L’évangile de ce jour donne un choc, comme ce que produit une douche d’eau froide matinale qui glace la peau, fait frissonner le corps tout entier et dissipe brutalement tout résidu de l’assoupissement de l’intellect durant le sommeil de la nuit. Entende qui a des oreilles pour entendre.[1] Une menace à peine voilée ou un coup de pied au derrière salvifique?
Ce texte est, de l’avis des exégètes, un collage de paroles et d’illustrations regroupées pour faire comprendre la radicalité qu’implique faire route et venir à [Jésus][2] : sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie[3]… qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient, cette personne ne peut être mon disciple.[4] Ouf! Est-ce à dire que je m’illusionne sur ma vie de disciple? Comment accueillir une telle interpellation sans en ressortir découragé, démotivé? À quoi bon? Pendant des siècles ces propos ont servi de légitimation à diverses pratiques dites de retrait du monde : en ermite ou en communauté, posant les fondements du monachisme, de divers ordres religieux et même en favorisant l’émergence de mouvements sectaires parfois tout simplement délirants, ce qui continue encore jusqu’à ce jour.
Bon au sortir de cette douche d’eau froide, que pouvons-nous comprendre de ce texte, ne l’oublions pas proclamé, reçu et destiné à la communauté des disciples, de l’Église que nous formons ce matin? Voici quelques pistes que je nous suggère. D’abord, être à la suite de Jésus est tout autre chose qu’intégrer de grandes foules faisant route avec [lui][5]; l’invitation à préférer le royaume de Dieu, proclamé et incarné par les gestes de Jésus, est bien sûr faite à tous; dans les faits y répondre tient d’un mouvement intérieur personnel, d’un choix qui s’impose en quelque sorte à partir du plus profond de qui a des oreilles pour entendre[6]. Ensuite, la vie de disciple implique que les relations interpersonnelles, affectives, solidaires, le rapport aux possessions, à l’avoir et au pouvoir, soient vécus à la lumière de la relation première et essentielle à Jésus, au règne de Dieu, porter sa croix et marcher à sa suite [7]. Enfin, une telle manière d’être nécessite une planification réfléchie : il convient d’y penser deux fois plutôt qu’une avant de s’engager ou de déterminer la manière à suivre pour ne pas être quelqu’un qui a commencé à bâtir et qui n’a pas pu terminer![8]
Vivre cette réalité dans notre monde d’aujourd’hui, au cœur des défis multiples et bien concrets de la vie familiale, professionnelle, sociale et économique, voilà l’appel qui nous est lancé personnellement comme disciples, et la raison d’être de la communauté d’hommes et de femmes que nous constituons par l’initiative de Dieu et dans sa grâce. Ce prisme n’a rien de lunettes roses comme on plait à décrire l’expérience spirituelle de nos jours; il s’agit plutôt d’un tamis qui amène à faire un tri serré dans les comportements et les discours qui veulent solliciter l’adhésion populaire et cela à partir des critères exigeants du royaume de Dieu. Les paroles du Chroniste, attribuées à David le poète de la première alliance, trouvent ici un écho magnifique : C’est toi qui domines tout. Dans ta main sont la puissance et la force ; dans ta main, le pouvoir de tout élever et de tout affermir… Qui suis-je et qui est mon peuple pour que nous ayons le pouvoir d’offrir?… Tout vient de toi, et ce que nous t’avons donné vient de ta main.[9]
Dans la Parole proclamée et reçue en communauté, dans le mémorial de la Cène où nous partagerons dans quelques instants le pain et le vin, symboles permanents et efficaces du salut offert gratuitement, l’Esprit divin nous transforme par le témoignage de l’action permanente de Dieu et l’image encore imparfaite mais réelle du Royaume de Dieu.[10] C’est ainsi que nous devenons capables, humblement mais authentiquement, d’assumer toujours davantage cette radicalité de préférer Jésus à tout, de porter notre croix et marcher à sa suite[11]car fidèle à sa promesse de grâce Dieu garde pour toujours les dispositions du cœur de son peuple et dirige fermement son cœur vers Lui[12]. Ainsi se réalise de manière inédite l’expression classique : À bon entendeur, salut! Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Luc 14, 35b
[2] Luc 14, 25a.26a
[3] Luc 14, 26
[4] Luc 14, 33
[5] Luc 14, 25a
[6] Luc 14, 35b
[7] Voir Luc 14, 27
[8] Luc 14, 30b
[9] 1 Chroniques 29, 12.14
[10] Traduction œcuménique de la Bible, Introduction aux livres des Chroniques.
[11] Voir Luc 14, 27
[12] Voir 1 Chroniques 29, 18
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