Huit jours plus tard, alors qu’en temps normal, les magasins seraient noirs de monde cherchant des aubaines d’après-Noël, les rues sont presque désertes… les seuls à circuler : des livreurs, quelques itinérants et des chars de police chargés de faire respecter le couvre-feu. Que faire ? S’évader en écrasant sur le divan avec les ultimes biscuits du temps des Fêtes, à regarder en rafale les derniers films sur Netflix. Sur le lot… il y en a un qui attire beaucoup d’attention en ce temps d’après-Noël, bien que son propos n’ait rien en soi de divertissant. Le Déni cosmique (V.F. de Don’t look up ! « Regardez pas ! » ) « Le titre renvoie à une invitation lancée dans le film aux Américains à ne pas regarder le ciel, où une immense comète se prépare à percuter la Terre. Il y a bien sûr deux astronomes plus ou moins ringards, joués par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence, qui tentent d’alerter tout le monde en hurlant à la lune. » nous résume Odile Tremblay dans sa critique du film parue dans Le Devoir. Tremblay voit en ce film une fable qui tend au public un miroir qui nous fait voir la réalité de façon un peu floue… pas mal folle… dans l’espoir qu’on ne détourne pas le regard. Car la réalité dérange, n’est-ce pas?
Plusieurs n’ont pas le courage de le regarder jusqu’au bout estimant que ce film … un peu… pas mal… long… est soit trop absurde… et peu subtil… soit trop près de la réalité et pas drôle du tout. Je suis contente d’avoir toffé jusqu’au bout.
Pour moi, plus qu’une fable, ce film est une apocalypse dans le sens premier du terme. Avant de désigner un genre littéraire, le mot apocalypse signifiait « révélation ». Ce film est une révélation. Cette révélation nous fait voir le chaos et le mensonge du monde des humains tout en nous renvoyant à la paix à trouver dans la vérité et la providence divines.
À la fin du film… quand les protagonistes auront tout fait… il y a une dernière scène… qui est aussi une dernière cène. Quand il n’y a plus rien à faire… des gens qui ne sont pas tous liés par le sang se retrouvent à table comme une famille reconstituée par les liens de l’amour alors qu’ils se choisissent mutuellement. Dans les moments qui seront leurs derniers, des frères et sœurs, tricotés serrés, revêtus d’affectueuse bonté, de bienveillance, d’humilité, de douceur… de pardon (Colossiens 3, 12-13) trouvent un peu de paix. Cette paix n’est ni le déni, ni l’insouciance… mais la confiance… la foi. Ils se tiennent la main et se tournent vers le ciel pour prier :
Père aimant, Créateur tout-puissant,
ce soir, nous te demandons ta grâce
en dépit de notre orgueil;
nous te demandons ton pardon, en dépit de nos doutes.
Par-dessus tout, ô Seigneur, nous te demandons la douceur de ton amour pour nous accompagner
dans ces heures sombres;
puissions-nous faire face à ce qui adviendra,
selon ta divine volonté,
avec courage,
avec un cœur ouvert et dans l’acceptation.
Amen.
Et cette prière les ouvre à la lucidité de la vérité et à la reconnaissance. « Vraiment, à bien y penser, nous avions tout ce qu’il nous fallait, n’est-ce pas ? » conclut le professeur Randall Mindy, l’un des astronomes qui avait tout fait pour que le monde se réveille.
Le rideau tombe…tout s’écroule en fait… et j’ai envie de m’écrier avec Ebeneezer Scrooge – personnage d’un autre conte de Noël, le Cantique de Noël de Charles Dickens – alors confronté à sa destinée ultime : « Pourquoi me montrer toutes ces choses, s’il n’y a plus aucun espoir pour moi ? » (Vous pouvez écouter ce conte sur YouTube en cliquant ici.)
Et comme réponse à mon cri du cœur, et aussi rapidement que Netflix me propose son prochain film, j’entends l’écho d’un autre cantique de Noël, celui de Syméon, cette fois « Maintenant, Maître, c’est en paix, comme tu l’as dit, que tu renvoies ton serviteur. Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face à tous les peuples : lumière pour la révélation aux nations et gloire d’Israël ton peuple. » (Luc 2, 29-32).
La gloire est la révélation de la vraie nature d’une personne. Voir la gloire de Dieu, c’est voir Dieu tel qu’il est[1]. Et la gloire du peuple de Dieu, c’est de voir son accomplissement non pas dans sa puissance économique ou militaire, mais dans le salut offert à tous les peuples : un nouveau-né au nom de Jésus, Dieu-sauve. Dieu choisit de nous sauver en venant à nous dans la fragilité et la vulnérabilité de notre humanité. Syméon a eu les yeux pour le voir… et les mains ouvertes pour l’accueillir.
Syméon attendait la consolation d’Israël. Que faisait-il en attendant ? Juste et pieux, comme il était, il priait sans doute… probablement en chantant des psaumes comme celui-ci : « De tout mon être, je compte sur le Seigneur, et j’espère en sa parole. Je compte sur le Seigneur, plus qu’un veilleur n’attend le matin ; oui, plus qu’un veilleur n’attend le matin. » (Psaume 130, 5-6) Qui arrête de veiller et d’attendre, risque de manquer les signes de Dieu1. Look up ! Regardez ! Tournez les yeux vers le Seigneur. Huit jour après la naissance de Jésus, Syméon a vu comment Dieu sauve. Et nous ? Huit jour après Noël, qu’attendons-nous ? Qu’espérons-nous ? Look up ! Regardez ! Le salut est proche… à la portée de toutes et tous.
Syméon a pris l’enfant Jésus dans ses bras. On peut aussi le traduire, il l’a reçu, il l’a accueilli1. Le salut, impossible de le saisir, de se l’arracher… comme une aubaine d’après-Noël. Le salut nous est offert. On ne peut que l’accueillir. Comment ne pas bénir Dieu par la suite… même si on sait pertinemment qu’il y aura des bouts roughs à passer? Ça aussi, Syméon le saisit en regardant l’enfant Jésus. (Lisez quelques versets plus loin pour vous vous rappeler la suite de l’histoire.) Syméon ne sait pas comment toute cette histoire va se terminer. Il ne vivra peut-être même pas assez longtemps pour voir la fin. Il lui suffit d’accueillir l’enfant-Jésus. Dieu sauve. Syméon est en paix.
La paix qui l’habite n’est ni le déni, ni l’insouciance… mais la confiance… la foi qui permet, non pas d’éviter les épreuves mais de les traverser comme Jésus le fera une fois devenu grand : avec courage et acceptation.
Et si je vous raconte tout cela huit jours après-Noël, ce n’est pas pour vous divertir… et encore moins pour vous inciter à détourner le regard. Au contraire. Frères et sœurs, Look up! Regardez ! Relevez la tête. Tournez les yeux vers le Créateur du ciel et de la Terre. Comme Scrooge l’a compris après la visite des trois esprits, même s’il s’est réveillé et que tout était pareil… son lit, sa chambre et tout le reste… « le lendemain lui appartenait pour s’amender et réformer sa vie ! »
Je ne sais pas comment toute notre histoire va se terminer. Quoi qu’il advienne, comme Syméon, par la grâce de Dieu, puissions-nous avoir les yeux pour voir et les mains pour accueillir le salut. En attendant, et surtout en ces jours d’après-Noël, faisons ce qui nous est possible par la puissance de l’Esprit à l’œuvre en nous : revêtons-nous d’affectueuse bonté, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience… de pardon… soyons parfaitement unis par l’amour afin que la paix du Christ règne dans nos cœurs et nous rende reconnaissants. Par la grâce de Dieu, cela suffira. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
1] Voir A. Nouis, Le Nouveau Testament : commentaire intégral verset par verset, Olivétan/Salvator, 2018.
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