Le prince de la paix – L’Évangile sans-papiers ni couronne

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Nous voici finalement arrivés au 24 décembre en soirée. La neige a quasiment tout fondu et le gazon devenu tout vert ; il a fait curieusement chaud en début de semaine, n’est-ce pas ? Surprenante atmosphère que voici, mais peut-être ô combien révélatrice de notre temps et de nos défis. Une étrange chaleur de printemps qui annonce le sauveur né une nuit tout aussi étrange. En dehors de nos habitudes des fêtes et de la petite crèche douillette avec ses personnages de cire, il y a aussi tout un monde en mouvement. Un monde qui, tout comme du temps de Jésus, ne se porte pas très bien. Un monde avec ses grands châteaux de riches, ses bonnes familles nobles, ses cités champêtres, mais aussi ses empires. Des empires en tous genres et en tous lieux, d’allégeance romaine ou non.

Le récit des évènements extraordinaires que nous avons entendus et dont nous nous souvenons ne débute pas par une naissance. Fort étonnante est la genèse du prince de la paix, histoire débutant par un évènement hors de l’ordinaire, c’est-à-dire un recensement. C’est chose normale pour nous, un gouvernement qui examine son peuple à la loupe pour mieux connaître ses inclinaisons, sa situation économique, mais surtout son nombre. Les stats sont pour vous et moi importantes afin de connaître qui nous sommes et vers où on s’en va comme société. Si cela nous paraît normal à nous, gens du 21e siècle, c’est là une manière de procéder à proprement dite étrangère aux us et coutumes des Hébreux, voir quelque chose de mal vu si l’on se fie aux Écritures. Souvenons-nous du roi David qui, selon le livre des Chroniques, eut l’idée de recenser le peuple d’Israël. Grave erreur que celle-ci puisque la colère du Seigneur s’enflamma contre lui du fait que l’acte de recenser tout le peuple d’Israël peut corresponde avec une aptitude d’orgueil. À prétendre connaître le peuple dans son intimité, à le mesurer pour avoir l’horizon de son propre pouvoir, l’empereur ou le roi prétend à un pouvoir qui n’est pas le sien. À Dieu seul la gloire et le devenir du peuple des saints.

Le récit de la nativité débute donc par une action gouvernementale imposée. Action laissant sous-entendre une tension ou, du moins, une question légitime quant à la naissance du Christ. Vous voyez, l’Enfant Jésus naît dans le domaine d’un conquérant qui, du point de vue romain, est d’ascendance divine. Divin serait celui qui remporte les batailles et qui soumet les êtres considérés comme inférieurs. À lui appartiendrait le genre humain, si ce n’est pas dire tout le vivant de la Création. Création n’étant finalement qu’un bac de sable dans lequel un empereur pourrait jouer et modeler le destin selon son goût. Rome s’étendant d’un bout à l’autre du monde, Jésus, nous rappelle le récit de la nativité, est en quelque sorte né dans les fils barbelés de l’histoire.

En ce jour de Noël, les choses ne sont pas bien différentes pour nous quand on y pense bien. Nous aussi nous avons des empires à qui l’ont appartient sans même le désirer. On peut voir poindre de grands noms qui détiennent le monopole de la guerre, la politique et de l’économie. Cette trinité aux visages et aux rapports déformés à encore son cours aujourd’hui alors que la violence et la polarisation traversent le monde. Des empereurs, nous en avons plus que nous le pensons. Nous en avons plusieurs, même, qui, en cet instant où nous célébrons Noël, appliquent plusieurs stratégies pour nous prendre dans le filet de leur orgueil. D’autre part, nous serions bien aveugles si nous ne reconnaissions pas les grands systèmes d’exploitation qui sévissent dans nos vies et qui, par nos propres actions, peuvent se renforcer chaque jour. Ce sont des systèmes aux noms différents de l’époque de Jésus, certes, mais des systèmes d’exploitation quand même qui ont affecté la vie de notre frère comme la nôtre.

C’est dans ces mégasystèmes-là, au milieu même des barbelés, que Jésus débute sa vie. En ce Noël aux dérives climatiques, nous célébrons la naissance d’un frère à la fois issu de la Terre, mais aussi issu du Ciel. Naissance à la fois dans le monde et ses empires, mais aussi, au même instant, hors de celui-ci. Comme tout humain, il a été victime de nos mauvais choix de société. L’évangéliste nous raconte à ce propos comment Jésus doit voir le jour dans une mangeoire, faute de place dans les services et les commodités de l’époque. La crèche, c’est mignon, n’est-ce pas? Pourtant, il n’y a pas plus grande injustice qu’un enfant qui naît dans la misère. N’est-ce pas fâchant pour nous que des familles doivent fuir le pouvoir, la pauvreté et vivre ainsi dans la peur du manque ? N’est-ce pas blessant pour nous, chrétiens, de ne pas être entendu dans nos revendications de justice et de crier sans cesse dans tous les déserts du monde ? Peut-être que j’extrapole trop au goût de certains, mais il me semble que le récit de la nativité nous amène à reconnaître que Jésus est non pas une figure divine abstraite qui serait éloignée de notre misère, mais un frère qui l’a partagé avec nous. Pleinement, sans demi-mesure. Jusqu’au bout.

Un sauveur nous est né sans support financier que ce soit, sans fanfare, tout-autant impuissant que nous contre les tétrarques fêlés qui prétendent au pouvoir. Cette naissance à la fois pauvre et extraordinaire nous rappelle que nous avons peut-être raison, finalement, de ne pas nous sentir à notre place dans les grands systèmes pyramidaux. En tant que création à l’image même de Dieu, il m’est une intime conviction que jamais nous ne trouverons notre bien dans ceux-ci. C’est en la grâce seule de Dieu que nous reposons. Son Évangile, sans papier ni couronne, est l’espérance que l’on célèbre aujourd’hui.

Que chacun et chacune de nous ne désespèrent pas face à la réalité du monde et ses aberrations. Le prince de la paix est né pour sauver ce qui était perdu. Toutefois, cette guérison, cette transformation du monde ne se fera pas par Dieu seul, mais aussi à travers nous, ses bergers. Des bergers qui se présentent le 24 décembre au soir devant l’enfant. Vous savez, après avoir entendu le message de l’ange, les bergers du récit auraient très bien pu s’en retourner chez eux. Toutefois, ils choisirent plutôt de suivre l’étoile ainsi que les signes plantés tout au long de leur route vers la crèche.  Ils ne font pas que croire que tout va changer désormais, mais, en allant vers Jésus, en voulant voir le prodige de Dieu qui s’est révélé dans nos misères, ils s’engagent dans l’histoire sainte. Notre histoire. Ce sont des acteurs comme nous le somme en ce moment même où nous nous souvenons de la naissance du prince de la paix.

En ce 24 décembre au soir, nous vous annonçons la naissance de Jésus ainsi que de son règne actuel et à venir : le Royaume des enfants de Dieu, bergers des uns et des autres. Que ce Noël soit une occasion pour non seulement célébrer le monde à venir, mais surtout réfléchir à notre situation actuelle. Comme Marie qui garde en mémoire et réfléchit, pensons aux espérances que nous portons alors que ce monde chaque jour n’est plus ce qu’il était l’instant d’auparavant. Réjouissons-nous donc en présence des bergers, de Dieu et de ses anges… Noël n’est que le début d’une Terre et de Cieux tout nouveaux.

 

LECTURES BIBLIQUES

Ésaïe 9, 2-7
Luc 2, 1-20

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