Se réjouir : le virage ambulatoire du Royaume

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Enfant j’aimais bien les parades. Contrairement à Québec, il n’y avait pas de garnison dans la ville où j’ai grandi, donc pas de régiment à admirer pour la rigueur géométrique de leur déploiement, pas de défilés aux pas cadencés claquant sur le macadam ni bien sûr la prestance impressionnante de ces hommes en uniforme. Nous avions plutôt une fanfare municipale, un groupe de majorettes (sexisme des années cinquante oblige) et, bien sûr, les processions de certaines fêtes religieuses dont nous devenions des spectateurs obligés si on avait eu la chance (ouf) de ne pas être embrigadé d’office pour porter une bannière ou transporter la sainte quincaillerie. La déambulation nous conduisait par les rues de la ville selon une logique qui m’échappe encore aujourd’hui, si ce n’est de prolonger l’évènement jusqu’au moment ultime qui se voulait une fête, l’arrivée à l’église. Ce n’est que bien des années plus tard, extirpé d’une appartenance religieuse nominale, que j’ai saisi au moins un petit peu l’intention symbolique de telles mises en scène liturgiques. J’étais alors vibrant d’une expérience d’éveil à la foi toute récente, grâce de Dieu bien imméritée, expérience qui m’a transformé pour la suite de mon existence.

C’est à la lecture de passages des Écritures comme celui-ci, qu’il m’a semblé comprendre la pertinence continue de ces narrations millénaires, l’intention pédagogique dans leur transposition liturgique puis, avec le passage des ans, que j’ai ressenti combien ces extraits sont toujours d’une actualité douloureuse et criante. Les exodes massifs de population sont à la hausse et vont le demeurer. Familles et individus qui doivent quitter leurs foyers pour trouver leur subsistance, fuir les violences de la guerre, les agressions criminelles ou les persécutions institutionnelles, abandonner leur lieu de résidence devenu inhabitable à cause de catastrophes dites naturelles, les raisons sont multiples. Les actualités nous montrent régulièrement de telles groupes migratoires, compagnons d’infortune, malades et infirmes, victimes d’exactions sordides chemin faisant, en route vers l’espoir d’un avenir meilleur si seulement…

Ce matin, l’extrait d’Ésaïe, repris par les paroles de Jésus dans l’évangile de Matthieu, décrit un telle aspiration en termes de guérison des handicaps humains : les yeux des aveugles verront, les oreilles des sourds s’ouvriront, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie.[1] Et de manière semblable pour le monde naturel : les eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif en sources jaillissantes.[2] Des millénaires d’efforts humains, en dépit des progrès notables et de l’évolution, semblent pourtant démontrer l’incapacité de l’humanité à réaliser l’utopie qui semble s’embourber de manière croissante dans la dystopie. Ce rêve de plénitude et d’harmonie, de santé et de paix qui monte des cœurs et des esprits des hommes et des femmes transmis de générations en générations n’est-il qu’une illusion, une programmation psychologique génétique d’auto-préservation?

Les croyants que nous sommes considèrent qu’il s’agit plutôt d’une dimension intérieure (l’âme?) conçue par le processus d’évolution de l’espèce pour l’ouvrir à la finalité ultime de cette longue marche de l’humanité sur les chemins de l’espace et du temps, sur notre planète voire dans le cosmos. Dites à ceux qui s’affolent : Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu…il vient lui-même vous sauver,[3] déclare le prophète. Ce salut, Bonne Nouvelle de miséricorde et de guérison, est l’initiative gratuite de Dieu, une invitation à la joie lancée à tous les humains, invitation transmise dans l’histoire du peuple hébreux et cristallisée en Jésus qui en est le chemin d’accès, le Christ Messie. Le Seigneur lui-même ouvrira la voie qu’on appellera la voie sacrée… Ceux qui appartiennent au Seigneur prendront cette route.[4] Voilà la Bonne Nouvelle de ce 3e dimanche de l’Avent, une flamme joyeuse qui éclaire la longue marche des siècles et le fondement sacré de la destinée ultime à laquelle l’humanité est appelée : Ceux que le SEIGNEUR a rachetés arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages, une joie sans limite ! Allégresse et joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s’enfuiront.[5]

Ce récit repris chaque année dans le cycle de l’année liturgique est une évocation de la fin vers laquelle nous nous dirigeons; sa portée symbolique distille courage, patience et persévérance, dès maintenant, pour la poursuite de notre marche, dans notre façon de vivre et le choix de nos valeurs pour la durée de la route. Clopin-clopant, nous avançons sur la voie sacrée; et ce chemin il est sacré non seulement parce que le Seigneur est en tête de la marche et que nous sommes à sa suite mais bien parce que nous faisons route ensemble, vous et moi, avec tout le monde. Nous devenons les uns les unes pour les autres l’expression de l’image de Dieu : nous rendons présents son amour, sa compassion bienveillante et sa puissance de grâce et de guérison. Nous rendons possible l’irruption du sacré dans la vie immédiate. Nous sommes en route vers Sion, la montagne du temple, à Jérusalem, image de l’accès total et permanent de l’humanité auprès de Dieu. Une route sacrée de guérison et de restauration qu’on peut véritablement qualifier de virage ambulatoire. Avançons ensemble dans la joie, la force requise pour la marche nous sera donnée et, chemin faisant, par l’Esprit, on verra la gloire du SEIGNEUR, la splendeur de notre Dieu[6] reluire sur le visage de nos compagnons et compagnes de route. Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Ésaïe 35, 1-10

Matthieu 11, 2-11

[1] Ésaïe 35,5-6

[2] Ésaïe 35,6-7

[3] Ésaïe 35,4

[4] Ésaïe 35,8-9

[5] Ésaïe 35,10

[6] Ésaïe 35, 2b

2 commentaires

  1. Robert Malo says: · ·Répondre

    Mon cher Denis,
    j’ai lu avec grand intérêt et avec joie bien sûr ta dernière prédication!! Tu as fait référence à notre petite ville de campagne…je comprends qu’il s’agissait de la mienne aussi!
    Ton propos est toujours approprié quant tu fais référence à tous ces immigrants et peuples déplacés à cause de politiques désastreuses que seuls certains dictateurs ou mauvais politiciens essaient d’appliquer au détriment des pauvres gens.
    À tous les jours, on constate avec impuissance les peines et misères de ces peuples qui souffrent dans le froid et sans toit. Je fais bien sûr référence à ce qui se passe plus particulièrement en Ukraine mais aussi, bien entendu, dans d’autres régions du globe.
    Misère sur misère j’implore notre Dieu de les aider et de mettre fin à toutes ces calamités…si cela est possible et comme l’a dit si bien un lutteur de notre jeune temps…si Dieu le veut! (paroles du lutteur Édouard Carpentier!)
    Mon cher ami de toujours je te porte dans mon coeur et te souhaite toute la grâce du Seigneur!

    PS Pour les parades de notre patelin, mes yeux se tournaient plus du côté des marjorettes que des musiciens en parade militaire…c’était plus adapté à mes goûts du moment!!

    Avec mon affection,

    Robert

    • Denis Fortin says: · ·Répondre

      Cher Robert, merci pour ce prolongement de réflexion et d’appel à une prière engagée et solidaire. Ton amitié bienveillante au long des ans est une bénédiction et ta prière un soutien sur ce chemin vers Sion sur lequel nous sommes engagés, chacun à notre façon, selon l’appel de Dieu. Par grâce, nous sommes et demeurons compagnons de route. Affection fraternelle. Ultreïa !
      Denis

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