C’est à cela qu’on reconnaît un authentique maître spirituel : à la manière dont il prend son disciple là où il est pour l’emmener plus loin. Plus loin, c’est-à-dire plus proche de sa vérité d’homme ou de femme.
Nous qui nous sommes mis à l’école de Jésus, nous qui avons fait de lui le centre de notre vie et qui cherchons à marcher à la suite de ce maître, n’est-ce pas ce qu’il fait avec nous encore ce matin? Il vient réchauffer en nous notre désir d’une vie meilleure. Il sait bien qu’une tentation permanente à laquelle personne n’échappe, c’est celle de la médiocrité. C’est notre tendance à nous accommoder d’un certain niveau d’ouverture et de don de soi. Juste assez. Juste suffisant. Alors, lui qui est venu sauver ce qui était perdu, lui qui est venu comme le médecin s’approche du malade, il vient encore ce matin nous arracher à notre tendance à demeurer en deçà du meilleur de nous-mêmes.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Si nous puisons dans l’héritage reçu de ceux et celles qui ont été disciples de Jésus avant nous, on voit apparaître, vers le 5e siècle, l’expression « capax Dei » : l’être humain est « capable de Dieu ». Une expression fort ancienne le dit joliment, mais profondément : Dieu a partagé notre humanité pour nous faire partager sa divinité. L’homme Jésus manifeste qu’un être humain est capable de recevoir Dieu, capable de vivre comme Dieu, capable d’être comme Dieu. La parole de Jésus que nous venons d’entendre exprime cette conviction : « Soyez généreux comme votre Père est généreux. »
Notre première lecture nous présente déjà un geste de générosité absolument inattendu. Ce que fait David en épargnant Saül, son puissant adversaire pourtant à sa merci, sort de l’ordinaire. La tradition l’a retenu parce qu’il va au-delà de ce qui est convenu. C’est une grandeur d’âme qui est inhabituelle sur un champ de bataille.
La grandeur d’âme de David n’est pas absolument pure. Sans doute s’y mêle-t-il de la superstition : par trois fois, David explique qu’il n’ose pas lever la main sur le messie du Seigneur, sur celui qui a reçu l’onction de la part du prophète Samuel. Par cette onction, Saül était devenu un peu comme la représentation du véritable roi du peuple, Dieu lui-même. À la superstition s’ajoute vraisemblablement un calcul politique. David va exploiter habilement son geste d’éclat, il va se servir de sa grandeur d’âme pour cultiver son image, comme le font tellement les politiciens aujourd’hui. Mais peu importe la pureté de son intention ou le caractère intéressé et calculateur de sa motivation, il reste qu’il pose un geste qui s’éloigne du réflexe naturel pour un guerrier qui est celui de son compagnon Avishaï.
Des histoires comme celle de David, il s’en trouve des centaines dans les récits de guerre, où de manière parfois héroïque, c’est l’humanité qui prend le dessus sur l’inhumanité, et la grâce l’emporte sur la vengeance et la haine.
Ce que nous apprenons de Dieu par Jésus, c’est qu’il croit en l’être humain, plus que l’être humain lui-même. Il croit en notre capacité réelle de vivre comme il nous a créés, c’est-à-dire à son image et à sa ressemblance. Vous pouvez ne pas rendre le mal pour le mal. Vous pouvez répondre à la violence par la non-violence. Vous pouvez être « bons », comme Dieu qui est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. Vous pouvez être « généreux » comme votre Père est généreux. Vous pouvez vraiment pardonner, comme Dieu vous pardonne.
Le Dieu de Jésus croit en l’être humain. Il croit que nous sommes capables d’aimer au-delà de l’amour de ceux et celles qui nous aiment. Il croit que nous sommes capables de faire du bien à un cercle plus large que celui de ceux et celles qui nous font du bien, et que nous pouvons prêter à quelqu’un qui est dans le besoin même s’il n’est pas certain que cette personne pourra nous rembourser.
Il croit à notre capacité d’agir sans calcul. « Faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. »
C’est de cette dynamique spirituelle que nous parle Paul dans l’extrait de la lettre aux Corinthiens que nous venons d’entendre. Dans ce chapitre 15 , Paul cherche à répondre aux inquiétudes des personnes qui s’interrogeaient sur la réalité de notre résurrection. Nous sommes donc portés à lire sa réflexion comme si elle ne portait que sur la vie après la mort. Mais il n’en est rien. C’est bien du présent qu’il nous parle.
Il nous dit que si nous sommes à la base des animaux recevant la vie, notre vérité profonde est d’être des êtres spirituels donnant la vie. Nous commençons tous notre vie de manière terrestre, dit-il, et nous sommes appelés à approfondir notre être jusqu’à rejoindre une manière céleste de vivre.
Freud l’a bien montré, nous naissons égoïstes. Il écrit : « C’est lui-même que l’enfant aime tout d’abord ; il n’apprend que plus tard à aimer les autres, à sacrifier à d’autres une partie de son moi. » Voyez comme le cheminement spirituel est profondément humain : c’est la réponse à un appel inscrit au plus profond de nous-mêmes à nous décentrer progressivement. À nous ouvrir à l’autre. À entrer dans une dynamique de don. Don de soi, jusqu’à l’oubli de soi.
Voilà bien ce dont notre maître Jésus nous a donné l’exemple. « Lui, de condition divine, qui s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux humains, reconnu à son aspect comme un humain, s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort » (Ph 2,6-8). Après avoir lavé les pieds de ses disciples, il leur dit : « C’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi » (Jean 13,15). Vous en avez la capacité.
« Aimez vos ennemis. Bénissez. Priez. Présente l’autre joue. Donne plus que ce qu’on te demande. Tends l’autre joue. Ne jugez pas. » Tant de verbes à l’impératif : cela pourrait apparaître comme affreusement moralisateur. Une série d’obligations imposées de l’extérieur. J’espère que vous aurez senti qu’il n’en est rien. Les invitations de Jésus prennent appui sur notre désir profond. Elles nous invitent à suivre ce mouvement intérieur qui nous fait nous ouvrir, nous décentrer, car c’est dans ces moments de générosité que nous nous approchons du meilleur de nous-mêmes.
C’est à cela que je reconnais en Jésus un authentique maître spirituel : à la manière dont il nous prend là où nous sommes pour nous emmener plus loin. Plus loin, c’est-à-dire plus proche de notre vérité d’homme ou de femme.
Capables de Dieu.
2 commentaires
très bonne prédication dans sa dimension explicative de la pensée du Seigneur qui transparait dans les 3 textes lus.
Merci Omer. Que la pensée du Seigneur transparaisse surtout dans nos vies.