À l’occasion de la Fête nationale du Québec de cette année, notre frère Richard a composé une prière qui a paru dans l’infolettre des Ministères en français et a été reprise dans un courriel adressé au réseau des membres et ami.e.s de cette paroisse. Cette prière dit devant Dieu : « nous, Québécois », dans une Église, la nôtre, où l’identité québécoise donne de l’urticaire à beaucoup de membres influents. Cette prière de Richard mentionne du même souffle les « onze nations autochtones » qui vivent avec nous sur cette terre du Québec qu’elles ne nous ont en rien cédée. Notre Église, elle, nous réjouit quand elle salue toutes les nations autochtones du Canada par leur nom et leur fait une place de choix en parole et en action ; mais elle me désole, et peut-être vous aussi, quand elle évite le plus possible de prononcer ensemble les mots « nation » et « québécoise »! Devant ce genre de politisation par omission, on peut faire comme si on ne s’en apercevait pas, tout en se disant à soi-même, comme le personnage d’une chanson de Vigneault : « Tu penses que j’m’en aperçois pas! » On peut aussi se rappeler l’injonction faite aux pasteurs par le célèbre théologien suisse Karl Barth (1886-1968) de prêcher en tenant la Bible d’une main et le journal de l’autre; le journal étant ici à son époque un signe tangible pour désigner ce qui nous interpelle comme chrétiens et chrétiennes dans l’actualité, aussi bien celle de l’Église que celle de la société.
La question nationale est un signal toujours actuel dans l’Église-institution à laquelle est rattachée la communauté chrétienne dans laquelle nous sommes réunis ici aujourd’hui. Il clignote en permanence dans le nom qu’elle s’est donnée, lors de sa fondation, en 1925 : The United Church of Canada/L’Église Unie du Canada. À l’époque de mes études en vue du pastorat, Le Séminaire uni, quoique situé au Québec, était, en fait, The United Theological College, compte tenu de la langue d’usage qui y prévalait, à quelques exceptions près. Cette langue y était chez mes confrères et consoeurs d’étude la manifestation extérieure d’une forte identité Canadian, indiscutable et prise pour acquise. Je prenais donc, à l’occasion, un malin plaisir à les provoquer, en affirmant, en anglais bien sûr – autrement, je n’aurais pas été compris -, que L’Église Unie du Canada n’est pas, en réalité, L’Église unie du Canada. En effet, ce n’est pas la dévotion au Canada qui est censée nous y attacher, mais bien celle au Christ. J’enchaînais en disant que si son nom correspondait à ce qu’elle est censée être, elle devrait s’appeler, comme l’Église qui lui ressemble le plus aux États- Unis, The United Church of Christ/L’Église Unie du Christ. Avec un brin de malice en plus, j’ajoutais que dans cette Église Unie du Christ, il pouvait même y avoir des membres qui s’identifient très fort au Christ et très peu au Canada. Je disais soupçonner que dans ma propre paroisse, il s’en trouvait qui avaient voté « oui » au référendum de 1980 et allaient encore voter « oui » à celui de 1995 qui approchait. Le silence poli et malaisé qui accueillait cette affirmation, somme toute assez factuelle et banale, était pour moi la réponse la plus éloquente qui soit, par rapport à l’amalgame qui existe entre religion biblique et nation politique, dans notre Église comme dans la plupart des Églises.
Dès les premiers temps, pourtant, l’apôtre Paul a vu venir cet amalgame et a voulu mettre les disciples en garde contre son possible empiètement sur l’identité chrétienne. « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, écrit-il aux Galates, car tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. » (Ga 3, 28). Nous avons aussi lu cette parole de l’apôtre Pierre dans le livre des Actes : « Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. » (Ac 10, 34-35). Malgré l’idéal exprimé dans ces propos de Paul et de Pierre, à l’étape de fondation des premières Églises, il se trouve que l’identité nationale a souvent, dans l’histoire, embrouillé l’identité censée être, par définition, l’identité fondamentale dans les Église du Christ : l’identité chrétienne. L’entremêlement de l’identité nationale et de l’identité chrétienne a même eu comme corollaire, pendant des siècles, une étroite association des Églises aux États nationaux et à leurs empires, quand ils en ont eus. Cette constatation vaut pour presque toutes les confessions chrétiennes, jusques et y compris la grande majorité de celles issues de la Réforme.
Vraiment, la relation entre religion biblique et nation politique est un amalgame difficile à décanter. Le verset du prophète Amos que nous avons lu est un des rares de la littérature prophétique où Dieu dit aux Israélites qu’ils sont à ses yeux comme toutes les autres nations : « Pour moi, n’êtes-vous pas comme des fils de Nubiens, fils d’Israël? » (Am 9, 7). Jésus renouera à sa manière avec ce filon prophétique. L’épisode de la Cananéenne que nous venons de lire nous en dit long sur son comportement, dans une situation où son identité nationale, qui est en même temps une identité religieuse, est mise au défi de la compassion et de la solidarité, sur la base d’une relation de foi, c’est-à-dire de confiance. Il est bien campé dans son identité, il l’affirme même dans des termes qui nous apparaissent choquants, tout en étant capable de la dépasser, dans un rapport humanitaire qui accueille l’autre et lui vient en aide dans sa différence.
Dans la suite de Jésus, porteurs et porteuses que nous sommes d’identités nationales, l’Évangile nous appelle à être plus chrétiens et chrétiennes que Canadians, plus chrétiens et chrétiennes que Québécois et Québécoises. Ceci dit, il n’y a pas de raison qui vaille pour nous empêcher d’être nous-mêmes devant Dieu, en portant devant Lui notre identité… québécoise, si elle est de celles qui nous animent, même si la très grande majorité des membres de notre Église est plus portée sur la Canadian. À cet égard, la prière de Richard rédigée dans le contexte de la Fête nationale du Québec sonnait juste et était pour moi inspirante.
Et pour ce qui est des problèmes ethnoculturels et linguistiques de notre Église, je laisse à ceux et celles qui sont encore dans le feu de l’action le soin de les résoudre ou, au moins, de les atténuer. Avec d’autres, j’ai essayé, en mon temps, d’y faire avancer la cause du français et des francophones, tout en m’autocensurant à tort pour ne pas prononcer trop souvent le mot « Québec ». Pas facile! mais cette Église-là, on ne la choisit pas pour ses défauts. On la choisit pour ses qualités. Au moins, à la différence d’autres institutions ecclésiastiques, ses défauts ne portent pas sur l’essentiel. Au-delà des limites de nos paroisses francophones du Québec, de la Table de concertation et du Conseil régional auxquels elles sont rattachées, elle nous fait parler anglais et essaie de nous camper dans une conception du multiculturalisme où nous sommes censés n’être qu’une minorité ethnique ou une communauté culturelle plutôt qu’une nation. Aux yeux d’un observateur critique, ce sont là des à-côtés politiques de son histoire coloniale. Ils ne touchent pas au cœur de la foi chrétienne, cependant. D’après moi, ils ont nui et nuisent encore à sa mission au Québec. Mais pour ceux et celles qui sont d’accord avec ces à-côtés politiques ou qui peuvent s’en accommoder malgré tout, comme c’est mon cas, notre Église propose une identité chrétienne ouverte, sans doctrine rigide, ni morale étriquée, ni régime autoritaire qui fassent écran entre l’Évangile et nous. Elle nous fait confiance et nous accompagne discrètement dans le cheminement que nous menons pour comprendre et vivre cet Évangile. Nous avons la liberté d’être simplement une communauté de personnes interpelées par Jésus le Christ et la Voie qu’il a ouverte pour nous. Comme lui devant la Cananéenne, nous pouvons être nous-mêmes tout en passant outre à la différence qui nous distance de l’autre en besoin de notre compassion et de notre solidarité. Ce dimanche est pour nous jour du Seigneur : pour nous maintenant et pour ceux et celles qui aujourd’hui, passeront après nous dans ce lieu de culte. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
Photo: par Neal E. Johnson sur Unsplash
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