Photo : P.-A.G.
Dimanche dernier, Gérald a choisi de méditer avec nous sur la parole de Jésus « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite » telle que Matthieu la rapporte dans le Sermon sur la montagne. Et voici que le lectionnaire nous ramène ce matin à cette même parole telle que présentée, cette fois, dans l’évangile de Luc. Simple hasard, ou clin d’œil de l’Esprit Saint? J’y ai vu, en tout cas, une invitation à prolonger, ce matin, l’interpellation que Gérald a lancée ces deux derniers dimanches à notre communauté de foi concernant notre raison d’être, les orientations que nous devons bientôt redéfinir et les décisions qu’il nous faudra prendre pour incarner notre fidélité à l’Esprit de Jésus au cours de la troisième décennie de ce siècle.
Avouons que le texte de l’évangile de Luc n’est pas facile. Certaines formulations nous heurtent. « Beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas »… « Le maître répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes ‘ » … « Vous serez jetés dehors »… Quelle bonne nouvelle peut se profiler derrière des formulations aussi abruptes?
Sans vouloir esquiver les obstacles, je ne proposerai pas ce matin des explications destinées à nous rendre acceptables ces paroles difficiles. Dans le prolongement des deux derniers dimanches, j’ai plutôt deux clés à proposer pour nous aider à recevoir l’interpellation de cette page d’Évangile dans notre existence communautaire de 2022.
Plusieurs enseignements de Jésus sont présentés par les évangélistes comme des réponses à des questions . Par exemple, pour nous en tenir à Luc : « Que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage (Lc 10,25)? » « Qui est mon prochain (Lc 10,29) »? « Quand donc vient le Règne de Dieu (Lc 17,20) » ? Ici, quelqu’un demande à Jésus : « N’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés? (13,23) » Généralement, ces questions sont le reflet de celles que se posaient des chrétiens bien après le départ de Jésus. Au sujet du nombre des sauvés, on pourrait parler longtemps des angoisses qu’ont connues bien des Protestants en pensant à la doctrine calviniste de la prédestination.
La manière dont Jésus répond à la question du nombre des sauvés reflète et révèle deux convictions absolument centrales pour lui. La première, c’est que le Règne de Dieu est en train d’arriver (Lc 10,9 et 11; 11,20). Maintenant. Dieu a déjà commencé à l’établir au milieu de nous. Ce qui intéressait Jésus, son horizon, dirait-on aujourd’hui, ce n’était pas un futur hypothétique, mais le présent. Et la deuxième conviction de Jésus, c’est que la spiritualité peut s’égarer dans l’esprit sectaire, en quoi il voyait une trahison de la véritable nature d’un Dieu universel proche de tous.
Ce sont ces deux convictions de Jésus que, comme disciples, personnellement et comme communauté, nous sommes invités, me semble-t-il, à faire nôtres.
À la question du nombre des élus, clairement Jésus refuse d’entrer dans ce genre de spéculations sur l’avenir; il les estime stériles car elles n’ont aucune prise sur la vie réelle et les vraies questions que pose le présent. Jésus se manifeste en cela comme appartenant à la lignée des prophètes bibliques. Ceux-ci, nous le savons, ne se tournaient vers l’avenir que pour soutenir la fidélité de leurs auditeurs dans leur présent. Il en va de même pour Jésus. Sa réponse à la question du nombre des sauvés est claire : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ». Je soupçonne qu’il réagirait de la même manière à une question lancinante : « Comment un Dieu aimant peut-il tolérer tant de souffrances dans le monde? » Je crois qu’il dirait : Faites tout ce que vous pouvez, maintenant, pour combattre le mal sous toutes ses formes. À la manière de Jean-Baptiste, il invite à se convertir maintenant. Il nous invite à rectifier notre vie, pas demain, pas après-demain. Maintenant. Rappelons-nous le nombre de fois où, dans les évangiles, on retrouve des expressions comme « aussitôt, à l’instant même, aujourd’hui ». La Parole de Dieu est toute tournée vers les appels de Dieu et notre fidélité à répondre dans l’aujourd’hui.
La deuxième clé d’accès au sens existentiel du texte de ce matin est la dénonciation de la dérive vers l’esprit sectaire. Jésus est absolument réfractaire à tout ce qui relève d’une fausse assurance ou bonne conscience qu’on pourrait tirer de l’appartenance à une élite spirituelle, au bon groupe, au groupe des élus, des choisis, des sauvés. Quand, à la fin du texte que nous méditons, il compare le Règne de Dieu à un festin, Jésus justement met en scène ceux qui estiment y avoir droit ou le mériter : « Mais, Seigneur, nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places! » Cette prétention ressemble fort à celle du pharisien qui, dans sa prière, rend grâce parce que lui est fidèle, au contraire du publicain. Elle rejoint celle du fils aîné de la parabole qui se vante d’avoir toujours été au service de son père. Elle est manifeste lorsque Jean, le disciple, proteste auprès de Jésus en disant : « Nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons et nous avons cherché à l’empêcher, parce qu’il ne te suit pas avec nous; nous savons comment Jésus le reprend vertement : « Ne l’empêchez pas, car celui qui n’est pas contre vous est pour vous » (9 49-50). Nous le voyons lorsque Jésus réprimande Jacques et Jean qui, au seuil d’un village de Samaritains qui refuse de laisser passer la troupe de Jésus, suggèrent que l’on fasse tomber sur eux le feu du ciel (9 53-55).
Pour Jésus, Dieu n’a pas de chouchous, comme on dit. Certes, il a fait une alliance avec Abraham et sa descendance, avec David et ses descendants. Il a élu un peuple et s’est laissé voir comme son berger qui le conduit vers les prés d’herbe fraîche et les eaux du repos. Mais c’est une étape nécessaire dans la réalisation de son projet, qui est de toucher toute l’humanité, sans exclure personne. N’est-ce pas que nous avons entendu dans le texte d’Ésaïe qui parle du désir de Dieu de rejoindre les nations les plus éloignées? C’est ce rêve entrevu par Ésaïe que Jésus reprend à la fin de notre texte : on viendra des quatre points cardinaux, en un mot du monde entier, prendre place au festin dans le Royaume de Dieu aux côtés d’Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes.
Au cours des mois qui viennent, notre communauté de foi va s’engager dans un processus spirituel de discernement de la volonté de Dieu maintenant. Avant d’annoncer l’ouverture du poste de pasteur.e pour succéder à Darla, nous aurons à examiner nos forces et nos faiblesses, nos ressources et nos limites, non à la manière dont on gère les ressources humaines dans une entreprise, comme l’évoquait Gérald, mais à la lumière de la mission que Dieu a confiée à son Église. Il sera essentiel de nous rappeler qui nous sommes, et moins ce que nous voulons être que ce que Dieu nous invite à être, particulièrement, comme c’est souvent le cas dans la Bible, quand cela nous paraîtra impossible. Que voudrons-nous et que pourrons-nous conserver, et quelles façons d’être et de vivre choisirons-nous d’abandonner pour pouvoir en adopter de nouvelles? Il y aura sûrement des pertes et des renoncements, avec toute l’insécurité légitime que cela entraîne. Mais ne fait-il pas être délestés, allégés, pour pouvoir, avec la grâce de Dieu et la puissance de son Esprit, passer par la porte étroite?
Par exemple, puis-je suggérer, à la lumière du texte de ce matin, que nous devrons poursuivre dans la voie de l’ouverture et de l’inclusivité. Nous avons déjà fait des pas courageux dans la place accordée aux femmes et l’ouverture aux différentes formes de la diversité d’orientations sexuelles. Mais Ésaïe nous l’a rappelé, et Jésus a inscrit sa pratique dans cette même direction : « Je viens rassembler les humains de toute nation et de toute langue… J’enverrai des rescapés de mon peuple – et ne sommes-nous pas de ce petit reste? – vers les nations les plus éloignées, vers les îles lointaines qui n’ont pas entendu parler de moi et qui n’ont pas vu ma gloire ». Dans notre région de Québec qui se transforme si rapidement, saurons-nous accueillir d’autres sensibilités, comme celle qui se révèle dans la demande de funérailles non religieuses? D’autres générations avec leur style de musique ou leurs formes de fraternité? Saurons-nous nous dépouiller des prétentions plus ou moins inconscientes qui nous feraient sentir supérieurs aux nouveaux, comme si nous disions : « Mais, Seigneur, nous avons mangé et bu en ta présence chaque premier dimanche du mois lors du culte de Sainte Cène! Tu as enseigné sur nos places chaque dimanche dans la prédication! »
Pour l’instant, rendons grâce à Dieu de nous avoir conduits à un carrefour où faire la vérité, et faisons confiance à son Esprit qui ouvre sans aucune discrimination le festin du Règne de Dieu à ceux qui viennent des quatre points cardinaux. Amen.
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