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Depuis la fin de la conférence des Nations-Unies sur le climat il y a deux semaines, j’ai lu et entendu comme vous des bilans surtout mitigés. Si quelques rayons de lumière sont apparus, les plus gros nuages qui semblent boucher l’horizon de l’humanité sont demeurés.
Reconnaissons-le : la rapidité avec laquelle les phénomènes extrêmes se multiplient et s’intensifient, comme nous venons de le voir encore récemment en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, cette rapidité est de nature à faire paniquer. Nous avons le sentiment d’être en train de perdre la course contre la montre; l’aggravation des dérèglements va plus vite que les mesures que nous prenons pour les contrecarrer, ou du moins les retarder ou les atténuer.
Quand on analyse froidement les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il y a matière à être pessimiste. On fait facilement siens les mots de Jésus qui viennent d’être proclamés : « Sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation, tandis que les humains défailleront de frayeur dans la crainte des malheurs déferlant sur le monde » (Luc 21 25-26). Lucide, ce texte mentionne quatre mots qui nous sont malheureusement familiers : angoisse, épouvante, frayeur et crainte. Comme un corset qui nous contraindrait ou une chape qui nous écraserait, l’inquiétude et le sentiment d’impuissance en conduisent plus d’un au découragement et à la démission et incitent à laisser tomber les bras.
Pourtant, dans le même texte, Jésus ajoute cette parole étonnante : « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. Quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche » (v. 28.31). L’attitude positive de Jésus me semble correspondre à la pensée de l’idéologue marxiste Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté ». Car l’espérance est un acte qui implique la volonté. Si l’étude statistique de l’évolution du climat, si les projections et anticipations affolent notre raison, nous avons la capacité d’opter pour l’espérance et de parier sur l’avenir. Nous avons la capacité de « choisir d’habiter la confiance », comme nous l’avons chanté tout à l’heure.
« Choisir d’habiter la confiance » ne signifie pas que les chrétiens seraient des gens qui vivraient sur un nuage rose ou dans un pays de licornes. Nous sommes affectés, comme tout le monde, par l’inquiétude engendrée par l’évolution de la crise climatique et environnementale et ses conséquences dévastatrices sur la vie non seulement des êtres humains, mais de l’ensemble des espèces vivantes. Comme tout le monde, nous avons mille raisons de désespérer.
Et pourtant… Et pourtant, au cœur de cette crise, nous sommes invités à parier sur l’avenir avec Jésus et nous pouvons avoir à justifier l’espérance qui est en nous (1 Pierre 3 15). L’espérance n’est pas qu’une vertu pour les belles saisons de la vie et de l’histoire; elle est une vertu, c’est-à-dire une puissance, à l’œuvre surtout dans les moments sombres et les situations apparemment sans issue.
Plus nous nous nourrissons à la Parole de Dieu transmise par les textes bibliques, plus nous trouvons dans notre tradition spirituelle des appuis solides qui nous empêchent de perdre pied. J’ai choisi de vous en présenter quatre ce matin. Quatre manières, cumulatives et complémentaires, de justifier notre espérance.
Le premier point d’appui est que nous faisons confiance à Dieu qui a créé et qui continue à créer. Notre confiance repose sur la conviction que tel un artisan ou un artiste, Dieu aime son œuvre et veille sur elle. Rares sont les textes qui le disent aussi bien qu’un des livres deutérocanoniques ou apocryphes, le Livre de la Sagesse, écrit une centaine d’années avant Jésus. « Tu as pitié de tous parce que tu peux tout, et tu détournes les yeux des péchés des humains pour les amener à changer d’orientation. Tu aimes tous les êtres et ne détestes aucune de tes œuvres; aurais-tu haï l’une d’elles, tu ne l’aurais pas créée. Tu les épargnes tous, car ils sont à toi, Maître qui aimes la vie, et ton esprit incorruptible est dans tous les êtres (Sagesse 11 23-26). De même, la Bible nous met en présence d’un Dieu créateur qui fait des promesses, telles les promesses de restauration et de justice que nous venons de lire chez Jérémie.
Un deuxième point d’appui de notre espérance réside dans la puissance régénératrice de la nature et de la vie. Les biologistes en auraient long à nous apprendre sur la remarquable faculté des cellules humaines à se réparer, à neutraliser les menaces, parfois avec l’aide des vaccins. Rejoignant les sagesses amérindiennes, ils nous parleraient de la manière étonnante dont de la mort naît une nouvelle vie, comme par exemple au lendemain d’un incendie de forêt. Dieu est à l’œuvre dans cette capacité de la terre de se guérir, lui qui, surtout en Jésus, s’est montré guérisseur, allant jusqu’à apaiser la mer déchaînée. J’ai lu cette belle phrase dont j’ai malheureusement égaré la source : « L’œuvre de la rédemption ne change pas l’ordre naturel des choses, mais elle le guérit et le parfait. »
Quel est le troisième point d’appui de notre espérance dans la crise climatique? Le fait qu’il existe, depuis une lointaine antiquité et comme une loi fondamentale reconnue dans toutes les cultures, la règle « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ». Jésus la fait sienne en la rendant plus impérieuse : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. C’est la Loi et les Prophètes » (Matthieu 7 12). Animés du même Esprit qui animait Jésus, nous rejoignons tous les autres humains dans cette sortie d’évidence basique. Nous avons donc là une base solide pour une solidarité et une collaboration universelle sans lesquelles il sera impossible de surmonter la crise climatique.
Enfin, mon quatrième point d’appui pour l’espérance est que notre tradition spirituelle nous apprend à tenir bon dans la tension de l’entre-deux ou, comme on dit plus familièrement, entre le déjà là et le pas encore. Dans la mort et la résurrection de Jésus et dans le don de l’Esprit, le Règne de Dieu s’est fait proche, il a débuté, et pourtant il est encore à venir. Nous vivons dans l’entre-deux de promesses anciennes : « Voici venir des jours où j’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai adressée à la communauté d’Israël et à la communauté de Juda » (33 14). « Quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche » (Luc 21 31). Tout l’Avent va nous rappeler ces promesses dont Noël célébrera l’accomplissement en Jésus, accomplissement cependant inachevé, si bien que nous chanterons tout à l’heure « Règne en moi ». Cet entre-deux que nous habitons est le lieu de la liberté et de la responsabilité humaine, et nous savons, par notre expérience de disciples, que l’être humain est capable de changer. Capable de changer d’orientation. En langage chrétien, ça se dit : capable de conversion.
Mes sœurs, mes frères, mes ami.es, rappelons-nous souvent ces convictions essentielles. Dieu est le créateur qui aime son œuvre et il en est aussi le guérisseur. Il a placé en tous les humains la Règle d’or comme base de la solidarité universelle et il reste présent dans la tension entre le déjà là et le pas encore, lieu et espace de conversion. Ces convictions nous prémunissent du défaitisme et du désespoir; elles nous prémunissent aussi du déni et de la fuite en avant symbolisées par « l’ivresse, les beuveries et les soucis de la vie » mentionnés par le texte évangélique. Ces convictions nous permettent au contraire de nous « tenir sur nos gardes », d’être vigilants, de « rester et devenir veilleurs », comme des sentinelles, « éveillés dans une prière de tous les instants » et de nous tenir non écrasés, mais « debout devant le fils de l’Homme », lui l’envoyé du Créateur à qui appartiennent le passé, le présent mais aussi l’avenir, lui « qui est, qui était et qui vient » (Apocalypse 1 8). Amen.
LECTURES BIBLIQUES
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