Vous avez sûrement réalisé que c’est une même question qui unit les deux récits bibliques que nous venons d’entendre. « Comprends-tu ce que tu lis? », demande Philippe au fonctionnaire qui rentre de Jérusalem à la suite de son pèlerinage. « Comprenez-vous ce que vous vivez? », demande Jésus à Clopas et à son compagnon ou sa compagne qui rentrent de Jérusalem à la suite de la crucifixion et de la mise au tombeau.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
J’aurais envie de dire : ces deux récits condensent tout ce qui fait notre foi telle qu’il nous est donné de la vivre dans la tradition protestante. En effet, au besoin humain fondamental de comprendre, le Christ offre absolument gratuitement l’éclairage de l’Écriture et l’expression du Sacrement, le baptême dans un récit, et la Cène dans l’autre. Ce sont ces quatre points qui baliseront notre méditation.
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D’abord, le besoin de comprendre Parmi les situations humaines les plus pénibles à vivre, il y a celles qui sont incompréhensibles. Nous le savons tous. Le moral est bien bas quand on n’a pas d’autre chose à dire que « Je ne comprends pas… je ne comprends pas », ou « Il n’y a rien à comprendre… », n’est-ce pas? Rappelons-nous comment l’être humain est un être de besoin. Nous avons des besoins de base : celui de survivre et celui de nous reproduire. Et nous avons les deux besoins supérieurs : celui de comprendre et celui d’aimer et d’être aimé. C’est lorsque ces besoins sont comblés de manière satisfaisante que notre vie a un sens.
Or, tragiquement, le sens de l’existence est opaque. Impénétrable, ou alors aussi approximatif que les ombres sur les parois de la caverne de Platon. C’est troublant, ne trouvez-vous pas? La condition humaine est bien représentée par le mythe grec du labyrinthe, qui dit notre incapacité de nous en sortir par nous-mêmes. C’est ce qu’en régime chrétien on appelle la situation de péché, qu’on l’appelle originel ou pas.
Les religions offrent aux êtres humains des réponses aux besoins de comprendre et d’aimer. Vous savez comment pour les bouddhistes, par exemple, on pénètre le sens de l’existence quand on comprend que ce qui nous apparaît réalité est illusion et source de souffrance. Pour cette tradition spirituelle, il faut chercher à sortir de cette illusion, entre autres par l’exercice de l’oubli complet de soi qui se traduit par la compassion, qui est le visage le plus élevé de l’amour.
Il en va autrement pour nous, chrétiens. L’Écriture nous propose de comprendre le monde et notre vie comme habités par une Présence bienveillante et créatrice. Elle nous dit que nous pouvons être en relation avec cette Présence d’une façon telle que nous sommes accompagnés tout au long de notre existence sur le chemin de l’engagement dans le monde à la recherche de l’amour universel, allant jusqu’à l’amour des ennemis.
Voilà pourquoi nous pouvons admirer comment ce qui se passe sur la route d’Emmaüs et sur celle de Gaza est structuré autour des deux questions fondamentales pour les chrétiens : « Comprends-tu ce que tu lis? Comprends-tu ce que tu vis? »
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La grâce Vous avez bien sûr observé comment sur le chemin qui mène à Emmaüs, c’est Jésus qui prend l’initiative de s’approcher, c’est lui qui initie le dialogue par sa question, c’est lui qui écoute le récit avec attention et respect, et c’est lui qui explique ensuite l’Écriture. De même, sur la route qui conduit vers la lointaine Éthiopie, c’est Philippe qui court et rattrape le char du voyageur, c’est lui qui initie le dialogue par sa question, c’est lui qui reçoit avec attention et respect le questionnement de l’eunuque, et c’est lui qui le guide dans sa compréhension en lui annonçant la Bonne nouvelle de Jésus.
C’est ça, la grâce. Ce n’est pas notre initiative, bien qu’elle vienne à la rencontre de notre désir. La grâce, c’est Dieu qui nous prévient et qui nous accompagne.
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L’éclairage de l’Écriture C’est à la lumière de l’Écriture que les disciples d’Emmaüs sont initiés à sortir de leur déception et à comprendre l’échec apparent de Jésus. C’est à la lumière de l’Écriture que l’eunuque, dont le sens de la vie ne peut être dans une descendance, est initié à comprendre le texte qui parle d’un Serviteur de Dieu dont Ésaïe dit : « Qui fera le récit de sa descendance? » L’Écriture est le don par excellence fait par Dieu à l’être humain pour illuminer sa recherche de sens. « Ta parole est une lampe pour mes pas, une lumière sur ma route », dit le psaume.
Mais il y a lecture et lecture. C’est à une lecture bien particulière qu’aussi bien Philippe que le Christ initient longuement et patiemment les pèlerins d’Emmaüs et le fonctionnaire de la reine d’Éthiopie. Le Christ mort et ressuscité devient la grille de lecture de l’Écriture, comme on dit aujourd’hui.
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Enfin, le sacrement Tout baigne dans la grâce, mais cette grâce se traduit en désir chez ceux qui la reçoivent, un désir auquel Dieu répond par une nouvelle grâce, celle du sacrement. « Reste avec nous, car il se fait tard et le jour tombe », disent les uns. « Voici de l’eau. Qu’est-ce qui empêche que je reçoive baptême? », demande l’autre. Voilà que le désir humain, creusé par la grâce qui fait comprendre l’Écriture à la lumière de la vie et la vie à la lumière de l’Écriture, trouve son achèvement dans le baptême et dans la Cène.
Notre incapacité de comprendre vraiment, par nous-mêmes, notre existence, la grâce, l’Écriture et le sacrement : voilà les quatre éléments de ces deux récits bibliques qui nous replacent devant l’essentiel. « Comprends-tu ce que tu lis? Comprends-tu ce que tu vis? » N’est-ce pas à cette double question que fait écho la célèbre parole de Karl Barth qui disait qu’il fallait prêcher, mais aussi vivre « la Bible dans une main, le journal dans l’autre »? Mais cela s’applique aussi à notre vie de prière, n’est-ce pas? La vitalité de notre foi tient, dans une certaine mesure, à notre capacité de garder vivante la corrélation entre ce que je lis et ce que je vis. L’Écriture éclaire ma vie, elle la questionne, elle la réchauffe. Ma vie éclaire l’Écriture, elle la questionne, elle lui donne vie.
Voyez-vous comment lire et croire sont deux actes d’interprétation? En communauté, nous apprenons à aller au-delà d’une lecture de l’Écriture au premier niveau, au pied de la lettre. En communauté, nous apprenons aussi à ne pas nous contenter d’une relecture de notre vie sur le plan anecdotique. Notre défi, c’est de nous aider à oser aller au-delà de répéter ce qui est écrit et au-delà de raconter ce qui est vécu. C’est de risquer d’interpréter ce qui est écrit et ce qui est vécu, c’est-à-dire de chercher le sens. Cela suppose que pour nous, la foi et l’existence sont vivantes dans la mesure où elles sont question plus que réponse, recherche plus que repos, désir plus que possession. Car comme le dit le koan zen : « Si tu as trouvé, c’est que tu as mal cherché ».
« Comprends-tu ce que tu lis? Comprends-tu ce que tu vis? »
Par Paul-André Giguère
LECTURES BIBLIQUES
Actes des apôtres 8, 26-39
Luc 23, 13-35
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