« Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. …[V]oir ce qu’on espère n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance. » (Romains 8, 22.24-25). Mais comment espérer encore quand ce que nous voyons autour de nous donne mille et une raisons de désespérer ? Comment espérer encore qu’au terme de la souffrance naîtra un monde nouveau ? N’est-il pas naïf de croire ce que nous ne voyons pas ? Dans une société où histoires vraies et « faits alternatifs » circulent librement partout ; dans un monde où n’importe qui, s’il se fait un bon branding, peut devenir un influenceur ; dans une société où on a l’impression qu’on peut croire à peu près n’importe quoi… n’est-il pas irresponsable… voire carrément dangereux… de croire sur parole… de croire sans voir ?
Aujourd’hui, je veux courir à la défense de Thomas. À mon avis, trop longtemps on a pointé Thomas du doigt. Moi-même je l’ai déjà fait. Trop longtemps, on l’a calomnié pour son incrédulité. Thomas n’est pas complètement bouché ou borné. Il veut croire. Mais il veut aussi voir. Il ne demande que ce que les autres disciples ont déjà eu : l’occasion de voir. Il ne veut voir que ce qu’il aurait vu lui-même s’il avait été à la maison quand Jésus est apparu aux disciples la première fois. Je ne crois pas que ce soit déraisonnable. Jésus non plus, de toute évidence, puisqu’il exaucera Thomas.
Thomas est peut-être incrédule… mais il n’est pas complètement fermé à l’idée que quelque chose d’extraordinaire est en train de se passer, que Dieu n’a pas fini de surprendre ses enfants. Et à son tour, Thomas vivra une expérience spirituelle qui la marquera. Au contact du Ressuscité, il fera une profession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu. » (Jean 19, 28 )
En fait, dans un sens, Thomas est le moins fermé de tous les disciples. Quand Jésus apparaît pour la première fois, alors que les autres disciples sont enfermés à double tour… Thomas n’est pas avec eux. Où est-il ? On ne le saura jamais. Il est peut-être juste sorti chercher des provisions. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il n’est pas là. Il n’est pas enfermé dans la peur… bien qu’il ait autant de raisons de craindre que les autres disciples. Il n’est pas enfermé dans la maison, dans ce qui lui est familier et pourrait lui donner un sentiment de sécurité. Malgré le danger bien réel qui le guette, Thomas sort le premier. Heureusement, par la grâce de Dieu, il est le premier… mais pas le dernier… à se mettre en marche et ce, même avant que Jésus arrive et donne l’Esprit Saint à ses disciples. Le vent souffle vraiment où il veut (Jean 3, 8) !
« Heureux ceux et celles qui ont cru sans avoir vu » (v. 29). Ici, comme ailleurs (Matthieu 5, 3-11), la Bible de Chouraqui traduit le mot grec makarios non pas par « Heureux » comme dans la TOB, mais par en marche. « En marche, vous qui avez cru en moi même si vous ne m’avez pas vu. »
C’est nous, ça ! Même si nous n’avons pas vu de nos propres yeux la marque des clous ou le côté transpercé du Ressuscité, nous croyons. Nous sommes en marche, nous avançons dans la confiance. C’est le sens du mot pisteuo en grec qui est traduit par « croire » en français. Croire, c’est avoir confiance… avancer dans la foi. Croire, c’est espérer ce qu’on ne voit pas encore. Espérer, c’est ne jamais se résigner à l’état actuel du monde.
Rien à voir avec des vœux pieux ou la pensée magique. Croire, c’est choisir d’avancer quand on aurait toutes les raisons de vouloir nous enfermer dans nos peurs, dans nos doutes, dans le désespoir. Croire, c’est avancer… mais pas n’importe comment, pas vers n’importe quoi. Croire, c’est choisir d’avancer vers ce monde nouveau que nous ne voyons pas encore mais que nous espérons, que nous attendons avec persévérance (v. 25).
La persévérance n’est pas une attente passive… mais une attente active… une attente qui choisit et agit de façon délibérée… une attente qui ne fait pas de sur place mais qui nous met en marche.
« Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. …[V]oir ce qu’on espère n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance. » (Romains 8, 22.24-25). Paul écrit ces lignes à l’Église primitive persécutée pour sa foi. Mais ces versets s’appliquent tout autant au monde actuel. L’espérance ne concerne pas uniquement les chrétiens, ni même la race humaine. Notre espérance, c’est pour la création tout entière.
La création attend avec impatience la révélation des enfants de Dieu (v. 18), affirme Paul ce matin. Aujourd’hui, comme hier, la création attend avec impatience que nous réalisions notre plein potentiel… ce dont nous sommes capables. Frères et sœurs, souvenez- vous toujours, nous qui sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu (Genèse 1, 26-28), nous sommes capables de Dieu !
Nous croyons que « nous sommes appelés à vivre avec respect dans la création[1] », n’est-ce pas ? Mais il n’est pas difficile de voir, qu’en tant enfants de Dieu, manquons souvent à nos responsabilités. Nous et la création que Dieu nous a confiée en souffrons. Nous sommes soumis au pouvoir du néant, aux puissances destructrices à l’œuvre dans le monde actuel. Mais, frères et sœurs, de grâce, ne nous enfermons pas dans la peur et la crainte à cause de ce que nous voyons. Gardons notre espérance.
L’espérance ne relève pas de ce que l’on voit mais plutôt de ce que l’on croit, l’espérance relève de ce en quoi on choisit de mettre notre confiance. Espérer, c’est refuser de nous enfermer dans le monde actuel, c’est choisir d’avancer vers le monde à venir, le monde dont nous sommes appelés à être les co-créateurs avec Dieu… par sa grâce seule.
Henri Nouwen a écrit : « Quand la malnutrition, la mauvaise santé, le logement insalubre, les bas salaires et un travail long et épuisant caractérisent la vie de chaque jour ; quand la peur flotte dans l’air et que la torture et la mort menacent à tout moment, le cœur humain doit choisir entre le désespoir et l’espérance, entre la soumission à la puissance des ténèbres et le défi de tendre à la lumière entre les représailles et la libération, c’est un choix intérieur qui ne dépend pas des conditions extérieures… »[2] C’est un choix intérieur qui relève de l’Esprit. Notre Nous avons les prémices de l’Esprit. Notre baptême est le signe extérieur et visible de cette grâce intérieur invisible. Avant même que nous le demandions, nous avons les prémices de l’Esprit. Les bourgeons commence à sortir à peine. Nous n’avons rien vu encore !
Frères et sœurs, peu importe que ce que nous voyions autour de nous ce matin, qu’on enfermés dans nos craintes ou habités de l’incrédulité, par la grâce de Dieu, puisse l’Esprit faire œuvre en nous pour nous mettre toutes et tous en marche vers ce monde que nous ne voyons pas encore mais que nous espérons. Attendons-le avec persévérance. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Tiré de la Confession de foi de l’Église Unie.
[2] Henri Nouwen cité dans Nouis, Antoine, Le Nouveau Testament : commentaire intégral verset par verset, volume 2, Olivétan/Salvator, 2018, p. 984.
2 commentaires
Le nom de Thomas, alias Didyme en grec, signifie « jumeau ». Il a donc un frère (ou une soeur) invisible dans les Ecritures. J’aime à penser que ce jumeau, c’est… nous et que c’est là un motif d’espérance.
Cher Jean,
Merci pour cette belle réflexion dont je vais me souvenir pour une prochaine prédication.
En communion,