Mardi matin je lis « Soyez donc parfaits, tout comme votre Père qui est au ciel est parfait. » (Mt 5. 48, version français courant). Voilà un verset biblique qui provoque en moi une crise d’angoisse. J’aimerais donc ça mais je suis loin d’être parfaite. Je fais de gros efforts. Il n’y a tout simplement pas assez d’heures dans une journée pour que tous mes écrits soient sans fautes de grammaire ou de frappe; que mes prédications soient toujours parfaitement inspirées, que je réponde toujours de façon parfaitement adéquate à toutes ces personnes à qui je dois une visite, un texto, un courriel, un coup de téléphone. J’aimerais bien faire des interventions parfaitement pertinentes partout où il y a une occasion de visibilité pour ma communauté de foi. Impossible. Surtout si je veux, en même temps, bien manger, bien dormir et faire de l’exercice afin d’être en parfaite santé pour être toujours souriante… et surtout… surtout… pour devenir la femme parfaite pour mon conjoint (qui est presque parfait) et la mère parfaite pour sa fille (qui est plus que parfaite). Je suis juste pas capab. À quoi bon essayer? Rien qu’à y penser, j’avais juste envie de retourner me coucher et rester cachée en dessus des couvertures. Grâces soient rendues à Dieu, j’ai trouvé la force d’aller creuser le sens de ce mot qui tue : parfait.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Dans le grec, l’adjectif est teleios, mot qui signifie : accompli, adulte, d’âge mûr, amené à sa fin, du nom telos qui désigne le but, la fin, l’accomplissement de quelque chose. La perfection, c’est devenir ce pour quoi on a été créé. Le pommier dans ma cours est parfait parce qu’il produit du fruit en sa saison et non pas parce que chacune des pommes a une forme ou un goût parfaitement idéal ou uniforme. Vive les fruits et légumes moches! – qui sont parfaits dans leur accomplissement, leur telos. De manière analogue, nous serons parfaits (traduction de la TOB), non pas lorsque, par nos efforts, nous réussirons à ne plus faire aucune erreur ni coche mal taillée mais lorsque, par la grâce de Dieu et à l’instar de Jésus, nous persisterons jusqu’à l’accomplissement notre mission chrétienne. Le but ultime, c’est le Royaume de Dieu, la vie telle qu’elle sera quand la volonté de Dieu sera faite sur la terre comme aux cieux : quand nous accomplirons la loi d’aimer Dieu et notre prochain nous-mêmes. Et aujourd’hui Jésus semble commenter cette loi en ajoutant que la voie de l’Amour véritable, c’est la voie de la non-violence.
La loi du talion, symbolisée par l’expression œil pour œil et dent pour dent est l’une des lois humaines les plus anciennes. [Elle]… « consiste en la réciprocité du crime et de la peine. … Elle évite en principe toute escalade de la violence ». Mais elle ne peut pas éradiquer la violence. Comme le disait si bien Paul-André dans sa prédication la semaine dernière, les lois ne peuvent que fixer le minimum requis poser les fondements du vivre ensemble. Selon Jésus, s’en tenir au minimum (même de façon stricte, pour ne pas dire obsessive ou fondamentaliste, comme le faisaient certains scribes et pharisiens), ça ne suffit pas. Jésus nous appelle à viser plus haut que le minimum. À l’époque de Jésus, les scribes et les pharisiens connaissaient bien la loi. Ils prônaient une application stricte de ce qui était permis ou pas à tout bon juif. Ils ont beau été obsessifs par rapport à la loi, selon Jésus, ça demeurait un minimum. « Si votre justice ne surpasse pas le minimum imposé par les scribes et les pharisiens, vous n’accomplirez pas votre mission » (cf Mt 5, 20) nous a dit Jésus il y a deux semaines. Pour participer, avec le Christ, à amener le Royaume des cieux à fruition, il faut viser plus que le minimum. Il faut viser l’Amour parfait.
Martin Luther King Jr a dit, « La haine ne peut pas chasser la haine, seul l’amour le peut. » On pourrait dire aussi : « La violence ne peut éradiquer la violence, seul l’amour le peut ». La loi de l’Amour, c’est la loi de la résistance dans la non-violence.
Cette loi, Jésus est venu l’accomplir « comme celui qui vient combler un dernier vide, il vient remplir, comme on le fait avec un récipient; » disait Paul-André la semaine dernière. Jésus est tellement pleine de la présence et de la volonté de Dieu que ça déborde jusqu’à nous. Il remplit toutes les exigences… et toutes nos lacunes. Il accomplit de sa propre vie la volonté de Dieu.
D’ici quelques semaines nous le verrons tendre l’autre joue à ceux qui voudront le frapper. Trainé devant des juges, il se laissera dévêtir par ceux qui demanderont ses habits. Et de sa croix Jésus priera pour ses persécuteurs. (Luc 23, 34). Dans sa passion, Jésus accomplit tout ce à quoi il appelle ces disciples. Son amour pour Dieu et pour son prochain est parfait… débordant jusqu’à nous.
Ainsi, la Parole de Jésus aujourd’hui est plus une promesse qu’un commandement; un encouragement plutôt qu’un avertissement. Jésus nous ouvre la voie Il nous demande tout simplement de nous mettre en marche à sa suite. Cette conviction ne minimise en aucune manière le mal en nous et dans le monde. Elle affirme plutôt que le mal ne pourra jamais entraver complètement l’œuvre de Dieu.
Tout ceci me fait penser au film Les figures de l’ombre (Hidden Figures), en nomination pour les Oscars cette année. C’est l’histoire de trois femmes noires qui travaillent à la NASA au début des années 60. Malgré le mal qu’elles subissent (racisme, sexisme, violence psychologique, et j’en passe) elles persistent dans la voie de la non-violence. Du même souffle, par leurs compétences exceptionnelles – l’actualisation parfaite des dons que Dieu leur a accordés – ainsi que par la rectitude de leurs propos, ces trois femmes confrontent l’injustice et affirment que le monde tel qu’il est n’est pas le seul monde possible. Même si vous n’avez pas vu le film, vous êtes certainement en mesure d’identifier vos propres figures de perfection, à la manière de Jésus.
Est-ce que je suis capable de faire de même, de vivre comme Jésus a vécu, de persister… jusqu’au bout de ma mission chrétienne ? Serons-nous capables de tendre l’autre joue, d’offrir notre manteau quand on réclamera notre tunique ? Saurons-nous faire à ceux qui nous font du tort ce qu’on aurait voulu qu’on nous fasse? Arriverons-nous à prier pour ceux qui nous persécutent; à demander Dieu de pardonner à ceux qui nous ont offensé plutôt que de chercher la justice des humains, la rétribution ici bas? Parfois oui, parfois non. Parfois nos fruits seront parfaitement moches! Mais prenez courage, nous serons parfaits… par la grâce de Dieu, et non par nos efforts… et nous parviendrons à nos fins comme disciples de Jésus en persistant dans ses voies jusqu’au bout. Ainsi soit-il. Amen.
Par Darla Sloan
19 février 2017 – 7 Épiphanie A17 – Église Unie Saint-Pierre
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