Le cantique À toi la gloire que nous venons de chanter arrive encore en tête du palmarès des cantiques franco-protestants, même s’il a été composé en 1885, sur une musique qui date, elle, de 1746. Aussitôt la première mesure entamée, on est entraîné, au point qu’on n’a guère le temps de se poser des questions sur le mot lourd de sens qui ouvre et ferme le cantique : le mot gloire. « À toi la gloire », chantons-nous en ouverture, en nous adressant à Jésus ressuscité. « Ma vie et ma gloire », chantons-nous en conclusion, toujours en parlant de Jésus.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Je ne sais pas vous, mais moi, à première vue, ce mot gloire, qu’on trouve si souvent dans la Bible, et dans des prières courantes comme le Gloire soit au Père, je trouve qu’il pose problème. Et je ne pense pas que je sois le seul! Je connais entre autres une personne qui n’arrive pas à dire la formule Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire que la tradition a placée à la fin du Notre Père. Pourquoi cette réticence de certaines personnes à l’égard du mot gloire, quand il est appliqué à Jésus dans notre cantique et, à plus forte raison, quand il est appliqué à Dieu, presque partout dans la Bible?
La raison en est simple. C’est parce qu’on donne au mot gloire le sens qu’il prend dans notre société, quand des personnalités publiques, du monde politique, du monde des affaires, du monde universitaire, du monde du spectacle, se complaisent à se distribuer entre elles des honneurs, des prix et des décorations. Ces personnalités font ainsi parler d’elles et sont rendues célèbres, au moins pour un temps. Même quand les personnes concernées sont de bonne foi et que leur renommée tient à des actions vraiment remarquables, il se glisse presque toujours de la vanité dans ces systèmes d’admiration mutuelle amplifiés par les médias. Il s’y glisse, en effet, parfois de la vanité, au sens où on s’y prend volontiers au jeu de se voir au-dessus du commun des mortels. Il s’y glisse, par ailleurs, toujours, de la vanité, au sens où l’entend Qohélet, celui qu’on appelle aussi l’Ecclésiaste : « …vanité des vanités, tout est vanité…, écrit-il. Car il n’y a pas de souvenir du sage, pas plus que de l’insensé, pour toujours. Déjà dans les jours qui viennent, tout sera oublié : Eh quoi? le sage meurt comme l’insensé! » (Qo 1,2 et 2, 16). Le mot de gloriole convient mieux à cette vaine gloire que celui de gloire. Jésus lui a réglé son compte, en même temps qu’il réglait une dispute entre ses disciples « pour savoir qui était le plus grand… Jésus leur dit : ‘Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.’ » (Mc 9, 34-35).
On a certainement raison de ne pas vouloir attribuer à Dieu la compréhension mondaine de la gloire, ni à Jésus la gloire que les fans du monde du spectacle vouent à ceux et celles qu’ils adulent comme leurs « idoles ». Quand la Bible parle de la gloire de Dieu, elle parle de tout autre chose. Elle met Dieu à une place que ne peut occuper aucun être humain. Quand on emploie le mot « Dieu », on cherche à nommer un être dont le nom est en réalité au-dessus de tout nom. Un hymne récité par les moines et les moniales à un de leurs services du matin commence fort justement par ces mots « Ô toi, l’au-delà de tout ». Parmi les noms qu’on donne à cet « Au-delà de tout », il y a celui de « Seigneur » qui, dans l’Ancien Testament en grec, « est le mot utilisé pour exprimer le nom imprononçable de Dieu lui-même » (TOB à propos de Ph 2, 9). En invoquant Dieu par ce nom, le psalmiste s’écrie : « Béni soit à jamais son nom glorieux! Que toute la terre soit remplie de sa gloire! » (Ps 72, 19).
De même que la Bible met Dieu à une place que ne peut occuper aucun être humain et lui reconnaît un nom qui est au-dessus de tout nom, de même le mot gloire qu’elle emploie à propos de ce qui rayonne de lui est sans commune mesure avec la gloire que des humains s’attribuent mutuellement pour se donner de l’éclat par rapport aux autres. Dans l’Ancien Testament, la gloire de Dieu est sa « présence agissante », telle qu’elle « se manifeste par ses interventions libératrices en faveur de son peuple ».1 Dans le passage du livre de l’Exode que nous avons lu, Moïse et Aaron annoncent aux Israélites : « Ce soir vous connaîtrez que c’est le SEIGNEUR qui vous a fait sortir du pays d’Égypte; le matin, vous verrez la gloire du SEIGNEUR… » (Ex 16, 6-7). Et qu’allaient-ils voir ces Israélites du temps passé? Une vision grandiose de la cour céleste, calquée sur le modèle des cours des grands monarques humains, comme on en trouve dans d’autres passages de l’Ancien Testament? Pas du tout. Voici ce que Moïse voulait dire. « Moïse voulait dire, dit le texte : ‘Vous la verrez (la gloire de Dieu) quand le SEIGNEUR vous donnera le soir de la viande à manger, le matin du pain à satiété… » (Ex 16, 8).
La gloire de Dieu, c’est de libérer son peuple et de prendre soin de lui. Là où la gloire de Dieu se reflète sur des visages humains, ce n’est pas dans les déploiements de protocole des gens riches et célèbres. C’est quand des hommes et des femmes accomplissent l’action libératrice de Dieu dans le monde, en prenant soin les uns des autres et en travaillant à assurer à tous et toutes leurs moyens de subsistance et d’épanouissement humain. Ce n’est certainement pas parce que Jésus a été gratifié de tous les honneurs publics de sa société que l’apôtre Paul peut dire, comme nous l’avons lu, que la connaissance de la gloire de Dieu rayonne sur son visage, comme « la lumière brille au milieu des ténèbres. Au contraire, Jésus a été rejeté par les élites de sa société et a été condamné à la peine de mort la plus déshonorante qui soit, la crucifixion. C’est parce que Jésus de Nazareth a voué et donné sa vie à la mission libératrice voulue par Dieu, de la manière la plus entière qui soit humainement possible, que la connaissance de la gloire de Dieu rayonne sur son visage. Et c’est bien ce que Jésus ressuscité explique lui-même aux disciples d’Emmaüs, dans le texte de Luc qui est notre passage d’évangile pour ce jour de Pâques : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire? » (Lc 24, 26).
Voilà la sorte de gloire à laquelle nous faisons allusion quand nous chantons À toi la gloire, Ô ressuscité!. Nous chantons la gloire divine qui se reflète en Jésus par sa résurrection, qui elle-même confirme que le choix de vie effectué jusqu’au bout par lui a été une expression de la gloire de Dieu, c’est-à-dire une manifestation de sa présence agissante et libératrice dans le monde. Et quand, à la fin du cantique, nous chantons Ma vie et ma gloire, nous avons une indication où chercher la gloire dans nos vies.
Amen.
Par Gérald Doré, pasteur desservant
Église Unie Pinguet
Culte avec communion du dimanche de Pâques 27 mars 2016
1 Bernard Gillièron. Dictionnaire biblique. Aubonne, Éditions du Moulin, 1985 : 89-90.
Un commentaire
Merci Gérald. Rapprochés par la foi.
>À bientôt par courriel.