Jésus a dit : « Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples. » (Jean 15, 8). Donc, de génération en génération la question se pose : comme Église, comme communauté de disciples, portons-nous des fruits en abondance ou sommes-nous plutôt comme des sarments desséchés ? Il est compréhensible que les disciples cherchent à évaluer leur « rendement ». Mais comment faire ? Quelle mesure prendre ? Depuis longtemps, probablement depuis que l’Église est devenue plus une institution qu’un « mouvement », on mesure la vitalité des sarments par des données quantifiables. Combien de fruit portons-nous ? À chaque année, les pasteurs prennent du temps pour compter…pour remplir des rapports statistiques qui sont supposés donner une indice de la vitalité de l’Église : Combien de membres avez-vous ? Quelle est l’assistance moyenne au culte ? Au cours de la dernière année, combien y a-t-il eu de baptêmes, de mariages, de funérailles ? Combien avez-vous amassé en offrandes ? C’est une tâche fastidieuse, notre président en sait quelque chose. Combien de temps as-tu pris pour remplir les formulaires statistiques dans le cadre du processus d’évaluation des besoins ? Mais est-ce vraiment une mesure fiable de notre vie comme communauté de disciples ? Si Jésus nous a demandé de « faire des disciples », jamais il ne nous demande de remplir des églises, ou des plateaux. Comprenez-moi bien, c’est le fun quand l’église est pleine. Quand il y beaucoup de monde qui chante, qui répond, qui prie. Quand on se retrouve plusieurs autour d’un café en bas. L’Église, c’est ça aussi. Mais ce n’est pas juste ça. Du moins, c’est ce que je comprends en entendant l’extrait des Actes que XXX vient de nous lire.
La route déserte qui descend de Jérusalem à Gaza n’a rien avoir avec les banlieues peuplées des villes où se trouvent bon nombre de nos Églises… là où jusqu’aux années 60, il suffisait d’ouvrir les portes d’un nouveau bâtiment et d’attendre que de nouvelles familles – nos voisins, les gens de notre milieu de vie, de notre culture, et de notre classe sociale viennent remplir nos bancs ainsi que nos beaux programmes, et gonfler ainsi nos statistiques. Philippe ne s’enferme pas dans le temple à attendre que les gens viennent vers lui. Son Église n’est pas encore institution, elle est « mouvement ». Philippe prenait sans doute du temps pour aller prier à la synagogue, mais, dans les versets qui précèdent notre extrait des Actes de ce matin, nous voyons Philippe qui, à l’instar de Jésus, se promène dans une ville de Samarie, s’adressant aux foules et leur venant en aide, de sorte qu’il y ait une grande joie dans la ville (v. 8) .
Et tout à coup, un ange…un messager… (une petite voix intérieure peut-être) lui dit tout simplement de partir… de se mettre en mouvement. Il ne lui a pas été annoncé qu’il allait rencontrer un personnage de haut rang. Il ne lui a pas non plus été dit qu’il rencontrerait une personne riche, occupant un poste politique important et qui de plus serait ouverte aux questions de foi. Philippe n’a pas reçu de justification motivante, telle que nous l’attendrions tout naturellement aujourd’hui. Cela nécessite une action courageuse – d’autant plus que nous sommes à l’époque de la grande persécution de l’Église. Il aurait pu rencontrer n’importe qui, des bandits…ou pire… quelqu’un comme Saul, qui « ravageait l’Église » (Actes 8,3). L’action courageuse, la disponibilité à écouter cette voix intérieure qui nous invite à sortir des sentiers battus, ne serait-ce pas plus fiable comme indices de vitalité des sarments que l’assistance moyenne au culte ?
Selon les standards d’aujourd’hui, Philippe n’est pas un grand succès. Il n’a qu’un baptême à son actif. Mais si on évalue ses fruits par leur qualité, plutôt que leur quantité, Philippe est « winner » sur toute la ligne. Il aurait eu toutes les raisons du monde de ne pas écouter la petite voix intérieure. Philippe et l’Eunuque ne partageaient ni la même langue, ni la même culture, ni le même statut social. Et l’Eunuque avait une « identité de genre » (pour utiliser les mots d’aujourd’hui) qui le démarquait. En fait, si Philippe avait eu une lecture littéraliste des écritures, il aurait peut-être continué son chemin. Certains versets l’auraient vu exclus d’emblée de l’assemblée des fidèles (Deut 23, 2) – mais remarquez d’autres semblent dire le contraire (Ésaïe 56,3). Voilà pourquoi il est si important de ne pas limiter sa lecture de la Bible à quelques versets et voilà pourquoi lire n’est pas suffisant. Il faut aussi comprendre. Et pour comprendre, ça prend un guide. L’interprétation des Écritures se fait mieux en communauté.
Mais avez-vous remarqué ? Philippe ne s’impose pas. Il ne présume rien. Il demande à l’eunuque s’il comprend ce qu’il lit et Philippe attend que l’autre l’invite à monter s’asseoir avant de commencer à l’évangéliser. Et là, dans ce char, sur une route déserte, ces deux hommes forment la première communauté inclusive rassemblée autour de la parole.
Et voilà qu’on arrive à ce qui rend cette rencontre fructueuse : la transformation qui se vit lorsque deux ou trois se réunissent pour saisir le sens profond des Écritures. Chemin faisant, ils tombent sur un point d’eau. L’eunuque reprend la parole pour dire : “ voici de l’eau ”. La demande de baptême est faite sous forme interrogative : “ quel (obstacle) m’empêche d’être baptisé ? ” Comme si l’eunuque pouvait dire : “ Et pour moi, tel que je suis, y aurait-il encore un obstacle à ce que je devienne et fils et frère ? Y aurait-il obstacle à entrer ainsi dans le récit de Jésus humilié et sauveur ? ” Il n’y a plus d’obstacle.
Le compagnonnage se poursuit jusque dans l’eau (v. 38). À deux, ils ont plongé dans l’Écriture ; à deux, ils descendent dans l’eau. L’eau comme le texte sont les lieux des transformations des sujets. Ni l’un, ni l’autre ne sera jamais plus pareil. En un rien de temps, Philippe voit son itinéraire changer bout pour bout. Et l’Eunuque, quant à lui, il poursuit son chemin avec une identité nouvelle. La transformation mutuelle ! À la fois signe de vitalité dans l’Esprit et source de joie. La réjouissance, l’action de grâce, c’est ce qui jaillit de la rencontre de ces étrangers devenus frères.
Qu’il en soit ainsi pour nous aussi. Par la grâce de Dieu et dans la puissance de l’Esprit Saint que nous sortions des sentiers battus pour aller à la rencontre de nos frères et sœurs que nous ne connaissons pas encore. Que nous portions du fruit en abondance et rendions ainsi gloire à notre Dieu…de sorte qu’il y a une grande joie dans la ville ainsi qu’au ciel. Amen.
5 Pâques B15 – Église Unie St-Pierre
Par Darla Sloan
Lectures bibliques
Actes 8, 26-40 (page 1560)
1 Jean 4, 7-21 (page 1733)
Jean 15, 1-8 (page 1536)
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