Je bénis le ciel d’être impure; je me sens plus vraie

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Nous sommes ici au cœur de ce qu’on appelle « l’incarnation » : c’est dans et par l’humain que le divin habite notre histoire.  La grâce ne change pas notre personnalité.

Quand on lit bout à bout les textes du Nouveau Testament qui évoquent la figure de Simon Pierre, on est frappé par le réalisme du portrait qui s’en dégage. Ici, aucune idéalisation. Les qualités de Pierre côtoient ses défauts. Voici un homme vrai où la sainteté se fraie un chemin entre le côté sombre et le côté lumineux de sa personnalité. Il apparaît comme spontané,[1] prompt,[2] impulsif[3], émotif[4] et sincère[5] tout en étant craintif[6], lâche même[7], pétri de préjugés et résistant à la nouveauté apportée par Jésus[8], trop sensible à l’image qu’il projette. Il dit ce qu’il pense au point de devoir être remis à sa place par Jésus.

Bref, il est tout sauf parfait. Comme cela le rend attachant! Il pourrait faire siens ces mots qui concluent un poème de Michèle Barnabé : Je bénis le ciel d’être impure, je me sens plus vraie. »

Le bibliste Édouard Cothenet a écrit au sujet de Simon Pierre : « Avec son attachement à la personne de Jésus, mais aussi son incompréhension, ses élans de générosité et ses lâches retombées, la vivacité de son repentir et ensuite l’inébranlable fermeté de sa foi, Pierre constitue un modèle d’itinéraire spirituel[9]. »

On est loin, ici, je l’ai dit, de l’idéalisation qui, pendant des siècles, a marqué les biographies de saints, ces histoires de femmes et d’hommes qu’on décrivait comme tellement exceptionnelles qu’il devenait décourageant de chercher à s’en inspirer alors que, pourtant, on les présentait comme des modèles à imiter. La figure biblique de Simon Pierre n’est pas une figure « édifiante », c’est pour cela que nous la trouvons intéressante et inspirante.

Trop longtemps la vie chrétienne a été présentée moins comme une profonde et imprévisible aventure spirituelle que comme une sorte de code moral à la poursuite d’une perfection illusoire. Nous nous sommes tous débattus, à des degrés divers et de multiples façons, avec des impératifs de pureté et de sainteté fondés sur une foule d’obligations et d’interdits. Il fallait se détourner du péché, éviter de faire des fautes, combattre ses mauvais penchants, développer de bonnes habitudes et cultiver la vertu. Les chrétiens ont ainsi subi de nouveau le poids de la loi dont Paul enseignait portant avec insistance que Christ nous en avait libérés.

Voilà aussi pourquoi, d’ailleurs, on est si facilement déconcerté de trouver si peu de paroles et de récits édifiants lorsque nous ouvrons la Bible. Comme l’a écrit un grand sociologue et romancier catholique états-unien, Andrew Greeley, « les histoires que Dieu raconte dans les Écritures juives et chrétiennes sont souvent à la fois profanes et bien peu édifiantes. L’histoire de Joseph et celle de David de même que les para­boles de Jésus ont profondément scandalisé ceux et celles qui les ont d’abord entendues. Si elles ne nous choquent plus aujourd’hui, c’est peut-être parce que nous ne les écoutons plus à force de les avoir trop entendues.

Ce sont des histoires d’adultère, de trahison, d’inceste, de conflits familiaux, de rivalité et d’envie, de traîtres serviteurs et de frères perfides, de mères insensées et de pères mous, de juges injustes et de juges au cœur incroyablement complaisant, […] de fêtes et de réceptions, de guerres et de mariages, de vie et de mort. »

Et Greeley de conclure : « Les histoires de Dieu sont conçues pour nous déconcerter, pour nous ouvrir à la puissance de l’amour choquant de Dieu, et pour ouvrir devant nous de nouvelles façons de vivre dans le monde avec la lumière et la force qui proviennent de cet amour[10]. »

Nous sommes ici au cœur de ce qu’on appelle « l’incarnation » : c’est dans et par l’humain que le divin habite notre histoire. C’est là où le péché prolifère que la grâce surabonde (Rm 5 20). Paul le redit à sa manière : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Cor 12 10). La grâce ne change pas notre personnalité. Certains seront toujours portés à la colère, d’autres ne surmonteront jamais leur  timidité; les uns chercheront à être reconnus, les autres demeureront trop sensibles au regard des autres, et cela emmêlé à la générosité, la tolérance, la soif de justice ou l’exigence d’authenticité.

Poursuivons donc notre route avec la personnalité que nous avons. Poursuivons-la en nous appuyant sur le témoignage parfois déconcertant des Écritures. Qu’elles demeurent le lieu de notre recherche de cohérence et celui de notre rencontre avec l’Esprit du Christ. On m’a dit que lorsque notre paroisse est née en 1987, on avait choisi son nom pour souligner que nous vouions porter l’héritage de l’église Saint-Pierre de Genève, où Jean Calvin aurait commenté les Écritures pendant 23 ans. Profitons de ce dimanche pour rendre grâce à Dieu de ce que l’Écriture demeure toujours au cœur de nos cultes, de nos prières, de notre vie personnelle et communautaire. Pour rendre grâce aussi de ce qu’au centre de notre foi se trouve la figure de Jésus. Pierre, qui a côtoyé Jésus de si près, nous encourage, nous qui ne l’avons pas fréquenté, quand il écrit : « Vous l’aimez, même sans l’avoir vu ; vous mettez votre foi en lui, même sans le voir encore ; c’est pourquoi vous débordez d’une joie inexprimable, déjà glorieuse, car vous atteignez le but de votre foi : le salut de votre être ! » (1 P 1 8-9).

 

[1]    Lc 4 8-12.

[2]    Jn 21 4-7.

[3]    Jn 13 6-9

[4]    Mc 9 2-6.

[5]    Mc 14 26-31.

[6]    Mc 14 66-71.

[7]    Ga 2 11-21.

[8]    Mc 8 31-33.

[9]            É. Cothenet, Pierre, in Dictionnaire de spiritualité, XII-2, col. 1452.

[10]         A.M. Greeley,  A Personal Afterword  à « Ascent Into Hell », Warner Books Edition, 1983, p.490.

Photo : Jacob Jordaens Pierre repentant | Source : WikiCommons

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