En ce dimanche des Rameaux c’est la figure de Simon de Cyrène qui a capté mon attention.
Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui venait de la campagne, et ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus.[1]
Un certain Simon. On en sait peu sur lui, hormis qu’on le dit originaire de la Cyrénaïque, d’une colonie juive d’Afrique du Nord, avoir deux fils, Alexandre et Rufus, connus des chrétiens (selon Marc, l’évangéliste); et que précisément ce jour-là, alors qu’il venait de la campagne (au retour des champs) et croise le cortège des suppliciés en route vers Golgotha, il est pris (littéralement on lui met la main au collet) puis chargé de la croix pour la porter derrière Jésus. Pourquoi lui? Sa stature l’a vraisemblablement fait ressortir de la foule pour ce labeur imposé par les soldats, impossible de s’y soustraire. Je me le représente de grande taille, un costaud, un travailleur manuel musclé, robuste, capable d’un effort physique soutenu, l’homme parfait pour la situation quoi.
Réquisitionné manu militari, Simon, jusqu’alors inconnu des Écritures, devient sans l’avoir aucunement recherché illustre pour la postérité, l’archétype du disciple : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive…[2] Simon avançait à ses affaires sur la route de sa vie ordinaire; et puis voilà qu’arrive inattendue, incontournable, la rencontre avec Jésus.
Un peu comme lorsque sans s’y attendre nous nous retrouvons face à une CROIX de chemin, ces artéfacts érigés sur les routes et dans certains lieux importants, presque 3000 au Québec. Au carrefour de nos vies, au gré des circonstances, des rencontres et des époques se dresse la Croix comme un signe, un repère, un rappel; on s’y arrête, on y fait une pause. Je peux regarder, méditer, prier. C’est l’occasion d’évaluer le chemin parcouru jusqu’à ce moment présent autant que de considérer la suite, alors qu’on s’apprête à poursuivre notre route. Où souhaitons-nous nous rendre, de quelle manière, en quelle compagnie, dans quel but? Croix de chemin où le cœur attentif peut entendre l’Esprit souffler les paroles de Jésus qui prolongent son invitation à une vie de disciple : Qui veut sauver sa vie la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera. Quel avantage quelqu’un a-t-il à gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même?[3]
La prière quotidienne, la méditation et l’étude de l’Écriture, le culte autant que les gestes de compassion et de solidarité, les actes d’engagement en faveur de la dignité et de la justice, le don de soi, ce sont là d’une certaine façon toutes des croix de chemin, qui sollicitent notre réponse, nos talents, nos efforts, notre cœur, notre vie.
Mais, lorsque submergé sous la douleur ou la détresse, quand la déferlante m’emporte moi, mes proches, ma société, le monde, lorsqu’il n’y a plus de temps pour le rituel, que les mots sonnent creux, que mon cœur est sec, que mes pensées sont obsessives, que je me débats comme diable dans l’eau bénite, s’allonge alors devant moi, interminable et angoissant le chemin de CROIX. Ces heures qui n’en finissent plus, sur un lit d’hôpital, aux soins palliatifs, dans la cellule du prisonnier, de la personne torturée, violée, abusée; tous ces gens traqués par la guerre, la faim, la menace constante, celles et ceux qui vivent la détresse d’un deuil, d’une rupture, d’un abandon, d’une trahison. Le parcours de douleurs de Jésus, des Rameaux à la Passion, habite toutes les détresses et langueurs de l’humanité, de la création, de l’univers entier. Il est l’acte ultime d’une existence offerte pour la guérison et le salut. Jésus Christ, lui qui est de condition divine… s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.[4]
C’est alors que la solidarité des pierres vivantes, Corps du Christ contemporain que nous formons, est mise à contribution. Quand nous ou notre prochain vivons dans notre chair le chemin de croix, nous ne sommes pas seuls. Dieu, en Christ nous accompagne, et par l’Esprit il nous donne de nous apporter le réconfort et le soutien, par l’offrande de nos vies. Dans l’Esprit, nous sommes aussi robustes et forts que Simon et capables d’aider à porter la croix à la suite de Jésus; d’avoir foi quand notre frère, notre sœur n’en est plus capable. Car, la conscience de la croix est aussi porteuse de son triomphe par l’inextinguible lumière de Pâques et le relèvement de la vie. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom.[5]
En hébreu, le nom Simon signifie celui qui est entendu, accueilli, accepté. Dieu connaît le cri, le besoin de chacune et de chacun mieux que nous-mêmes; au fil des circonstances, il nous conduit sur les chemins de nos vies, il nous y accompagne car il nous y précède. Tantôt croix de chemin, parfois chemin de croix, toujours, par pure grâce, chemin de foi. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Luc 23,26
[2] Luc 9,23; et aussi Luc 14,27 Celui qui ne porte pas sa croix et ne marche pas à ma suite ne peut pas être mon disciple.
[3] Luc 9,24-25
[4] Philippiens 2,6-8
[5] Philippiens 2,9
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