Ésaïe et l’écologie

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« La terre en deuil se dégrade, le monde entier dépérit et se dégrade…La terre a été profanée sous les pieds de ses habitants, car ils ont transgressé les lois, ils ont tourné les préceptes, ils ont rompu l’alliance perpétuelle. C’est pourquoi la malédiction dévore la terre, ceux qui l’habitent en portent la peine…La terre se brise, la terre vole en éclats, elle est violemment secouée. La terre vacille comme un ivrogne, elle est agitée comme une cabane. Son péché pèse sur elle, elle tombe et ne peut se relever. » Ce texte n’est pas tiré d’un poème en prose écrit, au 21e siècle, par un poète ou une poétesse des Premières Nations ou du réseau écologiste. Il est l’œuvre d’un prophète écrivain du 8e siècle avant Jésus Christ. La Traduction œcuménique de la Bible, la Tob, écrit en introduction à son œuvre : « Ce personnage extraordinaire a été appelé à prophétiser à un âge relativement jeune, en 740, et son activité s’est étendue sur une période d’au moins quarante ans. Son apparition sur la scène de l’histoire coïncide avec la période de prospérité  qu’avait connue (le pays) de Juda sous le long règne du (roi) Ozias, mais qui avait pour contrepartie le développement du luxe, l’avènement d’une classe de propriétaires qui accaparaient toutes les terres, l’écrasement des pauvres. » Un saut dans le temps et nous y sommes, avec notre croissance du PIB et notre surconsommation, l’accaparement de la richesse par notre 1% de grosses fortunes et nos pauvres qui s’appauvrissent, dans une certaine mesure ici et énormément dans les pays du sud. « Comme aux sages auprès desquels il s’est formé, ajoute la Tob, la réalité lui paraît (à lui Ésaïe) chargée de sens. Les éléments de la nature, le feu, la terre, l’eau et le vent se montrent à lui sous leur double visage de puissance de vie et de mort et expriment le double aspect de Dieu, auquel on ne saurait échapper, pas plus qu’à la réalité qui nous entoure. »

Dans le passage que nous venons de lire, c’est de la terre dont il s’agit. À quelle terre pense Ésaïe : le seul pays d’Israël ou la terre entière, telle qu’on pouvait l’imaginer en ce temps-là?  « Le mot, employé sept fois dans ce court poème, écrit la TOB, peut avoir les deux sens… » Pour nous, à n’en pas douter, à la terre entière, telle que nous la connaissons, s’applique le mot d’Ésaïe : « La terre en deuil se dégrade, le monde entier dépérit et se dégrade… » Si on considère la situation du point de vue d’Ésaïe, de puissance de vie notre terre est en train de devenir puissance de mort, comme conséquence de notre péché collectif contre elle. « La terre a été profanée sous les pieds de ses habitants, écrit Ésaïe, car ils ont transgressé les lois, ils ont tourné les préceptes, ils ont rompu l’alliance perpétuelle. » L’alliance à laquelle pense vraisemblablement Ésaïe est celle évoquée au livre de la Genèse, par laquelle l’homme, créé mâle et femelle, a été appelé à remplir la terre et à la dominer (Gn 1, 28). C’est l’alliance qui a été renouée avec Noé (Gn 8, 21-22),  après que le déluge eut menacé toute vie sur terre comme conséquence de la « méchanceté » humaine (Gn 6, 5-7). La miséricorde divine placée par l’auteur de la Genèse aux temps mythiques des débuts de l’humanité n’empêchera pas que l’ascendant conféré par Dieu à l’homme sur la création ne soit détourné, au temps d’Ésaïe comme au nôtre, sur une exploitation au détriment de la terre entière et des êtres vivants qui la peuplent.

Pour Ésaïe, la dérogation humaine à « l’alliance perpétuelle » (Es 24, 5) libère Dieu de son engagement à l’égard de sa création. Il n’empêchera pas les conséquences du mauvais usage de la liberté humaine. Il les assume, au contraire, comme sa volonté propre. Le chapitre commence sur cette lancée : « Voici que le Seigneur dévaste la terre et la ravage, il en bouleverse la face… » (Es 24, 1). La dégradation de la terre est conçue comme un péché collectif dont la sanction frappe toute l’humanité. Le Seigneur disperse tous les habitants de la terre, sans égard à leur statut social : « les prêtres comme le peuple, écrit Ésaïe, le maître comme son serviteur, la dame comme sa servante, celui qui vend comme celui qui achète, celui qui prête comme celui qui emprunte, le créancier comme le débiteur. La terre sera totalement dévastée, pillée de fond en comble, comme l’a décrété le Seigneur. » (Es, 24, 1-2).

L’idée d’être ainsi sanctionné, nous ou tout au moins nos descendants immédiats, pour une faute dont les effets dépassent notre capacité individuelle à mal agir nous répugne. Pourtant, l’éventualité que cela se produise est tellement plus réelle qu’au temps d’Ésaïe : risques liés au nucléaire, tant civil que militaire; contamination chimique des aliments, des sols, des nappes phréatiques et des eaux de surface; réchauffement de l’atmosphère par l’emploi massif de combustibles fossiles; érosion des sols et destruction des habitats par déforestation; manipulations génétiques aux conséquences incontrôlées; vulnérabilité accrue aux épidémies comme conséquence de la concentration des populations dans des mégalopoles. Et ce qui a été ainsi créé par des choix collectifs inconséquents, étalés sur plus de deux siècles, fruits d’une idolâtrie de la science et des techniques, les gestes individuels ne pourront pas suffire à le contrer. Comme l’écrivait une journaliste à propos du réchauffement climatique, « j’ai beau prendre les transports en commun et avoir commencé à composter avant l’heure, il est évident que ces gestes ne suffiront pas à sauver la planète du réchauffement climatique. »[1] À péché collectif, rémission collective à travers des actions collectives. Nos actions et nos engagements individuels ne peuvent que  modestement chercher à s’y insérer. Pour ceux et celles qui ont un peu vécu et un peu étudié l’histoire, ceci donne à penser, comme l’écrivait un sociologue, que « la transition se comprendra dès lors comme un processus qui sera marqué par le conflit, les rapports de force et la polarisation sociale. »[2] Il n’a pas suffi de la charité individuelle pour réduire la pauvreté. Il n’a pas suffi des bontés de certains maîtres à l’égard de leurs esclaves pour abolir l’esclavage. Il n’a pas suffi des délicatesses amoureuses pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Il faudra passer dans le tamis des luttes sociales et de l’action politique pour garder la terre habitable pour tous les vivants, sans distinction de statut social ni même d’espèce d’appartenance. Comme chrétiens et chrétiennes, nous avons donc, outre nos gestes individuels, à trouver le moyen de contribuer aux mouvements collectifs voués aux changements économiques et politiques qui rendront à la terre son avenir dans la création. Comme l’écrit Paul, dans un passage inspiré qui nous parle tant aujourd’hui, « la création attend avec impatience la révélation des fils (et filles) de Dieu : livrée au pouvoir du néant -non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’a livrée-, elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. » (Rm 8, 19-21).

Dans la parabole des talents, Jésus nous appelle à faire valoir les nôtres. Il n’est pas à propos de chercher prudemment à les protéger en les enfouissant dans notre espace privé. Je comprends, pour ma part, que cela vaut pour les enjeux collectifs qui se rapportent à l’écologie, autant sinon plus que pour d’autres; ce que notre confession de foi appelle sobrement « vivre avec respect dans la création ». Bien sûr, pour plusieurs d’entre nous –et je m’inclus bien évidemment-, la forme physique commence à manquer pour s’exposer sur la ligne de front des luttes sociales. La possibilité nous reste néanmoins largement ouverte d’agir dans des « rôles de soutien » des combats d’avant-garde que mènent des plus jeunes que nous, sur des premières lignes où ils et elles doivent composer avec les exigences et les tensions des actions collectives, en particulier quand elles sont conflictuelles. Dans un verset qui suit ceux que nous avons lus et commentés, Ésaïe écrit que le Seigneur interviendra contre « les rois de la terre »; on comprend par le contexte qu’ils sont ceux qui ont orchestré le mal qui est arrivé. Aujourd’hui, Dieu qui aurait pu laisser aller la dégradation de sa création, dans le délire d’une croissance sans frein, en l’assumant comme sa propre sanction, intervient à travers l’action des hommes et des femmes qui la respectent et veulent la restaurer dans son intégrité. Dieu leur soit en aide et nous en Lui, avec eux et elles! Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Ésaïe 24, 1-6 et 19-20

Romains 8, 19-22

Matthieu 25, 24-30

 

[1] Dubé, Catherine, « Prêts pour la décroissance ? », L’Actualité, mars 2020, page 30.

[2] Pineault, Éric, « Sortir du capitalisme fossile », Relations, numéro 807, avril 2020, page 19.

Photo créée par Elena Mozhvilo

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