Bon dimanche d’action de grâce ! Non, je ne suis pas tombée sur la tête. Je sais qu’officiellement la fête de l’action de grâce est au mois d’octobre mais ce dimanche est aussi un dimanche d’action de grâce. Je le sais, on est le premier dimanche du Carême. Et qui dit Carême, dit aussi traditionnellement jeûne et privation. Alors qu’est-ce que cela a à voir avec la fête de l’action de grâce ? Bon, ces deux fêtes ont un même fondement biblique, du moins pour ceux et celles qui suivent le lectionnaire œcuménique. Deutéronome 26, 1-11 se trouve au lectionnaire deux fois cette année : ce matin, et ensuite… devinez quand ? Et oui ! Le dimanche de la fin de semaine de l’action de grâce. De toute évidence, les gens qui ont développé le lectionnaire trouvaient que le carême avait beaucoup à voir avec l’action de grâce. Donc, si nous découvrons ce que ces deux moments dans la vie liturgique ont en commun, peut-être verrons-nous le carême… et l’action de grâce sous un nouveau jour.
Alors regardons de plus près notre première lecture pour aujourd’hui. Dans ce récit, nous apprenons que Dieu nous appelle non pas à nous priver pour nous punir pour nos erreurs et nos infidélités mais plutôt à remettre à Dieu une partie des richesses de la vie afin de lui rendre grâce pour sa fidélité. En faisant son offrande, le peuple de Dieu est à appelé à faire mémoire de la bienveillance et de la providence du Seigneur qui était venu à leur secours : « Le Seigneur a entendu notre voix ; il a vu que nous étions pauvres, malheureux, opprimés. Le Seigneur nous a fait sortir de notre captivité et il nous a donné une vie nouvelle dans un pays d’abondance ». Le peuple est appelé à en rendre grâce à Dieu, non pas en se privant mais en célébrant avec d’autres : « pour tout le bonheur que le SEIGNEUR ton Dieu t’a donné, à toi et à ta maison, tu seras dans la joie avec le lévite et l’émigré qui sont au milieu de toi. » (Deut 26, 11). L’offrande des prémices n’est pas une pratique de privation ou de punition… mais une action de grâce pour la l’abondance de la création et pour l’amour libérateur et inconditionnel de Dieu.
Mais avez-vous remarqué ? L’offrande prescrite en ce début du carême, ce sont les prémices, les premiers, et donc les meilleurs fruits de la terre. Dieu qui nous donne tout, non pas selon nos œuvres mais par sa grâce, ne mérite-t-il pas le meilleur de ce que nous avons à offrir ?
Attention ! Il ne faut pas faire une crise d’angoisse avec ça ! (du style « Je donne-tu assez ? Il me semble que je n’offre pas grand-chose à Dieu. ») Dieu appelle son peuple à offrir les premiers fruits de ses labeurs. Ce détail est très important. En fait, Dieu ne nous demande de faire rien d’extraordinaire. Nos ancêtres ont offert les premiers fruits de leur travail comme agriculteurs. En d’autres mots, ils ont offert ce qu’ils avaient déjà sous la main, pour ainsi dire. Ce qu’ils étaient, ce qu’ils avaient déjà… par la grâce de Dieu… suffisait au Seigneur. Tout ce que Dieu leur demandait, c’était de se présenter devant lui, tels qu’ils étaient, avec des cœurs reconnaissants, pour que tous et toutes soient dans la joie.
La joie, ce n’est pas le plaisir que nous procure un divertissement passager. La joie, la vraie, trouve sa source dans l’action de grâce qui ouvre sur l’espérance. Reconnaitre que tout nous vient de Dieu par sa grâce est une source intarissable de joie et d’espérance. C’est aussi une force puissante qui peut changer bien des cœurs et même le monde. Car cette force peut nous donner de résister à toutes sortes de tentations.
Hier, en discutant du roman Soif de Amélie Nothomb, l’une des participantes au cercle de lecture a remarqué que le livre est un reflet du cynisme et du désespoir ambiants aujourd’hui. En regardant l’état du monde, la tentation est forte de désespérer, de douter de la bienveillance et la providence divine, n’est-ce pas ? Alors j’ai demandé au groupe « Comment votre foi est-elle une source d’espérance ? » Et une autre participante a répondu : « Par la gratitude. » C’est fort ça ! Vivre dans la gratitude, dans l’action de grâce, témoigne de l’espérance chrétienne. Et c’est aussi un acte de résistance. Remarquez bien, l’action de grâce est plus qu’une émotion, un sentiment, c’est une force, une vitalité, un élan qui peut jaillir en toute circonstance, même au cœur des épreuves, dans la vie des justes, c’est-à-dire tous ces et celles qui sont bien ajustés, bien alignés sur Dieu et sa volonté.
Voilà l’esprit du Carême, me semble-t-il. C’est un réalignement, un recentrement sur Dieu et sur sa volonté, afin de trouver la joie, la vraie, celle qui peut nous donner la force de résister à toutes les tentations, toutes les forces contraires qui pourraient nous éloigner de l’appel de Dieu pour nos vies, l’appel à être, avant toutes choses, fils et filles de Dieu.
C’est ce que je vois dans l’extrait de l’Évangile de ce matin. Ce récit suit celui du baptême de Jésus et ce moment où l’Esprit descend sur Jésus et où une voix vient du ciel et annonce sa vocation : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Luc 3, 22. Tout de suite après, le même Esprit le conduit dans le désert… là où il va nous montrer, non seulement qu’il est humainement possible de résister à toutes les tentations, mais aussi comment y parvenir.
Jésus est tenté par le diable, mot qui veut dire « le diviseur ». Le diable, c’est la force qui essaie, par toutes les tentations, d’opposer Jésus à sa vocation de fils de Dieu. Nous, fils et filles de Dieu, nous sommes assaillis par les mêmes tentations : l’avoir, le pouvoir et la gloire. La tentation de transformer des pierres en pain, c’est la tentation d’utiliser tous les moyens pour assouvir notre moindre désir, appétit, pulsion, caprice. Il y a aussi la tentation d’exercer un pouvoir sur les autres afin de les contraindre à faire notre volonté. Et il y a aussi la tentation de chercher la gloire par toutes sortes d’exploits qui donnent l’illusion que nous sommes des dieux et que rien ne peut nous toucher.
Rempli de l’Esprit, Jésus résiste à toutes les tentations… non pas dans un mouvement de repli sur lui-même, mais dans un élan d’ouverture à Dieu et aux autres. Dans le désert, Jésus refuse d’assouvir sa propre faim. Plus tard, il nourrira des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Jésus renonce aux royaumes du monde afin de nous ouvrir le chemin du royaume de Dieu. Jésus s’abstient d’utiliser son pouvoir pour sauver sa peau, afin que sa puissance serve à donner aux autres une vie nouvelle. Jésus est l’incarnation de l’offrande de l’action de grâce. Il offre le meilleur de lui-même afin que d’autres trouvent la joie et l’espérance qui jaillissent dans le cœur des justes.
Baptisés en Jésus, ayant reçu le même Esprit, nous avons la même vocation : celle d’être fils et filles de Dieu, celle d’être justes, centrés, alignés sur la volonté de Dieu. Que toute notre vie soit action de grâce : témoignage d’espérance et geste de résistance… pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Amen.
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