Le lectionnaire pour ce deuxième dimanche du carême suggérait de prendre les versets 31 à 38 du chapitre 8 de l’Évangile de Marc. J’ai pensé commencer par le verset 27 pour donner un peu plus de contexte et ne pas débuter avec une ‘chicane’ entre Pierre et Jésus qui arrive de but en blanc.
Donc, le texte que je vous propose de regarder de plus près aujourd’hui débute avec Pierre qui reconnaît que Jésus est Christ (Christos en langue grecque; ou Messie, un mot qui prend son origine dans la langue hébraïque) et qui veut littéralement dire ‘consacré par une onction’ – un titre qui désigne pour les juifs le sauveur attendu et promis au peuple d’Israël par Dieu.
Dans la bible hébraïque sont « oint » les rois, les prophètes et les prêtres. Alors on ne sait pas vraiment ce que Pierre a en tête’ en reconnaissant Jésus comme Christos ou ‘consacré par l’onction’. Comme on le verra plus tard dans le récit de la passion (l’entrée triomphale dans Jérusalem, la mort sur la crucifixion, l’insigne ‘roi des juifs’, etc.), il semble qu’il s’agit de vouloir voir en Jésus un roi qui délivrera Israël du joug de l’Empire romain. Une sorte de général en chef d’une puissance militaire.
Toujours est-il que Jésus ne creuse pas plus et commande le silence à tous.
Je voudrais aussi souligner que c’est étrange pour Jésus de provoquer la question sur son identité. Généralement, Jésus recentre l’attention de tout le monde vers Dieu. La question christologique soulevée ici semble plus caractéristique de Marc que de Jésus. [1]
Enfin, l’histoire se continue et chemin faisant Jésus commence à enseigner ce que ça implique d’être Christos. Il devra souffrir, sera rejeté par les instances religieuses – plus préoccupés par les actes et les gestes de la religion que par l’inauguration du Règne de Dieu-, et éventuellement qu’il devra mourir et ressusciter.
[Jésus annoncera sa Passion et sa Résurrection trois fois dans l’Évangile de Marc – ici; en Marc 9.3; et finalement en Marc 10.33-34.]
Jésus a visiblement réfléchi à la situation et en parle tout haut avec ses amis, ses disciples. Il a aussi en tête, j’imagine, le sort qu’Hérode a réservé à Jean le Baptiste, le destin des prophètes d’Israël qui mène souvent à la mort … Il voit le portrait d’ensemble !
Il perçoit que son authenticité, son désir d’inaugurer le Règne de Dieu, de promouvoir un monde où règne l’amour et la justice voulus par Dieu; et de tenir tête aux personnes qui s’entêtent à vouloir mettre d’autres principes avant l’amour de Dieu et du prochain… Que cela vient avec de l’opposition, du ressentiment, des peines, et engendrer de la haine.
Pour Jésus c’est clair ! Quand on marche sur les sentiers de la vérité, quand on continue la route malgré les embuches tendues, la réticence et l’opposition… Il y a des conséquences. Des conséquences qui font mal. Les répercussions sont vilaines, voire mortelles.
Jésus parle de tout ça ‘ouvertement’ comme l’écrit Marc. J’imagine le portrait : Jésus marche et raconte comment il va être traité et brutalisé, comment il devra mourir et qu’il ressuscitera au bout de trois jours. Les disciples qui marchent avec lui et qui l’écoutent au début le trouvent « heavy » comme on l’entend souvent ! Plus ils l’écoutent, plus ils commencent à avoir la trouille. Peut-être même que certains se tournent vers Pierre et lui disent tout bas : « Dis quelque chose, fais quelque chose ». Et là à un moment donné, Pierre en a plein le casque et pète les plombs.
Jésus qui parle de ces événements avec un certain aplomb a certainement ses propres doutes. Il en parle, mais c’est encore fragile. Il se pose des questions : « J’tu obligé de passer par là. » … qu’on pense à l’histoire du chapitre suivant dans Marc et aux ‘sueurs de la transfiguration’. Il réagit violemment à la réprimande de Pierre: « Vade retro me … Satana ». On l’a vu la semaine dernière dans la réflexion de Darla Sloan sur le texte du baptême de Jésus, que Satan veut dire adversaire, ou saboteur. Or, cet épisode nous fait comprendre que Jésus et Pierre n’ont pas la même idée de ce que ça veut dire d’être le Messie. En tous les cas, pour Pierre et pour les disciples ça ne veut pas dire d’être humilié, violenté et mis à mort.
Marc va profiter de la prochaine section pour insérer quatre paroles de Jésus (on dit sayings en anglais, qu’on pourrait traduire par dicton, maxime, enseignements, préceptes, etc.). Tout probablement des enseignements qui proviennent de la tradition orale. Le Jésus que nous raconte Marc va en profiter pour enseigner aux disciples et à la foule ce que ça veut dire d’être appelé à être un disciple et des conséquences que cela peut entraîner :
- « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. »
- « Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera. »
- « Et que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme? Que donnerait un homme en échange de son âme? »
- « Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges. »
- Quatre enseignements qui peuvent être pris isolément ou ensemble comme ici.
On pourra observer que « le noyau de la collection de ces enseignements concerne les dangers physiques auxquels sera confronté tout disciple potentiel de Jésus. Tout comme Jésus est destiné à souffrir et à mourir, tous les disciples de Jésus doivent être prêts à faire de même. » [2]
[Le message ne s’adresse pas seulement aux disciples, car Marc implique aussi la foule dans le verset 34; Matthieu lui réservera cet enseignement aux disciples seulement (Mt 16.24); et Luc le destinera à l’univers entier (Lc 9.23).]
Aussi, dans ce texte, au verset 35, la souffrance pour l’évangile et la souffrance pour Jésus apparaissent pratiquement comme synonymes. [3]
Donc, l’opposition de Pierre aux prédictions de Jésus concernant son destin presse Jésus à parler de la souffrance.
Historiquement, les théologiens et les biblistes ont interprété ces passages – surtout celui concernant la croix et celui sur le renoncement à soi- en établissant que la souffrance et même la mort dans des cas extrêmes sont une condition ou une exigence de la vie de disciple. C’est-à-dire, qu’il faut souffrir pour marcher à la suite de Jésus. [4]
[En revanche, comme un commentateur bibliste le disait : « La finalité même de la mort suggère qu’un élément métaphorique est présent : si chaque disciple prenait littéralement sa croix et était crucifié, le mouvement s’éteindrait immédiatement ! ».] [5]
Plus récemment, les théologiens ont interprété ces passages comme s’agissant d’une inévitabilité. En d’autres mots, la souffrance n’est pas une condition, mais une conséquence d’être un disciple de Jésus. [6]
Il serait bon maintenant de se rappeler ce que Jésus annonce, qu’est-ce qui se trouve au cœur de sa vie publique comme on dit : « Il (Jésus) proclamait l’Évangile de Dieu et disait : ‘Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile ‘ » (Mc 1.14-15).
[Il est probable aussi que Jésus comprend que ce Règne arrivera bientôt. On le verra dans le verset qui suit Mc 9.1. « Certains ne mourront pas avant de voir le Règne de Dieu »…] [7]
Le Règne de Dieu dont Jésus répand l’idée comporte principalement deux paramètres : « Aime ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Marc 12.28-34).
Si tout le monde partage la bienveillance que Dieu a pour les pauvres, les malades, les opprimés, les hommes, les femmes, les enfants, les laissés pour compte et que tout le monde se traite avec le respect et amour… le Règne de Dieu est proche !
Ce message, cette façon de vivre qui plait à Dieu, implique une répartition des richesses plus juste; que les malades et les laissés pour compte soient pris en charge et soignés; cela implique que le Jésus que Marc dépeint « soulage beaucoup de souffrances et donne aux autres le pouvoir de faire de même. » [8]
À la lumière de ces interprétations plus récentes, je crois que le Jésus de Marc ne glorifie ni l’abnégation ni la souffrance.
Ce texte de Marc n’est pas une exhortation à la souffrance et à la victimisation en général. Il s’agit d’une exhortation à rester fidèle à Jésus et à la règle de Dieu en face à la persécution, voire à l’exécution, par les autorités politiques. [9]
On sait que des chrétiens souffrent dans le monde parce qu’ils sont chrétiens. Ils sont mis de côté, persécutés. On place des bombes dans leurs églises. On les empêche de travailler et de gagner un salaire convenable pour nourrir leurs familles. On sait aussi que certaines personnes, mobilisées par leur foi en Jésus et leur désir de faire arriver le Règne de Dieu, se sentent appelées à aller travailler dans des zones de danger pour aider des populations démunies, des humains en situation de fragilités devant des guerres inhumaines, des catastrophes naturelles extraordinaires et des urgences sanitaires. Que bien des chrétiens sont horrifiés par le racisme sous toutes ces formes ! Mais ces souffrances sont la conséquence d’un monde brisé. Tant que des humains travaillent à la réalisation du Règne de Dieu sur terre, certaines de ces souffrances seront amoindries.
« Alors que la fin de nombreuses souffrances humaines sera chose du passé lorsque le Règne de Dieu sera réalisé, en attendant la persécution pour ceux qui suivent Jésus est une possibilité réelle tant que cet âge dure. » [10]
« Quand cela arrivera dans sa plénitude, ça apportera la joie, la guérison, la fête et le dépassement de beaucoup de souffrances. En attendant, on peut travailler à sa réalisation. » [11]
Je voudrais aussi insister sur le fait que toute lecture de ce passage qui est vu comme un encouragement à la souffrance individuelle est une mauvaise interprétation du texte. [12]
Donc, ma prière aujourd’hui en cette dernière journée du mois de l’histoire des noirs, ayant en tête les communautés autochtones du Canada et les relations anglophones et francophones souvent en tension… je demande à Dieu, par la sagesse de l’Esprit Saint, de nous inspirer la fidélité aux enseignements de Jésus, d’être enthousiasmé par sa vie et ses actions pour que nous puissions construire un monde qui se rapproche du Règne de Dieu sur la terre… un monde un monde de justice, d’amour et de paix.
Amen
LECTURES BIBLIQUES
[1] John Barton et al., Oxford Bible Commentary, ed. John Barton and John Muddiman, Choice Reviews Online, ProQuest E (Oxford University Press USA-OSO, 2013), 903, https://doi.org/10.5860/choice.39-5149.
[2] Barton et al., 903.
[3] Barton et al., 903.
[4] R Lettsome, “Mark,” in Fortress Commentary on the Bible. The New Testament, ed. M Aymer, C Kittredge, and D Sanchez (Minneapolis: Fortress Press, 2014), 199.
[5] Barton et al., 903.
[6] Lettsome, “Mark,” 199.
[7] James D. G. Dunn and J. W. Rogerson, eds., Eerdmans Commentary on the Bible., Ebook (Grand Rapids, MI: Eerdmans, 2003), http://search.ebscohost.com.proxy3.library.mcgill.ca/login.aspx?direct=true&db=nlebk&AN=2159669&scope=site.
[8] Joanna Dewey, ““Let Them Renounce Themselves,” Biblical Theology Bulletin 34Dewey (2001): 98.
[9] Dewey, 103.
[10] Dewey, 103.
[11] Dewey, 98.
[12] Dewey, 103.
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