Me permettrez-vous de partager en introduction un étonnement ? Quand Stéphane m’a communiqué la liturgie du culte d’aujourd’hui, j’ai été frappé par les mots « Célébration du Règne du Christ », accompagné par une photo de la statue géante du Christ-Roi qui domine la ville de Lisbonne au Portugal, en sœur cadette de celle de Rio de Janeiro, le fameux Corcovado… J’ai sursauté car pour moi, ce sont des références catholiques datées – l’entre deux https://www.le-samaritain.fr/2016/12/21/resister-a-la-guerre-civile/ – et souvent associées à un conservatisme extrême.
En Europe, le fascisme belge s’appelait « rexisme », abréviation de Christus-Rex et l’expression Christ-Roi a servi à nommer des groupes terroristes d’extrême-droite en Espagne jusqu’au années 90. Et oui, quand on est un Européen, prof d’histoire de surcroît, on est facilement assailli par de multiples références à un passé souvent tragique et malheureusement parfois encore présent. Mais il est bon de franchir les océans et de se faire brasser dans ses habitudes ; le protestant républicain et laïque confronté à une proximité maintenue de l’Eglise Unie du Canada à un calendrier liturgique catholique, et ce dans un pays qui reste sous l’autorité lointaine d’une reine… même si je sais que le Québec est assez républicain sur cet aspect-là.
Reste que le texte que nous livre l’Evangile de Matthieu assume parfaitement une image monarchique, avec la gloire, l’escorte des anges, le trône et le titre de roi prêtés au Fils de l’homme. Certes, ce roi est immédiatement montré dans une tâche bien populaire – trier les brebis et les chèvres dans un troupeau – mais tout le reste du texte nous le montre en justicier souverain, dans une évocation du Jugement dernier.
Il nous faut rappeler avec force le décalage entre notre vision du Christ et celle des fidèles d’autrefois. Oui, nous voulons voir aujourd’hui Jésus comme un frère, puisque son père nous a adoptés, comme celui qui nous accompagne dans les jours sombres comme dans les lumineux, comme une main toujours secourable et non pas comme un juge sévère, à la vision binaire des choses, sans le moindre sens de la nuance et du pardon…
Mais cette vision que nous rejetons a été prégnante durant des siècles. Je souhaite que vous puissiez visiter si ce n’est pas déjà fait, ces églises romanes de France qui datent du 12ème s. : le porche est souvent surmonté d’un bas-relief sculpté, avec un Christ central, flanqué à sa droite des justes bien alignés car admis au paradis et à sa gauche les damnés promis à l’Enfer et à de multiples supplices soigneusement détaillés par des sculpteurs assez sadiques… Oui, tel était le message premier délivré au fidèle du Moyen-Age qui entrait dans une église, une époque où un humain sur sur deux n’arrivait pas à l’âge adulte. Et le caractère sombre de ces églises aux allures de forteresse accentuait cette théologie de la frayeur avec ces chapiteaux ornés de diables grimaçants à la lueur de modestes chandelles.
Alors la tentation est grande de passer sur cette imagerie d’un Seigneur souverain et juge impitoyable et de privilégier l’évocation des multiples gestes de solidarité qui sont deux fois mentionnés dans une parfaite symétrie : nourrir les affamés, abreuver les assoiffés, accueillir les étrangers, vêtir les dénudés, visiter les prisonniers… soit un vrai programme d’action sociale pour toute Eglise qui se respecte.
Mais n’est-ce pas là une facilité pour contourner ce qui nous chicote ? Ce Dieu juge, ce Christ-roi qui reste célébré le dernier dimanche précédant l’Avent ? Alors grattons la couche d’une imagerie datée et nous paraissant caricaturale et osons affronter nos peurs.
La Réforme protestante s’est fondée sur l’affirmation du salut par grâce, quels que soient nos mérites et nos démérites et du coup, cela a éclipsé la notion de jugement, puisque nous étions… sauvés dès le départ. Plus question d’appréhender notre passage à l’au-delà comme une pesée minutieuse des bonnes et mauvaises actions de nos vies, déterminant un bonheur ou un châtiment éternel, image, soit-dit en passant, déjà présente et illustrée dans la religion de l’Egypte des pharaons…
Mais Calvin, notre Réformateur, pressentant le risque de la croyance en un salut automatique, avait insisté par sa fameuse prédestination sur la toute-puissance maintenue de Dieu, maître initial et constant de nos destinées pour le salut ou la damnation. Croyance qui supposait que le fidèle accorde sa confiance à un Dieu qui n’abandonne jamais le peuple de ses fidèles.
A partir de là, accepter le jugement de Dieu peut être lu comme un acte de cette confiance qui se confond en esprit et en lettre avec la foi.
Dans notre monde terrestre, nous ne concevons pas une société sans tribunal, ni des tribunaux ne rendant que des verdicts de clémence. Nous leur concédons un pouvoir de condamner, car nous avons confiance – en théorie, du moins – dans leur exercice de la justice. Et bien, nous avons à faire de même avec Dieu. Lui accorder une toute-puissance à la mesure de notre confiance. Et nous pouvons alors percevoir le texte de Matthieu différemment : ce que je propose en trois points :
– Premièrement par un détail qui peut apparaître comme anecdotique, mais je me suis interrogé sur ces brebis assimilées aux justes et donc placées à droite, et ces chèvres rangées à gauche dans la damnation. Ce n’est pas gentil pour les chèvres et cette condamnation les poursuivra puisque le diable a été souvent représenté avec des cornes de bouc et des pieds fourchus. Et je ne parle pas du discrédit attaché à la gauche – « sinistra en latin » – qui valut jadis bien des misères à l’école aux enfants gauchers. Pourtant à bien y regarder, la chèvre est un animal qui donne du lait et d’excellents fromages, la viande du chevreau se mange et la peau de chèvre permet de confectionner des outres bien utiles : elle a donc toujours eu sa place dans l’élevage aux côtés des brebis en Palestine comme partout dans le monde méditerranéen. Alors pourquoi cette discrimination plutôt absurde, à l’opposé des réalités quotidiennes ? Et si c’était une façon de nous dire que les humains sont parfois chèvres tout comme ils sont aussi brebis, c’est-à-dire capables de mauvaises actions, tout comme de bonnes ? Une façon de nous inciter à un peu d’introspection, à un examen de conscience ?
Car qui n’a pas un jour détourné les yeux devant une misère évidente, un appel au secours, une main tendue ? Et cela même si nous sommes portés habituellement à la générosité, à la solidarité… Nous ne sommes pas parfaits et Dieu entend chaque dimanche au culte la confession de nos cœurs.
– Deuxième point, il est frappant que les justes dont le Seigneur va récompenser la conduite en leur accordant en partage le Royaume n’avaient pas conscience d’agir pour Dieu qu’ils ne pouvaient imaginer en affamé, assoiffé, nu, étranger, malade ou prisonnier, à l’opposé de toutes les visions convenues des divinités. Autrement dit, ces humains solidaires n’ont pas agi intentionnellement pour s’assurer un salut éternel par leurs œuvres mais simplement parce que cela leur paraissait évident et nécessaire. Cela découlait de leur foi et non pas l’inverse : image d’une existence bénie par la grâce première et qui s’efforce, même partiellement, même imparfaitement, d’y répondre.
– Troisième point : mais quel est ce roi ? Il se présente dans un décor somptueux mais il est berger et bien plus, vient à nous dans une déchéance consentie, inconcevable pour qui ne voit Dieu que dans la toute-puissance. Ce dieu-roi se rend frère des plus petits d’entre nous, des plus misérables, des étrangers, même des prisonniers que l’on peut a priori estimer coupables de crimes ou de méfaits. Et c’est en allant auprès de ces réprouvés que nous pouvons le rencontrer…
Le texte est au chapitre 25 de l’évangile de Matthieu., donc vers la fin. En effet, après viendra le complot contre Jésus, son dernier repas avec les disciples, son arrestation, le procès et sa mise à mort sur la croix. Donc, ce que nous venons de lire et de méditer est un des derniers enseignements délivrés par Jésus. Et je peux résumer ce message final ainsi :
Qui que nous nous soyons, quelque soit notre foi, c’est en secourant les plus petits d’entre nous que nous nous rapprochons de Dieu et c’est en ne le faisant pas que nous nous éloignons de lui.
Et ce roi divin s’est voulu être un roi de faiblesse, aux côtés de ces petits, de ces victimes dans un monde que nous humains, façonnons avec ses violences, ses injustices et ses inégalités.
Alors oui, dans ces conditions, je veux bien d’un tel Christ-Roi. Amen.
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