoire tous nos travaux et labeurs. Aucune tâche n’est négligeable ou insignifiante : tout est dans l’attitude que j’y apporte.

Prie et travaille pour qu’Il règne. Ce qui est regrettable c’est que ça nous prend souvent toute une vie pour le réaliser et qu’au moment où nous commençons à le saisir et à agir en conséquence… c’est déjà le temps de partir! Ne serait-il pas bien d’apprendre à vivre unifié, simplifié, rapaillé[3], (moine ou moniale au sens premier du terme[4]), le plus tôt possible dans notre existence et de partager cet engagement évangélique [5]autour de nous pour qu’Il règne?

Alors, sœurs et frères, allumons!  Dieu est toujours là : le règne de Dieu surgit dans l’instant présent par le dynamisme permanent de l’Esprit de la vie, la source de toute sainteté. Secondes après secondes… minutes après minutes… jours après jours… Dieu est toujours là et m’attend; mais moi, si souvent, je suis ailleurs… Dans mes désirs, mes peurs, dans mes convoitises, mes distractions. Je me construis une existence par la force de mes bras, de mon savoir, de mon avoir. Je m’attache à ma vie dans ce monde, selon l’ordre apparent des choses, et je perds alors de vue la vie selon la vérité profonde des choses, la vie qui bat, qui jaillit de Dieu, celle qui est offerte à chaque instant à accueillir, à goûter, à célébrer.

Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance[6]. Mourir au contrôle pour renaître à une fécondité surabondante, source de joie et de bienfaits pour moi comme pour le monde.

La vie spirituelle est simple mais elle demande d’aller au bout de soi-même. « S’attacher à sa vie comme acquise c’est manquer la vie comme donnée. »[7] La vie spirituelle est un renversement de la manière de considérer le succès, la réussite, l’accumulation, tout ce qui est l’acquis. La vie chrétienne, le Règne, c’est la vie qui est donnée, qui surgit dans l’Esprit. Chacune, chacun en est le sujet libre et autonome, unique et original. Car notre Dieu est le Dieu de la diversité et de l’inclusion.

Et c’est là que résonne l’actualité permanente de la promesse divine transmise jadis au prophète Jérémie : Voici l’alliance que je conclurai avec la communauté […] je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. Ils ne s’instruiront plus entre [eux], répétant : « Apprenez à connaître le SEIGNEUR », car ils me connaîtront tous, petits et grands – oracle du SEIGNEUR.[8] Toutes et tous unifiés!

Amen.

LECTURES BIBLIQUES

Psaume 51

Jérémie 31,31-34

Hébreux 5,5-10

Jean 12, 24-26

[1] Jean 12,25

[2] Selon 1 Corinthiens 9,25-26

[3] Selon un terme de notre terroir réapproprié par le poète québécois Gaston Miron dans son ouvrage L’homme rapaillé

[4] Voir Raimon Panikkar, Éloge du simple, © 1995 Albin Michel. « Ce livre est le résultat d’un symposium qui s’est tenu en novembre 1980 à Holyoke, Massachusetts, et dont le thème était ‘Le moine comme archétype universel’.  Pour me référer à cet archétype, j’employais alors en anglais le mot monkhood, terme que nous avons à maintes reprises traduit par l’expression : l’état monacal, nous référant à cette dimension constitutive de chaque être humain, qui s’est diversement exprimée au cours de l’histoire mais ne devant s’identifier totalement avec aucune de ces formes d’expression en particulier. Nous assisterons à un débat, quelquefois non dépourvu d’une certaine tension positive, entre le moine traditionnel et le moine nouveau, qui essaye actuellement de trouver une authentique forme d’expression. » p. 9

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouveau_monachisme

[6] Jean 12,26

[7] http://www.lachristite.eu/archives/2020/11/01/38588953.html#_ftn3 © 1997 Jean-Marie Martin, ptre

[8] Jérémie 31,33-34

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