Depuis des siècles la tradition chrétienne reprend la lecture des textes de la Passion et des évènements qui la précèdent, en entier ce dimanche, puis en les répartissant tout au long du triduum pascal. Intentionnellement ce matin seuls quelques extraits ont été lus. Pour ma défense quant à cette entorse liturgique majeure, cet échange cocasse, extrait du film Jésus de Montréal, entre une spectatrice de la production théâtrale de la Passion et un gardien de sécurité obligé d’arrêter immédiatement la représentation : « Laissez-les finir, on veut savoir la fin – Mais tout le monde la sait, la fin, Madame : il meurt sur la croix puis après il ressuscite ! Voyons donc ! Il y a pas de mystère là-dedans ! Vous êtes pas bien brillante, vous ![1]
Justement, l’histoire est si connue, y’a rien là pour bien du monde, même des pratiquants. En route vers Jérusalem fusent les : Bravo, hourrah, lâche-pas Jésus, t’es l’king. Puis à peine quelques jours plus tard, sur le chemin du calvaire : Pourri, imposteur, fais-y mal, tu mérites pas d’vivre. Comment expliquer une telle versatilité, de l’adulation à la crucifixion ? Qu’est-ce qui fonde un tel acharnement de haine et de mépris envers un être reconnu pour ses gestes de bienveillance et son intégrité spirituelle et morale ? Cette condamnation inique, fruit d’intrigues politiques de gens de pouvoir, civil comme religieux, trouve tout de même l’aval du bon peuple. Tragiquement, c’est encore et toujours le cas, non pas un fait unique comme on l’a longtemps présenté pour détourner notre regard de notre propre culpabilité. À travers les siècles, sous toutes les latitudes, l’horreur se répète : les répressions sanglantes d’individus et de groupes coupables de… rêver d’un monde autre, d’interpeller leurs contemporains à plus de justice, plus de compassion et plus de partage, en bref à plus d’amour.
Un tel rejet de ce que pourtant on désire le plus, cela ressemble à la rage d’un enfant dont la colère destructrice donne la mesure de son désarroi, de son désespoir. La promesse ne s’est pas réalisée, je n’ai pas eu ce que je voulais, alors détruisons celui qui en fait l’annonce et l’incarne. Dégoûtés par l’évidence de nos propres échecs et de nos lâchetés dont cette personne nous fait prendre conscience, nous vomissons notre ressentiment à l’extérieur en essayant ainsi de soulager notre propre angoisse et nous permettre de continuer sans rien changer. Maladies mentales, maladies sociales, une haine de soi-même projeter sur un autre. Tortures, lynchages, exécutions, massacres, purges, purifications ethniques, génocides ne trouvent-ils pas dans ces profondeurs troubles l’engrais de tous ces débordements funestes et répugnants ?
Les extraits des lettres aux Hébreux et de Pierre qui enchâssent les passages de Matthieu évoquent des exemples religieux propres à la tradition judéo-chrétienne pour aborder cette réalité sombre de la profondeur de la détresse du cœur humain et de son incapacité de s’en dégager. Le Christ dit : en entrant dans le monde…tu m’as façonné un corps. Holocaustes et sacrifices pour le péché ne t’ont pas plu. Alors j’ai dit : Me voici… Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté.[2] Jésus est le chantre de la grâce, la cantor et le chant de sa vie offerte représente chaque existence qu’il assume et intègre. Chaque génération a ses raisons pour aller à Jésus, mais le besoin demeure le même : trouver en ses dires et ses gestes inspiration, l’espoir, le pardon et la guérison. Il y a un amoureux dans l’histoire qui, elle, est toujours la même pour évoquer la chanson de Leonard Cohen méditée au début du culte. Jésus est à la fois le messager de Dieu et l’incarnation du message sacré même, sa Parole éternelle. Me voici, Hineni ! Cette exclamation en réponse à un appel sacré retentit à plusieurs reprises dans les Écritures dans la bouche d’Abraham, de Moïse, de Samuel et ici dans celle de Jésus reconnu Christ. Me voici, car c’est bien de moi qu’il est écrit dans le rouleau du livre, pour faire ta volonté.[3]
Le Christ aussi a souffert pour vous […] lui qui, dans son propre corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont les meurtrissures vous ont guéris.[4] Demeurer dans le péché, c’est être lesté du plomb de mes fautes et couler à pic dans mon existence. Me voici, Hineni ! Paradoxe insondable où s’exprime la solidarité divine infinie à l’égard de toutes les souffrances et turpitudes de l’humanité, l’horreur de la croix fait pour susciter la crainte et la soumission, se transforme en une bannière de ralliement où s’affirme l’union indéfectible de Dieu, la rédemption, avec tous les meurtris, toutes les victimes du mensonge, de la jalousie et de l’injustice, et jusqu’aux bourreaux. Tel un filtre cosmique pour toujours en fonction, en Christ le mal est absorbé et l’Esprit effectue un changement de cœur et d’attitude en moi.
« …la croix et la mort de Jésus [ont] une double dimension, d’universalité — Jésus est mort pour l’humanité tout entière — et de relation personnelle — Jésus est mort pour moi personnellement —. La Croix est dans cette perspective un salut donné comme grâce de manière unilatérale. »[5] Rien ne repose sur nos mérites, nos œuvres, tout est un don de Dieu, une grâce. Méditons sur ces évènements d’hier qui ont une efficacité présente et permanente. Me voici, Hineni, par ta grâce, je suis prêt Seigneur. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
Matthieu 21,1-9
Hébreux 10, 5-7
Matthieu 26 et 27
1ère lettre de Pierre 2,21-25
Photo: Cimetière d’Einsiedeln (Suisse), courtoisie de Raoul Lincourt
[1] https://www.filmsquebec.com/films/jesus-montreal-denys-arcand/
[2] Hébreux 10,5-7
[3] Hébreux 10,7b
[4] 1 Pierre 2,21b.24
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie_de_la_croix Benoît XVI et la conversion de Paul.
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