En Occident, pendant des millénaires, pour ce qu’on peut comprendre du passé, la peur du châtiment semble avoir été le motif dominant du vécu religieux. On imputait à Dieu émotions et manières de voir propres aux humains. Les difficultés, revers de fortune et malheurs divers étaient perçus comme des gestes de punition délibérés de la part de Dieu qui rétribuait les fautes en associant du même coup la nature au châtiment.
À une époque préscientifique, les textes sacrés étaient pris au pied de la lettre. Hormis certains mystiques dont les propos et l’expérience spirituelle invitaient, avec une audace d’ailleurs souvent réprimée sévèrement, à aborder le divin de façon symbolique et poétique, le fondamentalisme était maître de la pensée, une conception littérale étant l’unique manière autorisée de comprendre l’Écriture et la tradition sous le contrôle exclusif de l’institution. Aussi invraisemblable que cela soit, une telle approche perdure encore jusqu’en cette 3e décennie du 21e siècle. Sous une fidélité de surface cette attitude nous déresponsabilise d’une implication personnelle et libre dans notre vie spirituelle, confinant à une religion de conformité à des règles et des principes dits immuables peu importe qu’ils génèrent la destruction des consciences comme des existences.
Les eaux vives de la spiritualité auxquelles notre communauté vient s’abreuver nous parviennent à travers les canaux de la tradition judéo-chrétien, des anciens textes de la Bible et de leur transmission et interprétation par les Églises au fils des siècles. Et là, nous ne pouvons que constater combien le message de paix et de pardon, d’espérance et de salut que nous cherchons, est enchâssé dans des narrations de guerres, d’invasion, de massacres, de spoliation, et de violences innombrables des puissances économiques et nationales, les turbulences historiques du Moyen-Orient puis de l’Occident d’autrefois mais qui se répercutent encore aujourd’hui. Une contradiction épouvantable. En sortira-t-on jamais? Sous des prétentions de bienveillance Dieu serait-il ultimement un terroriste?
Les textes de ce matin peuvent nous donner froid dans le dos mais avant tout ils évoquent le ras-le-bol du Créateur de l’univers envers la complaisance séculaire de l’humanité dans l’injustice égoïste, l’arrogance vaniteuse, la cupidité insatiable et les multiples formes d’oppression, de négligence et de violence envers autrui comme à l’égard de la création. Certes, la colère est mauvaise conseillère, mais la patience a aussi ses limites. Ce qui est manifestement tordu et odieux, ce qui nous devient intolérable et exige une condamnation claire, cela le serait-il moins pour Dieu?
Collectivement comme individuellement, que font les humains des talents confiés par le maître parti en voyage [1]? Comment agissons-nous durant ce temps d’absence que l’on peut comprendre comme l’intervalle d’une vie? Longtemps après, arrive le maître et il règle ses comptes avec ses serviteurs.[2] Au temps du prophète Sophonie, alors que le petit royaume de Juda est menacé par les luttes de contrôle de super puissances de l’époque, assyrienne et babylonienne, les propos du prophète sur Jérusalem et le peuple de l’alliance résonnent comme le glas : ça suffit. Jérusalem ne cherche plus le Seigneur[3], c’est là son péché, la perte de son identité véritable. Ses multiples compromissions religieuses idolâtres[4], sa suffisance orgueilleuse, sa confiance futile dans les richesses génère l’incrédulité des masses, alors qu’injustice et violence ont libre cours. Les responsables et dirigeants du peuple (prêtres, prophètes, princes, juges) ont trahi leur mission. C’en est assez. L’heure de la reddition de compte a sonné.
Silence devant le Seigneur DIEU ! car le jour du SEIGNEUR est proche. Jour de fureur que ce jour, jour de détresse et d’angoisse, jour de désastre et de désolation, jour de ténèbres et d’obscurité, jour de nuée et de sombres nuages… car ils ont péché contre le SEIGNEUR, ni leur argent ni leur or ne pourra les délivrer : au feu de mon ardeur, toute la terre sera dévorée.[5]
Au fil des siècles cette prophétie, proclamée pour cette époque, a été perçue comme pertinente pour tous les temps. Alors que nous sommes saturés de l’iniquité et des violences qui enveloppent la période actuelle que nous vivons, il convient de nous rappeler qu’une justice cosmique est à l’œuvre qui ultimement s’accomplira. Le poème médiéval du Dies Irae l’évoque en images intenses affirmant que la miséricorde divine apportée par le Christ sera le seul le contrepoids d’une justice véritable à laquelle rien ni personne ne peut se soustraire.
Jour de colère, que ce jour-là, quand le juge apparaîtra pour tout strictement examiner, Un livre sera ouvert, dans lequel tout sera contenu ; tout ce qui est caché apparaîtra, tous les secrets seront révélés et rien ne restera impuni. Ô Roi d’une majesté redoutable, toi qui sauves par grâce, sauve-moi, source d’amour. Rappelle-toi, Jésus très bon, que c’est pour moi que tu es venu ; ne me perds pas en ce jour-là. À me chercher tu as peiné, me rachetant par la Croix, par ta Passion tu m’as sauvé. Tu serais juste en me condamnant, mais accorde-moi ton pardon lorsque j’aurai à rendre compte.[6]
LECTURES BIBLIQUES
[1] Matthieu 25,14
[2] Matthieu 25,19
[3] Sophonie 1,6;3,6
[4] Sophonie 1,4s,8s
[5] Sophonie 1,7.15.17b.18a.c.
[6] Extraits du poème médiéval Dies Irae. Écoutez la mélodie grégorienne qui l’accompagne.
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