« Deux cents deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun reçoive un petit morceau, dit l’un […] Il y a là un garçon qui possède cinq pains d’orge et deux petits poissons, dit l’autre, mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ? »
Ces remarques-là tout à fait justes de la part de Philippe et d’André feraient un bon feuilleton de télévision. Un bon « Cauchemar en cuisine » ou un traditionnel épisode des « Chefs ». Il manque de pain, on encourt une catastrophe ! Et le couperet tombe… Surprise ! les pains suffisent comme par magie. Les juges et le peuple sont rassasiés : l’épisode se finit bien.
Je me confesse devant vous… Cet épisode-là de la vie de Jésus a longtemps sonné creux à mes oreilles. Une multiplication de pains… c’est supposé vouloir dire quoi appart une leçon un peu soporifique qu’on résumerait à un hashtag #FaitConfianceÀJésus ou #FaitTesPrièrePourProspérer ? À force de l’entendre, le texte m’est devenu banal. Ça n’aide pas non plus qu’on peut trébucher sur l’invraisemblable de la scène. Ce serait plus fort que nous de croire que c’est insensé que le pain qui nous manque en premier lieu puisse rassasier une foule immense. Qui croirait à une histoire pareille ? Une miche de pain ça ne peut pas nourrir convenablement 10 personnes. Peu importe comment tu le revires ou que tu le coupes à l’épaisseur d’un pain pita, ça ne marche pas. C’est un fait ; prenez-vous pas pour Jésus au réveillon de Noël.
Ce serait ma réponse si… un beau jour comme aujourd’hui, je ne ressentais pas l’Esprit voulant bien qu’on fasse un pas de plus dans notre réflexion. Se pourrait-il qu’il soit question ici de bien plus que de pains et de poissons, de trucs et d’astuce pour économiser ou fructifier nos vieux restes ? Réfléchissons…
Une première observation qu’on peut faire concerne les raisons qui portent Jésus à poser de telles actions. Il importe de se souvenir que ses interventions s’adressent en fait au peuple des saints et qu’elles portent un soucis pédagogique. Que ce soit par cet évènement-là ou diverses paraboles, Jésus a avant tout pour objectif de soigner la foi du peuple en lui révélant l’action mystérieuse de Dieu dans sa vie. Une action motivée, bien sûr, par son amour pour nous.
Si on aime bien répéter – avec raison – que Dieu est amour, ça comporte néanmoins quelques défis de compréhension. Contrairement à un panier tressé tout à la main et dont on pourrait connaître les dimensions exactes avec un ruban à mesurer, l’amour de Dieu, lui, est pas mal plus tough à gager. Comment comprendre et mesurer un amour dépassant les dimensions humaines que nous employons chaque jour ? Comme nous l’as partagé Paul plus tôt : « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… » de l’amour divin nous échappe, si ce n’est que par la grâce se manifestant en nous et à travers nous. En d’autres termes, on ressent bien évidemment cet amour-là, mais c’est pas mal difficile de nous le représenter.
Il est toujours plus facile de mettre le doigt sur quelque chose dont on fait expérience que de pointer un concept dont on n’arrive pas et dont on ne peut pas saisir clairement, n’est-ce pas ? Quand on est en amour, par exemple, on sent c’que ça fait, mais on ne sait pas comment l’expliquer. L’expérience l’emporte souvent sur l’intelligence. J’aime à croire, dans ce cas, que l’auteur du 4e évangile emploie le terme de signe pour évoquer des évènements extraordinaires dans no vies plutôt que des formules abstraites ou des hashtags trop faciles. Tous ces signes, tous ces évènements révèlent l’amour du Seigneur pour son peuple qui en fait expérience avant même de le comprendre. Pas besoin d’un doctorat en théologie pour le voir et le sentir. Il importe seulement de rester éveillé – devenir veilleur, tient – pour en intégrer l’expérience.
On ne peut pas saisir la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Dieu si ce n’est que par une sorte de saut de l’ange. Je ne vous invite pas à faire n’importe quoi en n’importe quelles circonstances, mais simplement laisser Dieu effectuer son œuvre mystérieuse avec un certain recul nous permettant de vivre et d’intégrer son amour démesuré. Un amour sans fond qui traverse les paniers tressés de notre rationalité et qui nous invite à un élan de confiance… et d’audace.
Certes, nous sommes cernés par nos soucis ou ceux de nos proches. Sous nos yeux, notre monde se rigidifie dans ses perspectives politiques et religieuses, perdant ainsi le sens de l’essentiel. Nous sommes en quelque sorte pauvres, humainement parlant, manquant de « pain » dans nos paniers pour nourrir tout le peuple. Notre faim de justice et de vérité est accablante. Toutefois, la Bonne Nouvelle qui nous est communiquée ce matin nous rappelle que, paradoxalement, nous sommes riches à même notre pauvreté. Dans nos manques, le Seigneur a promis… et s’est déjà manifesté à travers notre vie pour nous supporter et nous nourrir de son amour démesuré. Ce qui était manquant devient, par la grâce de Dieu, une richesse surabondante. Une richesse qui défie toutes nos mesures.
Je vous invite, quand vous serez de retour chez vous, à vous souvenir d’une épreuve que vous avez traversée… Puis, alors que vous tressez le récit de fil en aiguille, j’ose croire que vous allez découvrir une lumière. Quelque chose est arrivé ; la blessure est encore là, le manque peut encore se faire sentir. Et pourtant, l’amour de Dieu s’est manifesté dans votre vie… pour que vous ayez la vie en surabondance et que vous soyez ici, aujourd’hui, dans ce temple en lui rendant grâce. Qui aurait cru que, à même l’épreuve, on aurait pu s’en sortir ? Dieu nous a sortis des eaux mauvaises et nous a nourris au pain de sa Parole. Il nous a manifesté son amour. Sans condition, sans spectacle. Tout d’un coup, de manière inattendue, nous étions rassasiés tout comme la foule qui avait faim.
Et bien ! Que le Seigneur nous nourrisse à nouveau de son amour démesuré. Que, de nos manques, il fasse surgir une moisson abondante. De nos grands fours pas trop garnis, que sortent nombre de pains qui pourront nous rassasier et nous aider à continuer notre route. C’est là le pain nécessaire pour le prochain épisode de Saint-Pierre, la suite de notre ministère.
Que le Seigneur nous fortifie selon sa Parole. Parole d’amour pour aujourd’hui et demain.
Amen
LECTURES BIBLIQUES
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