Photo : P.-A.G.
Comme ils sont différents, les deux frères! L’aîné, le bon fils, le responsable, le fiable. Le modèle, un poids que bien des aînés ont dû porter. Et le cadet, l’égoïste, l’ingrat, le jouisseur qui revient un peu en profiteur. L’un qui représente pour son père un soutien et une fierté, l’autre, le mouton noir de la famille, qui lui cause inquiétude et tristesse. Pour reprendre des catégories de la sagesse hébraïque : le sage et l’insensé. Pour reprendre les nôtres : le rangé et le marginal.
J’aimerais esquisser un rapprochement avec le témoignage de Josiane, rapprochement que vous avez peut-être fait en vous-même il y a quelques minutes. Ce lien, je le trouve dans l’attitude et le comportement du père dans cette histoire.
J’observe, pour la toute première fois d’ailleurs, que ce père sait écouter et ajuster son écoute. Voyons d’abord le cas du fils cadet. Celui-ci, conscient que chaque mot va compter, a déjà préparé tout son boniment : « Père, j’ai péché, je ne mérite pas, je suis pas digne, prends-moi au moins comme un employé ». Rencontrant son père, il commence à débiter son baratin. Et le père l’interrompt. Quelle écoute, direz-vous! Mais ne serait-ce pas parce qu’il a vite compris, avec son cœur, que son fils est en train de lui échapper une deuxième fois, ne se considérant plus comme fils et se présentant comme un simple engagé? Le père ne souffre pas que son fils se dévalorise davantage, s’enfonce dans la honte et renonce à sa condition de fils. Au contraire, il s’empresse de le réintégrer dans sa dignité.
Lorsque, plus tard, le fils aîné arrive à la maison et, sous l’emprise de la colère, refuse d’entrer dans la maison en fête, le père commence par sortir, par aller à sa rencontre. Puis il écoute, patiemment, sans interrompre en cherchant à se justifier, la longue expression violente du dépit et du ressentiment qui agite son fils modèle. Alors, alors seulement, il prend la parole. Il n’est pas centré sur lui alors qu’il vient d’être attaqué et pourrait riposter à son tour : « Comment oses-tu parler ainsi à ton père? » Sans rien reprocher à son fils, il commence par apporter un peu d’objectivité en lui faisant voir l’autre côté de la médaille : non plus ce qu’il n’a pas, mais ce qu’il a. « Toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi! » Et il poursuit en lui rappelant que celui que l’aîné venait de désigner comme « ton fils que voici » est « ton frère que voici ». Surtout, dans l’écoute attentive de son aîné, qui vient de lui dire : « Voilà tant d’années que je te sers ». le père a saisi que ce dernier se comporte comme un employé mal payé et insatisfait plus que comme un membre de la famille. Alors il tente de le réintégrer, lui aussi, dans sa qualité de fils et de frère dont l’homme, à la manière du premier, semble s’être exclu lui-même.
Alors en ce temps de carême où nous cherchons à faire la vérité sur nos vies, laissons-nous interroger par ce texte sur le regard que nous portons, depuis la belle ou la piètre image que nous avons de nous-mêmes, sur ceux et celles qui se trompent, ceux et celles qui trébuchent ou tout simplement ceux et celles qui sont différents et qui se tiennent dans ce qui est, pour nous, la marge. Dans le moment de méditation qui va suivre, demandons à l’Esprit de Jésus de déposer et fortifier en nous sa conviction que personne n’est irrécupérable. Laissons-le renforcer en nous une disposition à l’écoute bienveillante, sans jugement. Car comme l’écrit Dietrich Bonhoeffer dans La vie communautaire, « le commencement de l’amour du prochain consiste à apprendre à l’écouter ».
Amen.
LECTURES BIBLIQUES
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