Jean le Baptiste est en prison. Il est réduit à l’impuissance. Oui, il a des disciples en liberté, mais ces derniers sont sûrement très désorientés. Tout est sombre autour de Jean, mais aussi en lui. Un long moment, il a reporté ses espoirs sur Jésus, ce modeste artisan parti de Galilée pour venir en Judée l’entendre et qui s’est fait baptiser par lui. On lui dit qu’il a pris la relève. À son tour, non pas retiré dans le désert de Judée, mais en allant de ville en village en Galilée, il annonce lui aussi la venue imminente du Règne de Dieu et exhorte ses concitoyens à la conversion.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Mais « ayant appris, dans sa prison, ce que faisait le Christ », Jean constate que ce Jésus ne semble pas partager au même degré son indignation devant la détérioration de la situation sociale, politique et religieuse des temps qui courent. Jésus ne semble pas disposé à élever la voix pour dénoncer cette « race de vipères » que sont les pharisiens et les sadducéens. Et puis, il tarde à passer de la parole aux actes. Pourtant, Jésus l’avait bien écouté dans le désert : quand donc va-t-il prendre la hache pour attaquer la racine des arbres? Quand donc va-t-il couper et jeter au feu tous ceux qui ne portent pas de bons fruits, nettoyer l’aire à battre le blé et brûler la balle au feu qui ne s’éteint pas ? (Matthieu 3 7-12) Que fait-il de ce qu’avait annoncé Ésaïe : « C’est la vengeance qui vient » (35 4)?
Alors Jean envoie des messagers à Jésus. « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? » On peut y voir un doute dans l’esprit de Jean : peut-être se serait-il trompé sur Jésus? Peut-être Jésus n’est-il pas « Celui qui doit venir ? » On peut aussi voir dans le « devons-nous en attendre un autre » une sorte de mise en demeure, de menace presque : si tu ne passes pas à l’action, mes disciples vont te retirer leur appui et vont chercher quelqu’un d’autre, quelqu’un de franchement résolu à faire le grand ménage.
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? »
Personne, nous le savons, n’a eu plus d’influence sur Jésus que Jean le Baptiste. Voilà pourquoi ce qu’il dit de lui est si fort : « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste. » Car c’est de lui qu’il a reçu la bonne nouvelle de la venue imminente du Règne de Dieu. C’est aussi grâce à lui qu’il a compris sa vocation. C’est sa rencontre qui a enclenché le début de sa nouvelle vie.
Mais comme l’illustre clairement l’épisode du séjour au désert placé par les évangélistes tout de suite après le baptême de Jean, Jésus a décidé de suivre une autre voie que son maître d’un moment. Il n’a pas choisi la voie de l’efficacité, mais celle de la patience. Il n’a pas voulu emprunter le chemin de la provocation, mais celui de la conscientisation. Il n’a pas voulu incarner un Dieu justicier qui condamne, mais un Dieu proche qui accompagne. Il n’a pas adopté un style de vie à l’écart d’un monde qui pourrait le souiller, il a plutôt pris l’habitude de fréquenter même les infréquentables.
Quelques versets après le texte retenu pour le culte d’aujourd’hui, Jésus fait bien apparaître le contraste entre lui et son inspirateur : « Jean est venu, il ne mange pas, il ne boit pas, et l’on dit : Il a perdu la tête. Le Fils de l’homme est venu, il mange, il boit, et l’on dit : Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs » (11 18-19).
Oui, le texte d’Ésaïe entendu tout à l’heure annonçait la vengeance de Dieu, mais c’est d’une autre partie du même texte que Jésus s’inspire. Il préfère se faire proche de ceux dont les mains sont fatiguées ou dont les genoux chancellent, de ceux et celles qui s’affolent et qui ont peur. Face à un monde à l’envers, il veut moins arracher la mauvaise herbe que prendre soin des bons plants. À ceux et celles qui n’ont jamais vu qu’un Dieu d’exigences tatillonnes, de vengeance et de condamnation, il donne à voir un Dieu de patience et de pardon. À ceux et celles qui ne se voient que comme pécheurs et donc exclus de la bonne société, il révèle leur émouvante dignité. À ceux et celles qui marchent tout croche, comme on dit, il redonne un pas assuré. À ceux et celles qui n’entendent que des paroles de mépris et de condamnation, il fait entendre une parole d’amour et de confiance. Et à ceux et celles qui n’avaient aucun avenir, il ouvrait les portes de l’espérance et de la vie.
Oui, l’option de Jésus, c’était de faire voir les aveugles, de faire marcher les boiteux, de guérir et réintégrer les lépreux dans la communauté, de permettre aux sourds d’entendre, de faire revivre ceux qui se tenaient pour morts. C’est aux pauvres qu’il avait choisi d’annoncer la bonne nouvelle.
Avez-vous remarqué comment Jésus ajoute cette phrase étonnante : « Heureux qui ne tombera pas à cause de moi »? C’est que s’il est tout à fait conscient de ne pas répondre aux attentes de Jean le Baptiste, il sait parfaitement qu’il déçoit nos attentes premières et impatientes à nous aussi.
Au risque de nous scandaliser, il a choisi la voie la plus lente. La voie la plus respectueuse de nos rythmes. La voie qui nous renvoie toujours à nos responsabilités dans un monde extraordinairement complexe. Oui, il a donné un élan initial. Oui, des choses ont commencé à bouger. Mais c’est à la manière d’une semence jetée en terre. Comme une pincée de poudre à pâte dans la farine.
Devant le mal du monde, devant le mal dans nos propres vies, nos attentes sont impatientes. Nous voudrions des changements et des résultats tout de suite. Nous trouvons souvent que les promesses de Dieu tardent à se réaliser. Après 2000 ans d’histoire chrétienne, nous n’avons pas beaucoup d’évidences que « le Règne de Dieu est proche ». Que « le Seigneur est proche ».
Comme nous aimerions que ce soit bientôt, que ce soit maintenant que nous pousserons « une clameur de joie, qu’un bonheur sans fin illuminera notre visage, qu’allégresse et joie nous rejoindront, que douleur et plainte s’enfuiront! » Mais nous sommes constamment ramenés au même point : la nécessaire conversion de notre regard, de nos façons de voir. La conversion de nos attentes elles-mêmes. « Tu ne vois pas [encore] les choses à la manière de Dieu, mais de manière humaine », dit Jésus à Pierre (Marc 8 34). C’est seulement si nous acceptons, lentement sans doute mais résolument, d’entrer dans la temporalité de Dieu, que nous pourrons connaître et goûter la joie annoncée en ce troisième dimanche de l’Avent.
Sans doute y a-t-il une grande sagesse à ce que le lectionnaire de ce dimanche nous propose, comme troisième lecture, un texte tiré de la lettre de Jacques qui nous sera maintenant proclamé.
Par Paul-André Giguère
TEXTES BIBLIQUES
Ésaïe 35, 1-2
Matthieu 11, 11
Jacques 5, 7-10
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