Parfois, il y a des textes qui peuvent nous questionner plus que d’autres. D’autres, encore, peuvent nous agacer du fait de leur contenu dérangeant. Et je crois que la parabole des dix jeunes gens peut, pour certains, entrer dans la deuxième catégorie. À vrais dire, je suis le premier à lire cette parabole-là et à me sentir agacé. Offensé, même, du comportement des cinq personnes sages à qui leurs pauvres confrères et consœurs demandent de l’aide. Ayoye, elles sont donc bien cheap vis-à-vis de ceux et celles qui oublièrent de mettre un petit peu d’huile dans leur lampe ! Est-ce que c’était trop demander ? Et que dire de la réaction de l’époux… Imaginez-vous donc ! Après avoir couru chez le commerçant pendant la nuit, après l’avoir réveillé en frappant à sa porte, acheter l’huile et être revenus à la vitesse d’une poule pas de tête, nos cinq retardataires se trouvent face à un époux qui leur ferme la porte au nez en disant : « Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas. » Mais quelle cruauté et quel manque de considération.
Ma réaction à la lecture de cette parabole – et je suppose que c’est celle de certains d’entre-vous, aussi – elle émerge tout d’abord de l’impératif de fraternité envers les plus pauvres. Le Seigneur ne nous as pas dit de tout donner, de tout partager par amour ? Lorsque quelqu’un te demande ton manteau, donne-lui. Vends tout ce que tu as et donne tout l’argent que tu as récolté aux pauvres. L’Évangile nous présente un Jésus qui, à première vue, nous demande de tout nous débarrasser. C’est ce qu’on nous a appris du haut des chaires, n’est-ce pas ? Ce n’est pas bien différent des discours habituels. Partage ce que tu as… et donne même ce que tu n’as pas.
Toutefois, cet enjeu du don et du partage pourrait être en fait une digression et peut-être même un hors sujet venant brouiller les pistes. Vous commencer à me connaître : les paraboles sont destinées à être entendues avec un esprit allégé de tout présupposé. Mettons dès lors de côté la question du partage qui nous frustre autant. Réfléchissons tout d’abord au contexte de la parabole pour mieux l’interpréter et l’intégrer. Celle-ci se situe dans la dernière partie du ministère de Jésus de Nazareth et constitue en fait la suite de petites histoires qui engagent la question du retour de l’époux et du jugement qu’il exercera. Elle succède entre autres à des paraboles que vous avez déjà entendues dans le passé. Je parle ici de la parabole du figuier dont les feuilles annoncent la venue de la saison propice ainsi que la parabole du serviteur fidèle à son maître absent. Toutes deux nous relatent le retour du maître et servent à inciter à rester attentif, aux aguets. Veillez et priez, nous dit souvent Jésus, car vous ne connaissez ni l’heure ni le moment de mon retour.
Heure et moment, veillez et priez. Un temps inconnu, des actions toujours renouvelées. Veillez et priez alors que je suis en mouvement, sur le chemin du retour. La parabole que nous avons lue représente bien ce que nous pouvons peut-être éprouver, dès maintenant, alors même que nous sommes dans ce temple. Alors que nous prions Dieu et célébrons sa présence parmi nous, nous faisons aussi l’expérience paradoxale de son absence. Jésus nous a promis qu’il reviendra et cette promesse constitue une part importante de l’espérance chrétienne. Notre espérance de pouvoir être uni à lui, de pouvoir vivre tous les jours de notre vie dans sa pleine et glorieuse présence. De même, que faisons-nous, au juste, pendant une célébration si ce n’est pas chercher Dieu et mettre des mots sur ce que nous ressentons au plus profond de nous ? Nous pourrions même dire que nous sommes en recherche de Dieu par la prière, que , lorsque nous chantons, nous sommes en quête de sa présence. Nos prières et nos cantiques nous rapprochent de lui alors que nous nous souvenons de ses bienfaits. Notre souvenir de la grâce réduit la distance qui nous sépare.
J’amène cette réflexion-là ce matin puisque ma lecture m’a fait prendre conscience d’un détail subtil qui m’a aussitôt étonné. Lorsque Jésus place la lampe au centre de sa parabole, il place surtout un symbole fort qui n’est pas étranger à d’autres récits bibliques. Une occurrence fort intéressante se trouve à être dans l’Évangile selon Luc où Jésus nous présente la lampe comme une source de lumière qui révèle ce qui est caché. Brandir la lampe, mettre de l’huile à l’intérieur sont des actes qui correspondent à l’expérience de la révélation. En effet, « tout ce qui est caché apparaîtra au grand jour, et tout ce qui est secret sera connu et mis en pleine lumière. » La lampe ne sert pas tant à éclairer nos nuits qu’à signifier notre quête de sens et de vérité. Notre quête à tous. Pour trouver l’époux et découvrir qui il est, pour faire expérience de sa présence, il nous faut le chercher non pas seulement dans le jour, mais aussi à même les ténèbres et le doute de nos vies. C’est là, dans les profondeurs de l’inconnu, qu’il se révèle.
Revenons aux dix personnes insouciantes, voulez-vous ? Jésus nous les présente comme de jeunes gens quelque peu désorganisé et peu enclin à être préparés. Cette insistance m’amène à croire que le fait de manquer d’huile par insouciance n’est pas un geste banal dans le contexte de la parabole. Un tel manque pourrait peut-être signifier un désintérêt, voir un désinvestissement par rapport à la recherche. Nous sommes tous, quelque part, de jeunes gens en âge de nous marier, en âge de rencontrer l’époux ou l’épouse. N’y a-t-il pas aussi quelque chose d’étonnant à croire que la noce auquel nous sommes invités constituerait peut-être notre noce à nous tous ? Au risque de paraître un peu trop mystique, il me semble que c’est justement ce que nous essayons de vivre chaque dimanche. Nous cherchons Dieu et à savoir qui est Jésus pour nous. Nous nous levons tôt pour arriver de bonne heure au temple, n’est-ce pas ? Et avec le temps qu’il fait, avec la grisaille de l’hiver, je n’ai pas de peine à croire que nous aurions besoin d’une lampe.
Sommes-nous de ces jeunes gens avisés ou de ceux qui manquent de prévision ? Sommes-nous de ceux qui cherchent ou de ceux qui restent oisifs ? Peut-être les deux en même temps ? Je ne peux pas répondre à cette question, c’est à vous de méditer sur celle-ci. Dans mon cas, je reconnais bien mon ambivalence entre les deux postures. Je cherche, mais me fatigue rapidement. Et pourtant, je reprends courage. Mon cœur vit un soubresaut lorsque je sens la venue de la personnes bien-aimée. Il rappel dès lors que l’amour est exigeant. Oui, la relation qui nous unit est un arbre fruitier qui exige bien des soins et beaucoup d’efforts. C’est un travail de longue haleine. Cet arbre-là ne pousse pas dans l’habitude. Il nous faut tailler les branches et les feuilles, parfois le priver d’eau pour mieux ensuite le désaltérer et stimuler sa croissance. Trop l’abreuver le gâterait, trop le mortifier le ferait sécher. Nous perdrions alors tous les fruits jusqu’à la prochaine saison.
En fin de compte, si nous nous désintéressons, si nous manquons constamment de l’huile, si nous perdons de vue notre histoire sainte avec ce Dieu qui nous accompagna dans sa présence-absence, je peux comprendre que l’époux puisse nous renvoyer notre désintérêt. Celui-ci viendra un jour et pourrait nous paraître tout simplement sous la forme d’un pur inconnu. En effet, Jésus n’a-t-il pas dit « J’avais soif et vous m’avez donné à boire » dans un autre passage de l’Évangile ou encore « À chaque fois que vous avez fait cela à mes frères et sœurs, vous l’avez fait à moi » ? Plutôt que de lire cette parole brutale qu’est « Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas », peut-être pourrions-nous plutôt le recevoir comme « Amen, je vous le dis : nous ne nous reconnaissons pas. » Dieu ne s’impose pas dans nos vies ; il ne commet pas de viol spirituel contre ceux qui passent à côté. Chercher avec une lampe ou passer à côté nous revient.
Vous voyez, c’est à nous à faire sens dans notre relation, à chercher qui nous sommes et qui est l’époux pour nous. Il y a plus de questions que de réponses dans cette parabole, je l’avoue, mais c’est peut-être là une bonne nouvelle : nous n’avons jamais terminé de chercher l’identité de l’époux, une lampe à la main, avec à l’esprit l’huile du souvenir de la grâce de Dieu. Nous chantons, nous nous souvenons.
La parabole paraît peut-être dure à première lecture, mais elle nous invite à faire un choix dans nos vies. Soit nous pouvons être sages et rechercher la Vérité et la présence de l’époux, soit nous pouvons rester dans l’insouciance et nous désengager. Nous pouvons nous rappeler de la présence de Dieu dans nos vies ou nous laisser-aller à l’oubli.
Jésus dit ce matin : le royaume de Dieu est semblable à dix jeunes personnes en âge de se marier… Frères et sœurs, il me semble que cette parabole nous invite à reconnaître que nous incarnons tous et toutes cette recherche de l’époux ou de l’épouse. Elle nous encourage à entreprendre et persévérer dans une quête à la fois personnelle et communautaire qui engage notre devenir. Continuons à chercher, à errer s’il le faut, à mettre de l’huile dans nos lampes, à célébrer la vie, à pleurer nos peines. Chacun et chacune, veillons et prions ensemble. Uni, par notre amour de Dieu.
Un jour passera, une nuit viendra où nous entendrons l’appel de la venue de notre personne bien-aimée. Et ainsi, en la retrouvant et en la reconnaissant, nous serons en sa présence à jamais.
Amen
LECTURES BIBLIQUES
Psaume 78
Jacques 4, 1-10
Matthieu 25, 1-13
Luc 8, 16-18
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