Les récits des Écritures sont davantage que des narrations. Bien sûr, les textes relatent des évènements survenus dans des lieux précis pour valider qu’il s’agit bien là de faits réels, qui se sont véritablement produits. Jésus parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph, là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C’était environ la sixième heure. Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.[1] Mais si nous écoutons encore et toujours ces histoires et que nous les considérons paroles de Dieu, ne serait-ce pas pour leur capacité subtile, mystérieuse, de nous rejoindre intimement, de faire bouger des choses en nous? À partir de l’enracinement historique de situations particulières, nous nous approprions les dimensions universelles et le plus souvent permanentes de ces récits. Comme l’eau au fond du puits reflète la lumière qui entre par son ouverture et qui du même coup trace les contours de la personne qui s’y penche pour puiser. Le texte biblique devient alors l’Écriture, c’est-à-dire ce lieu qui n’en est pas un où advient la rencontre de Dieu esprit qui doit être adoré en esprit et en vérité.[2] C’est là qu’on s’expose à l’authenticité.
Quels éléments de ce long passage entendu jusqu’à maintenant résonnent particulièrement en vous ce matin? Une parole, un détail des lieux, l’un ou l’autre des personnages? Tout est susceptible d’évoquer quelque chose en vous, un questionnement qui vous habite, la prise de conscience d’une impasse, d’une inquiétude, d’un regret, d’un besoin, d’un désir inavoué… Le puits peut être compris comme le résultat de l’effort humain pour atteindre sa source, son identité, et d’irriguer et désaltérer nos existences. On se penche pour puiser avec un outil fait par nous, un seau. Instrument personnel, utile mais forcément limité. Nos réflexions sur nous-même, les outils de thérapie et d’exploration, d’accompagnement. En regardant au fonds du puits, on voit passer les ombres de nos blessures, de nos échecs, de nos erreurs, de nos fautes.
C’est à midi, alors que le soleil est au zénith (maximum de luminosité) que la rencontre a lieu entre la Samaritaine et Jésus. En se penchant malgré la lumière qui l’environne, c’est l’obscurité des profondeurs et le lointain miroitement de l’eau au fond qui est perceptible. L’eau qui s’y trouve est utilitaire, nécessaire, mais stagnante. Donne-moi à boire demande Jésus. Il brise les conventions sociales et religieuses : il est seul avec une femme, une Samaritaine, il n’a rien pour puiser l’eau. La femme est valorisée dans son identité tout autant que sa capacité, car cet homme juif a besoin d’elle, il ne la prend pas de haut. Telle est l’attitude de Dieu à notre égard, : sans s’imposer, il vient à notre rencontre et sollicite ce que nous sommes dans nos compétences, nos dons afin de leur donner un prolongement inédit et illimité. Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive.[3] Et cela se réalise dans un dialogue respectueux et même égalitaire malgré la disproportion des êtres en présence : Celui qu’on appelle Christ, lorsqu’il viendra, nous annoncera toutes choses. Je le suis, moi qui te parle.[4]
Le récit mentionne une sorte d’aller-retour de l’entendement : parle-t-on de l’eau matérielle ou de l’eau spirituelle? De quel puits tire-t-on cette eau ou est-ce une fontaine? Jésus rencontre la Samaritaine dans la réalité de son histoire de vie : Tu dis bien :“Je n’ai pas de mari”…en cela tu as dit vrai.[5] Sans dissimulation, dans la reconnaissance de ses ombres et manquements, l’eau vive du pardon, de la guérison et du renouveau peut jaillir. Qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; au contraire, l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle. Eau vive, eau jaillissant en surface, une fontaine. Je n’ai pas à me pencher et à inventer une technique pour aller puiser. Elle jaillit… elle jaillit en moi. En chaque personne il y a une source. C’est la grâce du salut gratuit, l’eau vive de Jésus, fontaine sous pression, exubérance, et ouverture à accueillir dans la foi pour s’y désaltérer et irriguer nos vies et, à travers chacune et chacun de nous, le monde. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Jean 4,5-8
[2] Jean 4,24
[3] Jean 4,10
[4] Jean 4,25-26
[5] Jean 4,17-18
Un commentaire