5e dimanche après l’Épiphanie (année B)
Marc nous présente aujourd’hui, dans cet extrait de son Évangile, une journée type du ministère de Jésus : « la journée de Capharnaüm » selon l’expression devenue classique des exégètes (Gilles Gaide). Cette péricope se découpe en trois épisodes que je vous invite à scruter un peu pour en découvrir toute la signification pour nous tous et toutes aujourd’hui.
Le premier épisode nous présente la guérison de la belle-mère de Pierre. Nous ne connaissons pas vraiment l’intention de Jésus en faisant ce miracle ni la signification que lui en accordèrent les témoins. Ce que nous savons par ailleurs c’est que le judaïsme tardif attribuait la fièvre au démon. Dans cette perspective, le miracle de Capharnaüm a dû signifier pour les gens que Jésus était l’envoyé de Dieu promis par le prophète Ésaïe, celui qui devait venir sauver les humains de toutes leurs afflictions, conséquence du mal moral.
Jésus la fit se lever. Marc est le seul évangéliste à utiliser ce terme; dans les autres évangiles, un coup guérie, la belle-mère de Pierre se lève toute seule. Ce n’est pas pour rien que Marc utilise ces mots, il a une intention symbolique et un but catéchétique : de même que le Christ a relevé la belle-mère de Pierre de la fièvre qui l’immobilisait sur son lit comme une morte, ainsi il vient nous relever, nous ressusciter, afin que nous puissions servir, nous aussi. En l’occurrence, la miraculée de l’évangile se mit à servir, on comprend ici servir à table, mais pour Jésus, servir, c’est cela bien sûr, mais c’est plus que cela, c’est donner sa vie en rançon pour une multitude (Mc 10, 45) comme il le fait lui-même.
Le deuxième épisode de l’évangile du jour nous présente une sorte de sommaire qui nous laisse entrevoir comment Jésus avait de l’ascendant sur les foules : on amenait tous les malades… la ville entière se pressait à la porte… Un tel sommaire est en quelque sorte comme une simplification des événements ou encore une généralisation un peu large des faits en cause. En effet, il ne faut pas prendre ces expressions au pied de la lettre, il y a sans doute exagération, mais peut-être pas tant que ça ! Ce sommaire est probablement le souvenir d’un fait réel qui s’était produit plus d’une fois et qui avait frappé les imaginations. Mais ce qui ressort en tout cas clairement de cette partie, c’est une des préoccupations majeures de Marc. Jésus est venu combattre le mal et délivrer les humains de son pouvoir… Pour Marc en effet, toute maladie est une suite du péché, toute guérison devient alors par extension une victoire sur le Mal. Mais les contemporains de Jésus ne songeaient qu’aux bienfaits matériels de leur guérison. C’est ce que nous aurions fait sans doute, nous aussi. La guérison opérée par Jésus était pourtant un geste pour révéler de façon progressive Qui il était vraiment, l’Envoyé de Dieu investi de toute la puissance divine libératrice à laquelle aucune force du Mal ne peut résister.
C’est dans cette révélation que s’enracine la motivation de Marc à élaborer le troisième épisode de l’évangile proclamé aujourd’hui. Ce récit est une étape charnière entre le ministère que Jésus avait réservé jusque-là à Capharnaüm… pour l’ouvrir et l’étendre à toute la Galilée. Jésus se retire pour prier, pour retrouver l’intimité avec son Père, pour retrouver le sens de sa mission. C’est dans cette expérience d’intériorité qu’il redécouvre la signification des miracles qu’il opère. Non pas seulement des guérisons physiques, mais avant tout la préparation de son entourage à l’accueil de l’Évangile et à la révélation du mystère de sa Personne : Jésus ne veut pas se laisser emporter par le succès avec seulement une solide réputation dans son patelin de thaumaturge, de guérisseur… Il veut retrouver complètement le sens de sa mission. Bien sûr, Jésus a aimé son village de Nazareth et la ville de Capharnaüm où il a commencé son ministère, mais le Père l’appelle à aller plus loin. Voilà l’essentiel de la mission de Jésus, voilà l’essentiel de notre mission à nous tous et toutes après Lui.
En effet, comme dans la journée type de la mission de Jésus, nous sommes appelés à évangéliser Nazareth et Capharnaüm mais nous sommes invités aussi à dépasser ces limites trop étroites. Comme Jésus qui a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable comme le relatent les Actes des Apôtres (10, 38), ainsi nous avons, nous aussi, à offrir à nos frères et à nos sœurs tous les services dont ils ont besoin pour les guérir de toutes leurs souffrances, maladies et handicaps mais nous avons, nous aussi, à offrir d’une manière adaptée à notre temps des pistes pour que nos contemporains retrouvent et partagent avec nous UN SENS à leur vie.
Jésus a guéri la belle-mère de Pierre, Jésus a guéri tous les malades qui se ruaient sur lui à Capharnaüm, Jésus a guéri les malades rencontrés au hasard des routes de toute la Galilée… Mais surtout Jésus est sorti pour annoncer et offrir à toutes et à tous la grande liberté des enfants de Dieu. Dans la Bible, la maladie tient la personne captive, symboliquement comme le péché la retient dans ses filets. En guérissant la belle-mère de Pierre, en guérissant les malades de Capharnaüm et de toute la Galilée, Jésus est sorti pour actualiser sa mission dans le monde. Et cette mission de libération, Jésus nous convie à la partager. C’est cette mission que l’apôtre Paul a, lui aussi, endossée comme une nécessité : « annoncer la bonne nouvelle, écrit-il aux Corinthiens, n’est pas pour moi un motif de fierté, car la nécessité m’en est imposée ; quel malheur pour moi, en effet, si je n’annonçais pas la bonne nouvelle ! »
Marc nous invite aujourd’hui à imiter la journée typique de Jésus. C’est un exemple à suivre. À la suite de Jésus, à la suite de Paul, nous sommes appelés à annoncer le message évangélique: oui, encore aujourd’hui, Jésus s’approche, nous fait lever en nous prenant la main… et nous tourne vers l’autre, vers tous les autres. Bien sûr, nous ne sommes pas des thaumaturges mais tous et toutes, nous sommes capables de compassion, de présence, d’écoute. Comme la fièvre de la belle-mère de Pierre ne l’a pas retenue au lit, aucune entrave, aucun repli sur nous-mêmes, aucun rejet à l’encontre des autres ne pourra jamais enfermer les femmes et les hommes qui acceptent d’accueillir Dieu dans leur vie… Jésus guérit, Jésus libère tous ceux et toutes celles qui se laissent transformer par la Parole de Vie et qui acceptent, comme Lui, d’épauler l’autre, de lui redonner confiance, de l’encourager, de le motiver. Il suffit parfois d’un simple regard, d’un simple geste d’amitié pour annoncer la guérison, pour réaliser la libération. Aujourd’hui, c’est ce que nous sommes appelés à incarner autour de nous, et plus loin encore… Amen.
Pierre Nadeau
Lectures bibliques:
Psaume 147.1-11, 20c
1 Corinthiens 9.16-23
Marc 1.29-39
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