Dieu dit, « dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. » (Genèse 1, 28) Jésus dit « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples… » (Matthieu 28, 19). Voilà deux versets qui me donnent envie de regarder ailleurs quand vient le temps de choisir des extraits bibliques pour une prédication. Au fil des siècles, ces deux versets – et bien d’autres – ont été utilisés pour justifier l’injustifiable. Brandir la Bible, se servir l’autorité des Écritures afin de légitimer une position autoritaire, ça ne date pas de lundi dernier. Il n’est pas surprenant que ces versets nous dérangent, qu’on ait envie de les fuir. Mais fuir ce qui nous dérange, détourner le regard de que l’on préférerait ne pas voir, ne pas reconnaître le pouvoir qu’on a entre les mains, c’est abdiquer sa responsabilité. Il ne faut ni brandir… ni fuir… la Bible. Il faut l’ouvrir. Il faut braver ce qui nous dérange dealer avec… pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Donc, prenons un grand respire… et plongeons ! Commençons au commencement ! Que dire de ces impératifs : « remplissez la terre, dominez-la. » (Genèse 1, 28) Nul doute, l’être humain reçoit l’ordre de dominer la terre. Mais l’être humain qui est fait à l’image et à la ressemblance de Dieu doit dominer (régner, en fait) à la manière de Dieu. Et Dieu regarde tout ce qu’il a créé et constate : « Voilà ! C’est très bon ». Si Dieu dit que quelqu’un ou quelque chose est bon… qui sommes-nous pour le contredire ? Regardez cette mosaïque à votre écran. Moi, je vois des dizaines de vraies merveilles !
À nous, tous les humains créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, de regarder l’ensemble de la création – dans toute sa diversité – et de le voir comme Dieu le voit. « Voilà, c’est très bon ! » À partir de ce constat, il devient plus difficile, me semble-t-il, d’exploiter, d’exterminer, d’opprimer quoi que ce soit, qui que ce soit.
Revenons maintenant à cette fameuse phrase « Dominez la terre. » Il ne faut pas lire ce verset hors contexte. Plus précisément, il faut le lire à la lumière du deuxième récit de la création. La première lecture de ce matin s’est terminée au milieu du 4e verset du 2e chapitre de la Genèse. Écoutez la suite (un verset de demi de plus) : « 4Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création. Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, 5il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’être humain pour cultiver le sol. » L’être humain a été créé pour cultiver le sol. Et là, il n’est pas question de l’agriculture industrialisée telle qu’on la connait aujourd’hui, au contraire ! Le verbe hébreu `abad signifie servir. La même racine nous donne les termes serviteur et même esclave ailleurs dans les Écritures. L’être humain a été créé pour servir la terre… non pas pour se servir de la terre pour satisfaire à ses moindres caprices.
Tout à coup, on voit l’appel à dominer la terre sous un autre jour. Les êtres humains reçoivent l’ordre de dominer – de régner, en fait – à la manière de Dieu. Et la manière de Dieu, c’est de venir Jésus non pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie afin de libérer une multitude de gens (Matthieu 20,28).
Au cours des dernières semaines, nous avons vu que les êtres humains sont capables de faire des sacrifices pour le bien commun, se passer de certains conforts, de certaines commodités, de certains privilèges pour servir la Terre et les vivants. C’est un reflet de l’image de Dieu en nous, nous semble-t-il, l’image de Dieu qui est venu en Jésus. Tout pouvoir a été donné à Jésus. Mais Jésus ne s’en est jamais servi pour se hisser au-dessus des autres (voir, par exemple Philippiens 2, 5-7). Jésus n’a jamais écrasé personne. Jésus s’est servi du pouvoir qu’il avait entre les mains pour libérer les autres… de toute forme de discrimination… de toute oppression. Jésus n’a pas utilisé son pouvoir pour s’imposer. Ses paroles et ses gestes ont toujours servi à inclure les exclus, à faire entendre la voix des sans voix, à toucher les intouchables, à relever les opprimés. Jésus a utilisé le pouvoir qui lui avait été donné pour créer une communauté radicalement inclusive. C’est avec tout cela en tête qu’il faut interpréter l’appel à faire des disciples de toutes les nations.
À une époque où on s’interrogeait sur la place des non-juifs dans la communauté chrétienne, l’Évangile de Matthieu insiste pour dire que toutes et tous sont les bienvenus dans la communauté des disciples – sans égard pour leur origine ethnique, leur statut social ou quelque trait identitaire que ce soit. L’Évangile de Matthieu se termine par une invitation à bâtir une communauté inclusive et non par l’autorisation à pratiquer un prosélytisme coercitif… ou à procéder à l’assimilation systématique de populations entières.
Vendredi dernier, à La Parole sur le pouce, nous étions plusieurs à remarquer que c’est à un moment où les disciples ont des doutes que Jésus les envoie en mission… comme quoi le doute n’est pas l’antithèse de la foi. Le doute fait partie intégrante d’une foi saine. Le doute nous fait avancer avec humilité en nous rappelant que nous ne détenons pas toute la vérité, que d’autres, eux aussi faits à l’image de Dieu, ont des choses à nous révéler sur notre Créateur ainsi que sur sa volonté pour sa création.
Revenons à ce que Jésus dit à ses disciples pleins de doutes. En fait, une traduction libre – mais assez proche du grec – donnerait quelque chose du style : « Poursuivez le chemin que je vous ai tracé. Suivez mon exemple, mes instructions et enseigner à d’autres – sans égard pour leur origine ethnique – à en faire autant. Baptiser, ça vient après. La première préoccupation de Jésus n’est pas de faire des membres et des adhérents. Jésus nous demande de faire des disciples, des gens qui suivent son exemple et son instruction et qui vivent comme il a vécu… au service de la Terre et de toutes ses créatures.
Vivre au service de la Terre et de toutes ses créatures, c’est cela être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Voilà la volonté de Dieu pour tous les humains. Jésus nous a montré – par sa vie, sa mort, et sa résurrection – qu’il est tout à fait humainement possible de vivre selon la volonté de Dieu. Et par la grâce de Dieu, l’Esprit nous est donné afin que nous aussi, nous vivions comme le Christ a vécu. Notre baptême est le signe extérieur et visible de cette grâce intérieure et invisible. Nous sommes des disciples créés à l’image et à la ressemblance du Christ. Comme lui, nous sommes capables de Dieu. Allons dans le monde. Par la grâce de Dieu, utilisons le pouvoir qui nous a été donné pour transformer le monde selon le dessein éternel de Dieu. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
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