Pour nous tous qui sommes ici ce matin (du moins, la plupart d’entre nous), la vie de berger, c’est de l’inconnu.
Autant cette réalité nous paraît lointaine, autant pour les contemporains de Jésus, la réalité de la vie de berger était facile à comprendre. Toute l’histoire du peuple juif, en effet, a été jalonnée par la vie des bergers. Même ses plus grands chefs avaient été des bergers. Qu’on pense au patriarche Abraham et ses troupeaux de petit bétail, ou encore au roi David qui gardait les moutons de son père.
Notre vision toute citadine de la vie de berger est probablement très bucolique. Mais dans l’Orient ancien, le berger n’était sûrement pas un personnage romantique comme nous pouvons nous le représenter aujourd’hui, assis dans l’herbe au milieu de ses bêtes.
D’ailleurs, aujourd’hui encore, un bon berger est une personne éminemment impliquée auprès de ses bêtes. C’est ce que j’ai voulu vérifier auprès de «vrais bergers» que plusieurs d’entre vous avez d’ailleurs le bonheur de connaître dans notre paroisse-sœur de Pinguet.
Écoutez ce qu’en dit Mathieu : «un bon berger aime ses animaux. Il est attentif à chacun de ses moutons et a le sens de l’observation. Il est sensible aux réflexes naturels des animaux, aime en prendre soin et en être le «médecin» au besoin, mais il ne prend pas la place de la nature; il aide plutôt celle-ci, au besoin. Il veille à la fois sur la santé du troupeau et sur celle de chacun de ses moutons. Aussi, un bon berger est minutieux et il doit impérativement être en forme». Et Marie-Christine ajoute : «Quand une brebis met bas, on garde le rôle de spectateur… jusqu’à ce qu’il nous paraisse évident qu’il faut intervenir : replacer un «siège», détourner un cordon ombilical qui étrangle un agneau, dégager les voies respiratoires du petit… parfois, même, apprendre à une brebis à se laisser approcher par son bébé ou montrer à un agneau à boire à sa mère ! Et bien sûr, il faut parfois nourrir le petit au biberon pendant de nombreuses semaines, si sa maman n’est pas en mesure de l’allaiter elle-même. Dans bien des cas, ces gestes sauvent la vie d’un agneau. Les animaux, comme les humains, sont inégalement dégourdis dès la naissance… et ils ne nous laissent pas toujours faire volontiers, même si on intervient pour leur bien (il ne faut pas oublier que les moutons sont des proies, donc ils ont souvent le réflexe de fuir, même quand on essaie de les aider).
Un bon berger, comme tout fermier, doit, en plus d’être éleveur, être à la fois jardinier, ouvrier, menuisier, au moins un peu plombier et électricien, un peu-beaucoup médecin, un peu connaissant en génétique et un peu maman de rechange au besoin… Ce qui, souvent, demande pas mal de patience».
Il est fascinant d’entendre nos amis de la Côte-du-Sud parler en des mots contemporains le même langage que Jésus pour décrire le travail du berger, un travail exigeant, extrêmement exigeant, tout centré sur le souci constant du bien-être des brebis.
Laure, fille de Marie-Christine et Mathieu, le 11 avril 2015, le jour de son 10e nniversaire avec un agneau d’un jour
Le berger connu dans l’histoire du peuple hébreu était un homme courageux, qui savait défendre ses brebis des animaux sauvages et des voleurs. Dans 1 Samuel 17, 34-36, par exemple, David oppose son expérience de berger au roi Saül qui voulait l’empêcher de combattre le géant Goliath : «Quand je faisais paître les brebis de mon père, disait-il, et que venait un lion ou un ours qui enlevait une brebis du troupeau, je le poursuivais, je le frappais et j’arrachais celle-ci de sa gueule. Et s’il se dressait contre moi, je le saisissais et je le frappais à mort.»
Le bon berger, à l’encontre du mercenaire, prend donc totalement en charge ses brebis, court pour eux tous les risques et va jusqu’à mourir pour elles. Le mercenaire, par ailleurs, ne s’occupe pas vraiment du troupeau qui lui est confié, comme le lui reproche le prophète Ézéchiel : «Vous n’avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté. (Éz. 34,4) Elles se sont dispersées, faute de pasteur, pour devenir la proie de toute bête sauvage (v.5) Mon troupeau est mis au pillage et devient la proie de toutes les bêtes sauvages, faute de pasteur, parce que mes pasteurs ne s’occupent pas de mon troupeau, parce que mes pasteurs se paissent eux-mêmes sans paître mon troupeau» (v. 8)
La parabole du bon berger nous apprend, au contraire, la qualité du lien qui unit le berger à chacune de ses brebis. La qualité du lien de Jésus avec chacun et chacune d’entre nous. Un lien tout à fait singulier où chacun est impliqué avec sa présence propre et unique. C’est cela la Bonne Nouvelle : une relation unique entre chacun et chacune de nous avec notre unique Seigneur ! Et c’est cela «marcher dans la foi», cette capacité unique à répondre à Celui qui touche notre cœur parce qu’Il nous connaît par notre nom. Être connu par notre nom par le berger, c’est être assuré d’avoir du prix à ses yeux, c’est être assuré qu’il partira à notre recherche si nous nous égarons pour nous réinsérer dans le troupeau, le seul lieu où se trouvent ceux et celles qu’il aime, le seul lieu où nous pouvons vivre en plénitude quand, réciproquement, nous l’aimons et voulons le suivre.
La parabole du bon berger nous apprend, de surcroît, que le Seigneur ne restreint pas son œuvre aux limites de son enclos. Il regarde toujours plus loin, vers d’autres brebis dont il se préoccupe déjà, qu’il prendra le temps de connaître chacune par son nom et qu’il veut aussi conduire à la vie, la vie en abondance. (Jean 10,10)
Au début du chapitre 10, dans les lignes qui précèdent le texte que nous avons proclamé ce matin, Jésus déclare : «les brebis écoutent sa voix; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle chacune par son nom, et il les emmène dehors. Lorsqu’il les a toutes fait sortir il marche à leur tête et elles le suivent…» (v. 3-4).
Nous sommes donc invités à marcher sur les traces du Seigneur, à être comme Lui des bons bergers pour les gens autour de nous et, plus loin encore, pour tous ceux qui ne sont pas encore dans son enclos. Marcher à la suite de Jésus, c’est notamment chercher la brebis égarée comme l’indique l’évangile de Matthieu (18,12) : «Si un homme a cent brebis, et que l’une d’elles s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s’est égarée » ? Comme nous le souligne aussi Marie-Christine : «L’été, les moutons sont au pâturage toute la journée. Quand le soir tombe et que le troupeau rentre à la bergerie pour y passer la nuit, nous allons toujours vérifier au fond du champ si un agneau n’est pas resté dehors, ce qui arrive parfois. Or, c’est beaucoup plus compliqué d’amener un seul agneau à retrouver le chemin de la bergerie que d’y conduire tout le troupeau: lorsque le mouvement de groupe est enclenché, tous les moutons le suivent, c’est bien connu. Mais un mouton seul fuit dans toutes les directions quand on s’approche de lui, sans logique aucune… alors on laisse vraiment tous les autres pour lui courir après» !
Marcher à la suite de Jésus, c’est enfin accueillir des inconnus, apprendre leur nom, et, comme Lui, faire le don de sa personne.
Aux jours où il est difficile d’aimer, de pardonner, de servir, aux jours où l’on a l’impression qu’on nous arrache toutes nos forces, notre temps et notre liberté, tournons-nous vers Lui pour apprendre à donner notre vie et à pouvoir avec Lui affirmer : « Ma vie, personne ne me la prend : c’est moi qui la donne ». (Jean 10, 18) AMEN.
Pierre Nadeau
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