Photo: P.-A. Giguère
Qui donc s’arrête à ces premiers mots du récit d’aujourd’hui? Ils nous paraissent purement anecdotiques. Et donc, négligeables. Quel intérêt y a-t-il dans la mention, plutôt banale, que Jésus parte de là où il est pour se diriger là où il veut aller? N’est-ce pas implicite à tous ses incessants déplacements, lui qui depuis, ses débuts, allait de villes en villages pour annoncer la bonne nouvelle du Règne de Dieu (Luc 8 1)?
Permettez-moi ce matin de vous proposer de donner plutôt un sens très fort à ces mots, jusqu’à en faire une clé maîtresse pour unifier le culte d’aujourd’hui et, aussi, pour nous accompagner tout au long de cette « Grande Semaine » qui commence.
« Jésus partit en avant ». Cela dit d’abord et avant tout qu’il prend l’initiative d’aller vers son destin. Sur lequel il ne se fait aucune illusion. Au fil des 16 chapitres précédents de l’évangile, Luc a signalé à ses lectrices et ses lecteurs l’hostilité de plus en plus manifeste à laquelle Jésus fait face, devenu parfaitement conscient que sa vie est en danger.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Luc est l’écrivain le plus habile des trois synoptiques. Six fois dans son évangile, plutôt que trois chez Marc et Matthieu, il mentionne cette conscience qu’avait Jésus de ce qui l’attendait à Jérusalem. Il a même placé, au beau milieu de son évangile, un verset charnière, qui fait basculer tout son récit. C’est au chapitre 9, le verset 51, que Luc a formulé d’une manière inhabituellement solennelle : « Comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem. » À partir de là, la « montée à Jérusalem » sera rappelée pas moins de sept fois pour que les lectrices et les lecteurs de l’évangile ne perdent jamais de vue la tension annoncéei.
Eh bien, nous voici au seuil de la dernière étape. « Jésus partit en avant. » Cela dit sa détermination. Cela dit sa liberté, aussi fortement que l’expression « Il durcit sa face ». Il ne recule pas. Il ne va pas se cacher. Il ne fuit pas. Et je me dis : comme c’est grand quand une personne arrive à rester verticale et cohérente en dépit des obstacles, les obstacles qui se dressent devant d’elle ou ceux qui surgissent à l’intérieur d’elle ! Vraiment, il y a du divin dans la fidélité d’un humain qui demeure ferme dans sa résolution d’aller au bout d’une exigence intérieure.
« Jésus partit en avant. » Il avance. Il fait face. Il sait ce qui l’attend. Et moi, j’entends intérieurement la parole que Jean met dans sa bouche : « Ma vie, personne ne me l’enlève. Je la donne de moi-même. » (Jean 10 18)
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« Jésus partit en avant »
En avant, cela signifie le combat qui attend Jésus. Mais en avant, cela suggère encore autre chose. « En avant de qui ? » Ici, les traducteurs utilisent des termes différents, mais convergents : « Il partait en tête, montant à Jérusalem » (Jérusalem). « Jésus marcha devant la foule pour monter à Jérusalem » (Segond). « Jésus marchait en avant de ses disciples pour monter à Jérusalem » (Traduction liturgique catholique). « Il les précéda. Il montait vers Jérusalem. » (Nouvelle Bayard) « Jésus partit, suivi de ses disciples, pour monter à Jérusalem » (Semeur).
Voyez-vous comment ce récit, c’est de nous qu’il parle? Car que sommes-nous, ou que cherchons-nous à être ou à devenir, sinon des disciples de Jésus? Et dans le langage des évangiles, qu’est-ce qu’être disciple sinon « suivre » Jésus, marcher à sa suite? C’est là un thème central dans tout le Nouveau Testament, depuis le tout premier « Viens, suis-moi » jusqu’à l’ultime promesse « Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. » (Jean 12 26)
Dans sa manière de raconter le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem, Luc se distingue encore. Là où Marc et Matthieu disent que c’est la foule qui acclame Jésus, Luc attribue les acclamations à « tous les disciples en masse, remplis de joie ».
La condition de disciple se vit en communauté, ce que Luc appelle « en masse ». La communauté des disciples peut prendre des formes multiples. Mais c’est quand on est réunis autour du maître que son énergie se communique de lui à nous, et de nous à nous.
« Jésus partit en avant ». Les cris de louange mis par Luc dans la bouche la communauté des disciples – que nous sommes – nous invitent à entrer dans cette Grande Semaine non pas en lecteurs plus ou moins distraits des textes bibliques, ni en simples spectateurs émus de ce qui va arriver de si tragique à Jésus, mais avec toute notre vie dans une même fidélité. Une fidélité courageuse, car tous et toutes nous avons des obstacles à surmonter pour être fidèles comme lui l’a été.
N’est-ce pas par cette fidélité, par cette foi, que nous sommes sauvés? Quand les habitants de Jérusalem ont célébré l’entrée de l’Arche d’alliance dans leur ville, c’est le symbole de leur salut, de leur libération qu’ils ont accueilli. Ce qu’ils exprimaient, c’était leur foi en un Dieu sauveur, révélé dans la sortie d’Égypte et le séjour au désert, où Moïse avait fait construire cet objet en mémorial. Dans l’évangile d’aujourd’hui, ce que la communauté des disciples célèbre, c’est l’arrivée du Sauveur universel dans cette ville qui lui imposera l’hostilité, l’arrestation, le procès, la condamnation, le sang versé et la mort sur la croix.
Dans la nuit de la nativité, l’ange disait : « Il vous est né aujourd’hui un Sauveur ». Voilà pourquoi, au lieu de l’acclamation Hosanna ! que rapportent Matthieu et Marc, Luc met dans la bouche des disciples exactement les paroles des anges à la nativité : Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux (Luc 2 14). L’heure de notre salut vient d’arriver. Nous y sommes.
« Jésus partit en avant. » Il nous a précédés, il nous a ouvert un chemin. Avancer sur ce chemin, c’est là notre condition de disciple, c’est là le lieu de notre foi. Demandons-nous : en ce matin d’avril 2019, à cette étape de ma vie où je suis, quel est-il cet « en avant » dans lequel, avec le soutien de la communauté, je suis invité-e à entrer? Regardons cela avec toute notre confiance en Jésus, notre Sauveur. Et demandons-lui de nous aider à partir en avant nous aussi, avec lui, avec notre timide fidélité, notre confiance fragile mais aussi, notre désir tenace de demeurer unis à lui. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
Deuxième Livre de Samuel 6 1-18
i Évangile de Luc 9 57; 10 38; 13 22.33; 17,11; 18 31; 19 11.
Un commentaire
Merci Paul André.
De Bruxelles je médite avec Toi, avec ta communauté.
Bernadette