Laissez-moi vous faire un aveu. J’ai toujours aimé lire le quatrième évangile, tout comme les trois lettres attribuées à Jean. Et je me suis toujours trouvé face à une difficulté presque insurmontable à les commenter.
Voyez ce texte que nous venons d’entendre. Est-ce qu’il n’est pas réconfortant? Il dégage une sorte d’intimité chaleureuse. Avez-vous remarqué comment tout est rédigé en style direct? ‘Je’ – ‘vous’. ‘Vous’ – ‘moi’. C’est aux douze disciples qui l’ont accompagné partout que Jésus s’adresse de manière si familière, mais nous ne pouvons nous empêcher de ressentir, n’est-ce pas, que ce ‘vous’, c’est aussi ‘nous’.
Voilà pourquoi nous aimons lire ou entendre lire ces derniers entretiens où le Christ de Jean nous donne accès à son fond le plus intime. Dans les versets choisis pour ce dimanche, il nous parle d’amour, de présence, de soutien, de souvenir, de paix. Il nous suggère que « nous ne sommes pas seuls » : il y a lui, Jésus, il y a le Père, il y a l’Esprit. Ce sont des paroles qui font du bien. De manière immédiate.
Les questions qu’elles soulèvent sont cependant multiples, et les réponses sont difficiles. Comme Augustin le dit à propos du temps, dans ses Confessions, « si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus[1] ». Que veut dire concrètement que Dieu vienne demeurer auprès de celui qui aime Jésus? Que signifie « l’Esprit vous enseignera tout »? Ou « Je vous donne ma paix, mais pas à la manière du monde »? Comment comprendre « le Père est plus grand que moi »? Et quelles sont ces choses dont Jésus parle avant qu’elles n’arrivent? Pourquoi dit-il que lorsque ces choses arriveront, « vous croirez », nous croirons?
Depuis deux mille ans, on n’a pas manqué de noircir des pages de commentaires et de spéculations pour répondre à ces questions. Mais, me semble-t-il pour en avoir lu beaucoup, ces réflexions n’arrivent que rarement à nous toucher et nous inspirer comme le font les paroles mêmes que Jean nous transmet.
Nous avons besoin du travail des exégètes et des théologiens, et dans les Églises occidentales, on leur a accordé une large place dans les prédications comme dans les autres formes d’instruction. L’hémisphère gauche de notre cerveau a été abondamment nourri et l’est encore. Mais ce matin, essayons d’habiter une autre dimension, plus proche de l’essentiel de l’expérience spirituelle.
La dimension de cet inutile qui peut être obscur, et qui, pourtant, fait du bien.
Lire ou entendre les derniers entretiens fait du bien à notre foi. Chez Jean, les thèmes reviennent constamment, ils sont repris et répétés, de manière circulaire ou en spirale. Ce sont des textes qui ronronnent, si je puis dire. Et comme avec nos chats, le ronronnement a quelque chose d’apaisant. De rassurant. De réchauffant.
Je vous parle, voyez, de la dimension poétique. Poétique et poésie viennent du verbe grec poiein qui veut dire « faire ». Ce qu’il y a de poétique dans nos vies, cela produit quelque chose, cela entraîne des effets. Cela nous emmène ailleurs. Cela nous sort de notre tête pour nous plonger dans des états affectifs. Je dirais que c’est du même ordre que la décoration que nous choisissons pour notre domicile, ou pour nos lieux de culte. À quoi ça sert? À rien, sinon créer une ambiance dans laquelle nous nous sentons bien, nous nous sentons chez nous.
C’est comme pour la musique. Nous avons tous des airs et des chansons que nous connaissons souvent par cœur et que nous aimons pourtant écouter et réécouter, parfois en boucle. C’est comme pour la danse, qui unifie notre être tout entier, corps et esprit, tout en nous mettant en relation avec une ou plusieurs personnes dans un même rythme.
Ça ne sert à rien d’autre que faire du bien.
Pas étonnant alors que pour parler de notre expérience de l’Absolu, ce soit le langage poétique qui soit le plus approprié. La poète états-unienne Emily Dickinson dit que la poésie approche la vérité – on pourrait dire le Mystère – de manière oblique. Alors, quelle importance accordons-nous à ce fait massif que la moitié au moins de l’Ancien Testament soit écrit en poésie? Cela nous échappe parce que nous ne lisons pas la Bible en hébreu, mais mis à part quelques chapitres, pratiquement tous les textes des prophètes sont formulés en vers. Le remarquable Livre de Job, le Cantique des cantiques, les psaumes, bien sûr, sont tous des écrits poétiques.
Ils ne servent pas à quelque chose, comme les annales historiques, les textes législatifs, les descriptions géographiques ou les listes généalogiques qu’on trouve ailleurs dans la Bible. Mais ils font réagir. Ils touchent droit dans le mille. Ils suggèrent. Ils évoquent. Ils créent de l’émotion.
Comme vous le savez, l’Église Unie est née il y aura bientôt cent ans au confluent des Églises méthodiste, presbytérienne et congrégationnaliste. Dans le courant méthodiste inauguré par Charles Wesley, la sanctification des baptisé.es joue un rôle capital, et un moyen privilégié de la soutenir est le chant, qui constitue un véhicule puissant non seulement d’unité, mais aussi d’émotion spirituelle. Chanter ensemble fait du bien.
Alors voilà : nous vivons dans une culture où tout s’apprécie en termes d’efficacité et pour en parler, le poète Nepveu, dans un récent essai, a cette expression forte : « la brutalité de l’utilitaire[2] ». Dans une culture qui accorde de la valeur à ce qui se mesure, nous allons à contre-courant avec nos chants, nos textes poétiques et nos cultes qui ne produisent rien de mesurable.
Mais puisque nous vivons de la grâce, cela fait de nous des témoins de la gratuité. Notre mission, c’est d’être nous-mêmes, comme personnes mais aussi comme communauté, une présence qui fait du bien parce que nous nous nourrissons de paroles, de gestes, de symboles et d’ambiances qui font du bien.
Que l’Esprit nous couvre du manteau de sa bénédiction. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Confessions, livre 11, c.14.
[2] Pierre Nepveu, Géographies du pays proche. Poète et citoyen dans un Québec pluriel, Montréal, Boréal, 2022, p.48.
Photo : P.-A.G
Un commentaire