« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. »
Je ne sais pas pour vous autres, mais je connais bien des gens que ce commandement-là de Jésus pourrait agacer. Aimer, c’est si beau et ça vient si naturellement. C’est le plus beau, le plus revigorant et le plus grand sentiment qui soit. Toutefois, aimer nos ennemis – ceux et celles qui nous font du mal – s’avère être beaucoup plus difficile qu’on pourrait le croire de prime abord. Jésus ne nous demande pas quelque chose de facile, loin de là.
Nous vivons dans une société – dans un monde, devrais-je dire – où chacun est appelé à payer pour ses actes. Nul n’aurait, naturellement parlant, envie d’être clément contre des meurtriers et des fraudeurs. Dieu sait que certains d’entre nous ont une liste de gens qu’ils ne peuvent plus sentir et dont même le nom inspire du dégoût. Comment pourrions-nous faire grâce à ceux et celles qui sabotent et dynamitent tout le chemin d’unité que nous avons construit depuis la Deuxième Guerre ? Aimer nos ennemis, en ces temps de division et de sabotage, n’est pas facile. Où donc trouver l’inspiration nécessaire pour persévérer dans l’amour ?
Vous savez, l’histoire de Joseph est un excellent exemple où l’amour est mis à rude épreuve. Tout commença par un rêve, un présage où Joseph se voit être la « pousse verte » qui se tient droite contrairement à toutes celles qui fléchissent et s’inclinent devant lui.1 Les frères de Joseph, bien inquiets d’une possible domination à venir sur eux, n’accueillent pas très bien le songe aux allures de prophétie. Non seulement ils vendent leur frère en esclave en Égypte, mais trempent de même son manteau dans le sang pour le faire croire mort à toute sa famille. En ces gestes inspirés par des égos se croyant en danger, les liens de l’amour, oui, venaient d’être mis à très rude épreuve.
Quoique certains aient interprété le rêve des pousses inclinées comme un présage de la royauté de Joseph où ce dernier dominerait sur autrui, j’y vois une autre interprétation possible qui s’inspire cette fois-ci du passage de l’Évangile que nous avons lu. Joseph a beau être monté en puissance en Égypte, la noblesse qui émane de lui n’a rien à voir avec son statut de régent du pays, mais plutôt sa capacité extraordinaire à aimer.
Joseph, pour être complètement honnête envers vous, aurait eu toutes les raisons de châtier ses frères pour ce qu’ils lui ont fait subir. Il aurait pu les laisser mourir de faim alors que la famine se poursuivait en Égypte ou laisser le fouet leur administrer une leçon exemplaire. Peut-être, même, aurait-il été juste de les mettre au gibet. Oeil pour oeil, dent pour dent, vous connaissez bien l’expression ! Pourtant, au lieu de répondre à cette tentation qui a dû être la sienne, Joseph choisit autre chose que la logique punitive. Il a plutôt écouté son coeur touché par la misère de ceux dont la vie dépendait maintenant de lui.
C’est un retournement de situation absolument brillant de la part de l’auteur de la Genèse et qui devrait nous édifier comme chrétiens. Joseph pose son regard sur ses frères non pas à partir des blessures qu’il porte, mais à partir du regard de Dieu qui fait grâce. Ses frères auront beau l’avoir persécuté, vendu et déclaré mort, le Seigneur a tiré son épingle du jeu pour faire de Joseph le régent de l’Égypte et le secours de ses frères et du reste de sa famille. Dieu a fait précéder Joseph en Égypte pour sauver ses ennemis d’une mort certaine. Jamais un passage du Premier testament n’aura autant incarné le commandement de l’amour.
« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Joseph est bel et bien cette pousse qui, grâce au Seigneur, s’est tenue droite dans l’amour. Il a résisté à la tentation de haïr et châtier en réponse à ses propres blessures.
Quelle belle histoire, n’est-ce pas ? Pourtant, cette histoire-là de la Bible n’aura jamais été autant d’actualité pour nous. Alors que nous assistons à travers le monde – et pas seulement en Amérique – à un effritement de la fraternité et la montée en puissance des égos, on peut se sentir blessés, si ce n’est pas pour dire trahis par nos propres frères et soeurs. Sur le qui-vive, qui d’entre nous n’aurait pas le désir de leur infliger un châtiment exemplaire pour tout le mal qu’ils commettent ?
En ce moment même, la méchanceté gagne du terrain. À cause de ceux et celles qui désirent purifier la Terre des petits qu’ils considèrent comme des dangers pour leur égo démesuré, les Joseph de ce monde vendus à l’Égypte et considérés comme morts sont de plus en plus nombreux. Nous aimerions bien être aimés et être respectés, mais notre voix reste peu entendue alors que la faim, comme en Égypte, menace la Création dont on épuise sans cesse les ressources.
Jamais de mon temps à moi le commandement de l’amour n’aura été aussi pertinent et aussi difficile à appliquer. Toutefois, comme l’histoire de Joseph nous le démontre, Dieu n’a pas terminé de nous étonner et de réaliser ses promesses communiquées par nos songes et nos prophéties.
Un jour, le vent tournera – et il finit toujours par tourner en faveur des petits qui devront alors faire un choix décisif. Lorsque Dieu rétablira la justice et que, dans la pauvreté, les méchants mendieront leur pain, saurons-nous leur accorder notre clémence comme le fit Joseph ? Lorsque les arbres seront desséchés, quand la mer sera dépouillée de ses fruits, saturée de boyaux pour alimenter l’intelligence artificielle et les égos de ce monde… Lorsque l’énergie sera dilapidée et que la nuit profonde sera au milieu de nous, saurons-nous accueillir et pardonner ? Briserons-nous le cycle de la violence ou céderons-nous au cercle vicieux de la logique punitive ?
Pas si vite !
Réfléchissons bien avant de répondre à cette question, car nous sommes tous et toutes des êtres humains qui oublient. Ce manque de mémoire qui nous joue sans cesse des tours et qui nous fait oublier les leçons du passé pourrait nous amener à faire des choix qui nous ramèneraient à la servitude. De nouveau, je nous questionne : saurons-nous, briser le cycle de la violence ou laisserons-nous nos blessures parler et faire tourner le cercle vicieux de la logique punitive ? En ces temps-là qui viendront assurément, j’espère que nous pourrons nous rappeler que, amis comme ennemis, nous sommes tous des êtres humains qui ont vécu jusqu’ici non pas à partir de nos mérites, mais par la grâce de Dieu seul.
« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Frères et soeurs, gardez ces paroles inscrites dans votre coeur, car elles déterminent non seulement votre présent, mais aussi votre avenir. Un jour… Un jour, oui, les petits seront rétablis par l’entremise du Seigneur qui n’abandonne jamais les siens. Ce jour-là, j’espère que nous pourrons accueillir et offrir notre miséricorde à ceux et celles qui, autrefois aveuglés par leur égo, viendront quémander le pain du pardon et de la vie.
Que le commandement de l’amour nous nourrisse et nous guide maintenant et pour toujours.
Amen
Un commentaire