Plus de 2500 ans nous séparent de l’auteur du Livre de Josué. Et oui, ne trouvez-vous pas ça déroutant ? 2500 ans…
Historiquement parlant – si on en croit les études historico-critiques – l’écriture du Livre de Josué correspondrait avec le retour des exilés à Jérusalem et le renouvellement du judaïsme, un peu plus de 500 ans avant Jésus Christ. Nos ancêtres spirituels, après avoir été déracinés à Babylone, redécouvrirent les grandes figures héroïques qui forgèrent l’histoire d’Israël et dont les récits se transmirent de bouche à oreille. C’est un temps d’effervescence culturelle et cultuelle.
Il faut dire que le peuple avait grand besoin de solidifier son identité : le retour d’exil ne fut pas simple. Jérusalem en ruine, le peuple de Dieu repartait quasiment à zéro. C’est peu dire que Josué, tout comme Moïse et Abraham, a certainement été de ces figures patriotiques qui permirent à nos ancêtres de reprendre courage et de s’enraciner à nouveau dans leur relation à Dieu. Quoi de mieux, pour exciter le patriotisme, qu’une bonne vieille histoire de guerre en notre faveur !
Toutefois, on peut convenir que le Livre de Josué peut s’avérer pénible à lire aujourd’hui.
2500 ans plus tard… Alors que nous sommes toujours en processus de réconciliation avec les Premières Nations en Amérique du Nord, voici que nous lisons le récit des prouesses d’une culture dominante. Une culture, cela dit, s’emparant d’une terre où de nombreux autres peuples cohabitaient et dont les enfants comme les aînés passeront au tranchant de l’épée.
Pas facile d’ouvrir un livre exaltant le début d’une colonisation violente et meurtrière. C’est une partie de l’histoire sainte qui n’est pas à mon avis sans avoir influencé nos ancêtres pour qui la culture chrétienne et européenne avait droit de supériorité sur les Premières Nations. Pas facile, en effet, d’ouvrir aujourd’hui le Livre de Josué…
Pourtant, rester dans l’inconfort et refuser de faire face à ce récit nous ferait oublier que tout un monde sépare Jésus et Josué. Israël, pourtant cimenté dans ses propres récits victorieux, se retrouve alors au temps de Jésus dans une situation inattendue. Ceux qui colonisèrent Canaan et exterminèrent les autres peuples se trouvent maintenant à être à la proie de l’hégémonie romaine. Quel revirement de situation !
Nous aurions raison de nous questionner sur le possible lien à faire entre Josué et la parole que Jésus a énoncée. Toutefois, l’Esprit m’a amené tout au long de la semaine à essayer de lire entre les lignes du texte pour y découvrir finalement un enseignement plutôt surprenant.
« Qui me mangera vivra par moi, dit alors Jésus à ses disciples scandalisés. [Ce pain] est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité. »
Imaginez-vous, compte tenu de tout ce qu’on vient de se dire, quelle a été la réaction des disciples dont certains s’obstinent encore à croire en la toute-puissance d’Israël ! Cela dut être un dur coup pour ceux qui prétendirent encore « posséder une terre » donnée par Dieu, un supposé « don » pour toute l’éternité. Les figures patriotiques sont mortes avec leurs aspirations, mais ceux qui mangeront du Pain de vie vivront pour toujours. Face à un Israël colonisé par Rome et qui tient encore à ses représentations… Jésus n’y va pas de main molle !
Qu’elle surprise ce matin de découvrir notre Jésus qui semble différencier le « Pain de vie » – c’est-à-dire la communion fraternelle à Dieu – d’avec le « pain » des ancêtres et dont la pâte à longtemps levé grâce aux grands récits patriotiques et identitaires.
Ce n’est pas la première ni la dernière fois, cela dit en pensant, que Jésus ose rejeter l’hégémonie des récits patriotiques. On se souvient peut-être de cette fameuse scène – toujours dans l’Évangile selon Jean – où le peuple s’oppose à Jésus en lui disant : « Nous avons comme Père Abraham… Es-tu plus grand que notre père Abraham, qui est mort ? » À Jésus de fournir la réponse qui lui a valu d’être crucifié : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, JE SUIS. »
« [Ce pain] est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité. »
Ce n’est pas en Abraham ni Josué qui sont morts qu’il faut nous enraciner comme peuple ; mais dans le Pain de vie. Le fondement de notre foi ne tient pas sur des récits patriotiques qui divisent, mais sur Dieu qui nous nourrit et nous unit. On ne s’en rend peut-être pas compte sur le coup, mais la progression de la réflexion théologique qui démarque le discours de Jésus et Josué concernant Dieu et sa relation à l’humanité est incroyable.
C’est cette même progression qui d’ailleurs – à mon sens – a permis cette transition du thème de la guerre à celui du combat spirituel que nous avons entendu chez Paul. Le combat de la foi – ces armes spirituelles dont il nous parle s’inscrivent dans un tout autre registre que celui du nationalisme et l’extermination des peuples jugés indésirables. Pas question ici d’un appel à une victoire contre Rome ou encore le gain d’un territoire au nom de Dieu, mais d’un appel à persévérer dans le service rendu à autrui comme le service rendu à Dieu.
Le combat à livrer ne se trouve plus à être contre notre prochain, mais un combat qu’on doit plutôt livrer de l’intérieur. C’est un appel à la résistance spirituelle contre un aspect de notre nature qui nous rend enclins à la violence contre la Création.
Ces deux exemples nous amènent à reconnaître que le peuple de Dieu change et qu’il importe de faire vérité sur nos agissements pour mieux chercher la réconciliation. Et faire vérité implique aussi de face face à soi-même et de mener le combat contre nos propres peurs qui est finalement cette ivraie contaminant notre Terre rassemblant tous les peuples.
Autrui n’est pas un danger en soi : nous sommes des dangers pour nous-mêmes si nous écoutons notre cupidité, nos recherches effrénées de sécurité financière et identitaire puis nos aspirations au pouvoir. C’est tout le contraire de la communion au Pain de vie qui nous fait sortir de notre ego pour vivre la vie nouvelle dans en communion fraternelle. Une communion ne s’exprimant que par l’amour et la grâce de Dieu.
2500 ans nous séparent du Livre de Josué… 2000 ans nous séparent des Évangiles. Nous aussi, nous avons fait un chemin extraordinaire et livrons en ce même nombre de combats intérieurs nous faisant sortir de nos prétentions et nos fausses représentations. Comme Église, nous sommes continuellement en transition, délaissant les discours désuets afin de laisser place à la révolution fraternelle de l’Évangile.
Saint-Pierre – par exemple – s’est transformé à force de réflexions théologiques et de remises en question. Notre communauté s’est avancée, pas à pas, sur de nouveaux chemins. Nous continuons de nous réformer chaque fois que nous nous réunissons le dimanche pour nous nourrir de la Parole.
Alors que certains d’entre nous participeront à la marche de solidarité dans la cadre de la Fierté de Québec, quel plus bel exemple pour nous que notre posture, notre engagement en vue d’un ministère d’inclusivité ? C’est à travers notre étude de la Parole qui est continuellement interrogée et intégrée à la lumière de la Bonne Nouvelle que nous avons choisi de nous mettre au service de la communauté LGBT – Dieu en est témoin.
2500 ans plus tard… Je vous avoue que j’ai hâte de voir quelle sera notre prochaine étape comme communauté de foi. Quelles découvertes ferons-nous ? Quelles remises en question viendront s’imposer à Saint-Pierre pour que s’ouvre encore plus grand le paysage de son avenir ?
C’est à nous d’écrire notre histoire en posant l’encre sur les pages de ce livre en constante expansion.
Que le Seigneur continue de nous venir en aide et à nous rendre témoin des signes de sa grâce afin que toute l’humanité grandisse en fraternité et en sécurité. Grâce lui soit rendue pour toutes les tempêtes, les larmes, les fêtes, les joies, mais aussi le temps qui passe et qui nous mènera à destination tôt ou tard.
Amen
Un commentaire