Là où deux ou trois sont rassemblés… il va y avoir des opinions divergentes, des points de vue différents et, par conséquent, des conflits, des blessures. Même dans l’Église. À ceux qui disent que dans l’Église, c’est l’amour qui nous unit donc il ne devrait pas y avoir de chicane, je réponds : « Ah oui ? Avez-vous déjà lu le Nouveau Testament ? Il est composé en grande partie d’écrits visant à résoudre des différences d’opinion et des difficultés dans l’Église primitive. » De toute évidence, la marque d’une communauté chrétienne ne se trouve pas dans l’absence totale de conflits mais plutôt dans la manière de les résoudre. Et c’est quoi la manière chrétienne de résoudre nos différends les uns avec les autres? La réponse que nous donnent nos lectures cet après-midi : c’est par le pardon qu’on saura que nous sommes des disciples de Jésus, que c’est lui le Seigneur, le maître de nos vies. Et combien de fois, faut-il pardonner ? Une fois ? Deus fois ? À la limite trois fois, comme l’exigeait la loi de Moïse ? Ou plus encore… jusqu’à sept fois ? Et Jésus nous dit : « Je ne vous dit pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. »
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Si cette parole nous frappe, sans doute est-ce parce que l’approche de Jésus est radicalement opposée à nos instincts qui nous disent : « Mais, il y a quand-même des limites, non ? » Mais peut-être que notre difficulté avec cet enseignement réside dans le fait que nous comprenons mal ce que signifie « pardonner ». Ce qui est clair dans la Bible, c’est que « pardonner » n’est pas synonyme d’ « oublier » ou « faire comme si de rien n’était pour que tout redevienne comme avant ». Le pardon qui est la marque d’un couple, d’une famille d’une communauté chrétienne est un pardon qui transforme radicalement les relations. Là où il y a pardon, on sort de relations de dominants et de dominés. Et soyons clairs. Parfois, pour ce faire, il faut carrément sortir d’une relation destructrice. Pardonner ne signifie pas nier le mal ou le tort qui a été fait. Pardonner, c’est refuser de demeurer victime parce que l’alternative… ne pas pardonner… ne fait qu’aggraver le mal qui est déjà fait. Comme le serviteur qui a souffert parce qu’il tenait absolument à faire payer son compagnon, nous aussi, nous souffrons lorsque nous ne cherchons qu’à faire payer celui ou celle qui nous doit restitution…. parce qu’après tout… qu’il s’agisse de couples ou de familles déchirés par la violence physique ou la cruauté mentale, qu’il s’agisse de communautés détruites par la discorde, qu’il s’agisse de populations anéanties par la répression ou le terrorisme, la dette est tellement énorme, qui pourrait la remettre ? Quiconque a déjà eu des dettes le sait très bien : une fois qu’on est pris dans la spirale de la dette, il est très difficile de s’en sortir. Le système est fait pour qu’on paye… et qu’on paye encore et encore. Il en va de même pour le cycle de la violence. Une fois pris dans la spirale de vouloir faire payer quelqu’un pour le mal subi, on ne fait qu’aggraver la souffrance… et oui… même… et parfois surtout la nôtre.
Mais il est possible de briser le cycle de l’endettement. Jésus nous le dit cet après-midi. Il y a une autre manière de bâtir nos relations et notre monde. Le royaume est cieux nous est accessible par le don du pardon. Dans la parabole de cet après-midi, le premier serviteur doit dix mille talents ou environ 60 million de journées de travail. La somme colossale… inimaginable… incalculable. Comme le mal que nous éprouvons quand quelqu’un nous fait du tort. Comment mesurer le mal ? Pierre, au moment où demande à Jésus combien de fois il faut pardonner, vit dans l’illusion qu’il est possible d’évaluer le mal et donc le pardon nécessaire pour le soulager, pour en guérir. Mais la réponse de Jésus, elle-même, engage Pierre à découvrir le caractère infini du pardon, justement parce que le mal n’est pas quantifiable ou, pour être plus précis, le mal n’est pas un fait objectif, que l’on pourrait tenir à distance, observer, quantifier et ultimement contrôler nous-mêmes.
Seule la grâce du Seigneur notre roi peut nous soulager. Justement, pris de pitié, le roi remet la dette colossale du premier serviteur. Cependant, ce malheureux serviteur n’apprend pas de cette expérience de grâce. Il se retourne et exige qu’un homme de son rang lui rembourse complètement l’équivalent d’environ 100 jours de travail (une somme dérisoire par rapport à sa propre dette envers le roi). «“Mauvais serviteur, je t’avais remis toute cette dette, parce que tu m’en avais supplié. Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” » Cette phrase pourrait nous faire sombrer dans la culpabilité… car souvent on la comprend comme un jugement sur notre performance… notre capacité à faire ce qu’on devrait faire. Qui n’a jamais eu de la difficulté à pardonner à quelqu’un ? Et qui a déjà réussi à pardonner soixante-dix fois sept fois ? Mais ça, ça nous place au centre de l’histoire. Et si on mettait Dieu, notre roi, au centre, là où Dieu doit être ? Peut-être que le serviteur est malheureux (car c’est une autre traduction possible du texte original) parce qu’il pense plus à ce qui lui est dû qu’à ce qui lui a été donné par la grâce seule. Plutôt que de s’ouvrir dans un élan d’action de grâce pour tout ce qu’il a reçu, le serviteur se replie sur lui-même et ce qu’il lui manque. C’est pour cela qui le rend malheureux… et c’est souvent cela qui nous rend malheureux, n’est-ce pas ? C’est la gratitude qui nous rend bienheureux et qui change tout.
Nous sommes à quelques semaines des célébrations du 500e de la Réforme. L’histoire retient le 31 octobre 1517, la date de la publication des 95 thèses de Luther, comme date d’anniversaire de ce mouvement qui a littéralement changé non seulement l’Église mais aussi le monde. Tout a changé avec Luther, qui lui même a été transformé, lorsqu’en son esprit il a eu la pleine conviction que la justice n’est pas ce que Dieu attend de nous mais plutôt ce que Dieu nous donne par sa grâce. En acceptant le don du pardon, Luther a été libéré non seulement de la peur de la rétribution de Dieu mais aussi pour l’action de grâce qui nous ouvre à la générosité et à la bienveillance envers autrui.
Qu’il en soit ainsi pour nous toutes et tous, que nous ayons en notre esprit une pleine conviction que Dieu le premier ne refuse pas de pardonner l’impardonnable ou de remettre même les dettes les plus colossales. Que cette conviction nous remplisse de gratitude de sorte nous puissions, à notre tour, nous tourner vers nos frères et sœurs et, dans la miséricorde et la grâce leur offrir le don du pardon… ce don qui change tout. Amen.
Par Darla Sloan
Le 17 septembre 2017 – 15 Pentecôte A17
Église Unie Saint-Pierre et Pinguet (Visite d’automne de Saint-Pierre à Pinguet)
LECTURES BIBLIQUES
Romains 14, 1-12
Matthieu 18, 21-35
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