14 juillet… déjà! Bonne fête à nos ami-e-s français. Enfin l’été est là et apporte un changement – oh! combien apprécié – à notre rythme de vie. Pendant ces quelques trop brèves semaines il y a comme une interruption obligée de la routine, même si on poursuit le travail. C’est un changement drastique de cet « encabanement » de l’hiver, fin de la sédentarité forcée et de l’enfermement avec le retour grisant des beaux jours. Alors on sort, on se promène, on déambule dans les rues, les parcs, les sentiers. Certains parmi nous ont aussi la chance d’aller à l’extérieur de la ville, d’explorer les environs, parfois d’autres régions proches ou plus éloignées. Le dépaysement n’est jamais loin quand on prête attention, et l’étonnement ravi devant la beauté nous attend tout à côté si seulement on est le moindrement attentif. Nos cousines et cousins de l’Hexagone ont conçu une expression pour parler de cette période : « l’autoroute des vacances ». Les plus vieux parmi nous fredonneront spontanément Une belle histoire, cette chanson de Michel Fugain qui demeure pour ainsi dire indémodable.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Coïncidence coutumière dans notre assemblée, l’évangile de ce matin tourne justement autour d’un déplacement routier, d’un fait divers qui est pourtant plus éloquent que bien des discours spéculatifs; il s’agit d’une histoire d’une portée universelle qui a traversé les siècles, où sont décrits les gestes d’une compassion solidaire et agissante qu’on reconnaît spontanément comme manifestant une grande et authentique humanité, qu’on soit croyant ou non. Le point de départ de cet enseignement par l’histoire, de cette parabole, c’est une question biaisée hypocritement posée à Jésus par un expert religieux qui cherche à le prendre en défaut : Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle 1? Jésus, perspicace, renverse la dynamique et invite plutôt son interlocuteur à présenter son point de vue d’érudit des Écritures : le savant légiste va alors formuler sa propre réponse, une synthèse magistrale de l’enseignement du Premier Testament qui est devenue au fil du temps une citation aussi connue qu’incontournable pour résumer l’essentiel de l’expérience religieuse : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. 2» Le légiste n’a pas encore saisi que l’intention de Jésus n’est pas d’invalider son savoir et sa compétence mais d’établir une relation authentique avec lui. Jamais le maître ne rabaisse ou n’humilie quiconque. Alors, voulant montrer sa justice3, le légiste y va d’une deuxième tentative pour piéger Jésus : « Et qui est mon prochain ?4 Jésus n’a aucun intérêt à un débat théorique qui ne servirait qu’à enfoncer son interlocuteur dans son illusion de rectitude (montrer sa justice), et de fait l’éloigner de ce Dieu qu’il prétend chercher. Il lui propose plutôt d’écouter le récit que nous venons d’entendre espérant sans doute l’amener à un autre registre qui l’ouvre vraiment à l’Éternel.
Ce matin, en l’écoutant ce récit qui vous est bien sûr très familier, qu’est-ce qui vous a frappé? À quel personnage mis en scène vous êtes-vous identifié? Et pensons-y un peu : vous arrêteriez-vous spontanément pour aider quelqu’un sur le bord de la route? Et si vous êtes plutôt accosté par des inconnus en ville ? Donneriez-vous un lift à quelqu’un qui fait du pouce au bord d’une route? Oui… mais… peut-être… ça dépend… Au moment où je préparais le culte j’ai pris connaissance d’un avis de prévention de la Sûreté du Québec, publié dans la presse de mardi dernier, qui met en garde les citoyens sur des stratagèmes de demandes fallacieuses d’aide ou de renseignement par des bandits dans le but de créer une distraction et de profiter de cette diversion pour dérober à la personne bienveillante de l’argent, des cartes financières ou des documents d’identité. Évidemment aucun de nous ne souhaite se faire arnaquer ni violenter, et il est bien sûr toujours à propos de demeurer vigilant.
Cela dit, la détresse d’autrui sollicite tout de même notre attention et invite une réponse : mais laquelle? Pourquoi alors passe-t-on tout droit? Parce que je ne sais pas quoi faire, que je crains de mal faire, que je laisse plutôt à quelqu’un d’autre le soin d’y voir? Que m’arrivera-t-il si je m’arrête, est-ce que je ne vais pas me mettre dans « le trouble » ? L’article 1471 du code civil du Québec (dite règle du bon Samaritain!) stipule : La personne qui porte secours à autrui ou qui, dans un but désintéressé, dispose gratuitement de biens au profit d’autrui est exonérée de toute responsabilité pour le préjudice qui peut en résulter, à moins que ce préjudice ne soit dû à sa faute intentionnelle ou à sa faute lourde. À mettre en perspective avec l’avertissement de la SQ : « Les citoyens doivent d’abord savoir qu’ils n’ont aucune obligation d’interagir avec un inconnu. S’ils sont abordés, il leur est suggéré de garder une bonne distance […] à ne jamais se laisser toucher par des inconnus, sous aucun prétexte… »
Mais qu’arrivera-t-il alors à la personne si je néglige de m’arrêter? Tension entre l’instinct de protection et l’élan de compassion. Il n’y a pas selon moi de réponse fixe, nous sommes ici dans une évaluation subjective, dans du cas par cas. Et pour arriver à pondérer la situation, il convient comme toujours de garder une image d’ensemble. D’une façon ou d’une autre nous sommes toutes et tous sur la route, en chemin. Nous sommes aussi toutes et tous imputables et redevables les uns aux autres, de l’éboueur au chirurgien, du plongeur de vaisselles au pilote d’avion. La protection véritable s’exprime par une sollicitude active à l’égard des besoins d’autrui puisque, dans les faits, nous sommes tous membres d’un même corps social. Son besoin est le nôtre. Les distinctions ethniques, nationales voire religieuses sont des abat-jours de la pleine lumière divine qui illumine notre commune condition humaine. Dans le cas présent, les personnes associées au culte de la religion juive n’ont pas agi en conformité avec la totalité de la Loi, n’actualisant pas leur culte dans la bonté compatissante. Il y a une division, une scission, entre les deux grands commandements présentés par le légiste lui-même. Et une religion tronquée ne nous relie plus, ni à Dieu ni aux autres, mais elle nous enferme dans une bulle complaisante d’autojustification, le point de départ de l’interrogation manipulatrice du légiste.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur ce passage si riche en enseignements. À nous de poursuivre la réflexion et, surtout, de demeurer disponible, les yeux et le cœur grand ouverts sans être pour autant naïfs ni dépourvus de jugement. Sur les chemins de l’été qui sont les nôtres, que l’Esprit divin nous accorde d’être attentifs aux hasards qui surgissent et qui peuvent solliciter notre compassion. Libérés de la frénésie de l’horaire et, pour un moment de l’obligation du travail si nous sommes en congé, le temps de vacances est un temps de liberté, de disponibilité… C’est un temps ‘vacant’ vide pour… l’inattendu. Et nous découvrirons alors, comme dans la finale du texte, qu’ultimement c’est nous-même qui sommes conviés à devenir / se montrer / être le prochain. La question n’est plus d’abord qui est mon prochain mais bien de qui suis-je prochain. La réponse : de toute personne dont nous nous rendons proche, envers qui nous faisons preuve de bonté5, cela par un choix délibéré, un acte de volonté, mû par une souci de l’autre authentiquement humain… à l’instar de ce Dieu qui, nous le confessons, s’est fait homme par bonté envers nous. Va et, toi aussi, fais de même6. Amen.
Église Unie Saint-Pierre – Pentecôte 5 C – 14 juillet 2019
TEXTES BIBLIQUES
1 Luc 10, 25
2 Luc 10, 27
3 Luc 10, 29
4 Luc 10, 29
5 Luc 10, 37
6 Luc 10, 37
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