Je vous propose ce matin une réflexion sur le rite que nous allons accomplir dans quelques instants. D’abord, quelques rappels. Dans la tradition protestante réformée, nous l’appelons « Cène », du mot cena qui en latin désignait tout simplement le repas du soir. Il en est venu ensuite à désigner le repas au cours duquel Jésus a institué le rite, suivant le récit qui nous en est fait dans le passage de la lettre de l’apôtre Paul à la communauté chrétienne de Corinthe que nous venons de lire, de même que dans les évangiles de Matthieu, Marc et Luc. L’adjectif sainte vient souligner qu’il ne s’agit plus pour nous d’un repas ordinaire, mais plutôt d’un repas sacré au cours duquel deux aliments, le pain et le vin, sont tirés à part du repas ordinaire et prennent valeur de symboles. Ils rendent présente la relation spirituelle de Jésus qui, au travers des siècles, se prolonge jusqu’à nous. Parce que le Nouveau Testament nous rapporte ce rite comme institué par Jésus lui-même, il occupe une place à part parmi les rites qui composent le culte chrétien; ce que veut souligner l’emploi du mot sacrement pour le désigner. En protestantisme, à part la Sainte Cène, seul le baptême a droit à un niveau équivalent de reconnaissance comme signe sacré de notre engagement comme disciples de Jésus.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Dans les traditions catholique, orthodoxe et anglicane, c’est le mot eucharistie qui désigne le sacrement que nous appelons Sainte Cène. Il vient du grec eukharistia qui veut dire « action de grâce ». En langage courant, quelle que soit l’appartenance confessionnelle, on parle plus volontiers de communion, un mot dans lequel, selon moi, tout est dit : Sainte Cène, signe de communion ensemble, en Église, en communauté chrétienne, à la personne, à l’exemple et à l’enseignement de Jésus le Christ à nous toujours présent par son Esprit.
Avant le passage de la lettre de Paul, qui est réputé être le premier en date des rappels écrits du rite institué par Jésus, j’ai inclus une lecture tirée du livre du Lévitique. À première vue, elle peut paraître sans rapport avec le sujet qui nous occupe. Elle nous donne pourtant, d’après moi, une clé de compréhension des symboles du rite de communion à Jésus Christ que nous allons accomplir ensemble. La phrase qui nous intéresse ici est celle qui dit « la vie de toute créature, c’est son sang… ». Dans l’antique conception biologique qui est celle de Jésus, ce qui, pour lui, rend son corps vivant, c’est son sang. Le pain qu’il choisit comme symbole de son corps est signifié vivant par le vin symbole de son sang. Le pain et le vin que nous allons partager seront ensemble notre communion au Christ à nous rendu présent par la vitalité de son influence sur nos vies.
L’évangile de Jean qui n’inclut pas de récit de la Cène comprend , par ailleurs, un appel à incorporer Jésus à nos vies comme condition d’accès à une vie en plénitude. Jean attribue à Jésus un discours dans lequel il se présente comme « le pain vivant ». Le pain vivant, dit-il, c’est sa « chair », c’est-à-dire tout ce qui fait sa réalité humaine, dans toute sa vitalité, signifiée, elle, par l’association de sa chair au sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » (Jn 6, 54-56). Ce texte qui ne fait pas de sens, si on cherche à le lire littéralement, est une affirmation, dans un langage essentiellement symbolique, du sens du rite institué par Jésus et déjà pratiqué dans les premières communautés chrétiennes. Par delà le mode d’expression qui nous déroute, à première vue, c’est le sens qui nous importe, tel qu’on peut se le dire dans les mots d’aujourd’hui. Le défi qui nous est posé est celui d’incorporer Christ à nos vies, nous en lui et lui en nous.
Cela se fait-il seulement par le fait que nous accomplissions le rite? Dans sa retraite au désert, Jésus a résisté à la tentation de la magie dans la religion. Le rite met-il Jésus dans nos vies par un simple changement imperceptible de substance qui transformerait le pain et le vin en lui-même, s’incorporant à nous du seul fait qu’on consomme ces aliments qui n’en auraient plus que l’apparence? Peut-on, au moment de la communion, faire abstraction du Jésus réel dont nous parlent les évangiles? Est-ce alors indifférent que nous nous mettions ou non à l’écoute de sa vie, de son exemple et de son enseignement, pour les actualiser dans la nôtre? Certainement pas. Ce n’est pas sans intention qu’une liturgie de la Parole précède la liturgie de communion. La Sainte Cène n’est pas sans lien avec l’insistance de la tradition réformée sur la lecture et l’étude de la Bible à partir de Jésus Christ et à l’aide des sources documentaires les plus sérieuses et les mieux informées. La Sainte Cène condense en paroles et en gestes symboliques le vécu concret dans lequel nous cherchons à mettre nos relations, nos travaux, nos jours et nos engagements sous l’influence du Jésus des évangiles. En complément au Jean qui exprime le sens de la Sainte Cène dans le langage hautement symbolique de la chair à manger et du sang à boire, il y a le Jean qui, dans sa première lettre, écrit : « Celui qui prétend demeurer en lui, il faut qu’il marche lui-même dans la voie où lui a marché » (1 Jn 2, 6). À chacun et chacune, bien sûr, de discerner dans la réflexion et la prière, ce que cela implique concrètement, dans les circonstances particulières de sa propre vie. À cet égard, les multiples facettes du ministère public de Jésus nous donnent des repères pour guider nos manières d’être et d’agir.
Le Jésus des évangiles est guérisseur et nous appelle à le devenir. Un tout petit nombre le devient aujourd’hui comme médecins vivant leur profession comme un service humanitaire. Tous et toutes, par ailleurs, nous sommes appelés à nous mettre à l’écoute de la souffrance physique et psychologique des personnes qui croisent nos vies. Ainsi en est-il de tous ces gestes qui vont de la relation d’aide à un proche malade jusqu’aux engagements militants pour la promotion et la défense d’un régime universel d’accès aux soins de santé, en passant par le bénévolat dans une maison de soins palliatifs ou encore le financement des organismes engagés dans la médecine humanitaire à l’étranger.
Le Jésus des évangiles est libérateur religieux et nous appelle à le devenir. Son exemple nous invite à prendre nos distances à l’égard des rigidités dogmatiques qui dressent des barrières, du moralisme étroit qui condamne et de l’autoritarisme qui entrave les cheminements personnels. Sa loi est celle de l’amour de Dieu actualisé dans l’amour du prochain, et non celle du salut par la stricte observance qui fait se voir plus juste et plus méritant que les autres.
Le Jésus des évangiles est libérateur social et nous appelle à le devenir, en nous engageant contre les oppressions dont nous devenons conscients, et pour les solidarités d’ici et d’ailleurs qui se présentent à nous comme réponses à ces oppressions.
Le Jésus des évangiles est libérateur existentiel. Il nous enseigne à garder un rapport vrai à nos conditions d’existence sans minimiser les risques qu’elles comportent pour nous-mêmes et pour l’environnement qui rend notre vie possible. Il nous invite à agir de notre mieux pour participer à la divine création du bon et du beau autour de nous et dans le monde dans lequel nous vivons; confiants, comme Jésus, que l’histoire dans laquelle nous sommes engagés est porteuse d’un ferment de vie éternelle.
C’est de tout cela et de bien d’autres choses encore dont il est question, quand nous signifions, en partageant le pain et le vin, que nous communions au Seigneur Jésus Christ, que nous l’incorporons à notre vie, que nous incorporons en lui notre vie. Amen.
Église Unie Saint-Pierre – Culte avec Sainte Cène du dimanche 4 août 2019
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