Le jumeau qui n’était pas là

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Ah! Que je l’aime, ce Thomas! Longtemps, on nous l’a présenté comme celui qu’il ne fallait pas imiter. Celui qui doutait. Celui qui manquait de foi. Celui qui avait besoin de preuves. Celui qui aurait reçu comme un reproche la parole du ressuscité : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux qui croira sans avoir vu », autrement dit : heureuses les personnes qui ne sont pas comme toi.

Et pourtant… Thomas ne serait-il pas la figure la plus moderne du groupe des disciples de Jésus? Ne serait-il pas celui qui est le plus près de nous? En tout cas, des Douze il est le plus près de moi, en compagnie de Simon Pierre, le disciple impulsif et bourré de contradictions, comme Darla nous l’a rappelé la semaine dernière.

Généralement, nous lisons ainsi la parole du ressuscité à Thomas : « Ne sois pas incrédule, mais crois ». Mais la Traduction œcuménique de la Bible colle vraiment au texte grec : « Cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi » (20 27). Deviens croyant. C’est une invitation dynamique à entrer dans un cheminement, une invitation à savoir se donner le temps de passer de l’incrédulité à la foi. Pour reprendre une parole du grand théologien nord-africain du 2e siècle Tertullien, anticipant de 18 siècles celle de Simone de Beauvoir au sujet des femmes : « On ne naît pas chrétien, on le devient » (Apologétique XVIII). Comment cesse-t-on d’être incrédule et devient-on croyant? Par un long cheminement.

Et, vous le savez aussi bien que moi, ce cheminement n’est jamais achevé. L’horizon recule toujours devant la personne qui marche.

Notre devenir-croyant se fait par étapes. Il y a une première étape, indispensable, où l’on croit comme les gens qui nous influencent. Vous pourriez tous et toutes mentionner, pour ce qui vous concerne,  un parent, un maître, un pasteur ou un prêtre, un témoin dans votre entourage, un auteur spirituel ou un groupe, une communauté fervente peut-être. Puis vient l’étape où on ne peut plus accepter passivement les réponses toutes faites. C’est l’étape éprouvante où l’on a besoin de comprendre. D’honorer nos résistances et nos questions légitimes. C’est l’étape non pas du doute, mais de la recherche dans et vers une foi qui devient de plus en plus libre et personnelle.

Et comment cette recherche se vit-elle? J’ai toujours retenu le titre d’un livre d’Albert Peyriguère qui m’avait  beaucoup marqué : Par les chemins que Dieu choisit. Oui, l’Esprit nous conduit vers et dans la foi par des chemins différents. Voyons ce que nous suggère à ce sujet l’évangile d’aujourd’hui.

Il me semble qu’on s’arrête rarement sur ces mots de l’évangéliste : « Thomas, l’un des Douze, celui qu’on appelle: « le Jumeau »  n’était pas avec eux lorsque Jésus vint ». Il était un des Douze, et pourtant il n’était pas avec eux? Ben voyons donc? Comment cela, il n’était pas avec eux? Où donc était-il, alors que Jean nous parle d’un groupe de disciples qui se tenaient enfermés à double tour par crainte des autorités juive (20 19)? Où était Thomas? Que faisait-il? Nous n’en savons rien.

Moi j’aime penser que Thomas représente cette part très personnelle de nous-même que nous avons besoin d’honorer dans notre cheminement progressif vers la foi d’une communauté, d’une Église, d’une tradition spirituelle. Cette dernière proclame joyeusement : « Nous avons vu le Seigneur! » Mais ne serait-il pas normal, peut-être même  nécessaire, de faire un cheminement à soi, et de le faire à son rythme et à sa manière, selon notre histoire, et aussi selon notre personnalité, avant d’arriver, peu à peu, à adhérer pleinement à la foi joyeuse de ceux et celles qui se saluent, à Pâques, en disant : « Christ est ressuscité! Il est vraiment ressuscité! À toi la gloire, ô Ressuscité, à toi la victoire! »

J’ai suggéré : selon notre personnalité. Arrêtons-nous ici à un autre détail du texte. Pourquoi l’évangéliste tient-il tant à préciser qu’entre eux, les Douze ne l’appelaient pas Thomas, mais : le Jumeau (en grec, Didyme) (11 15; 20 24) ? J’aime penser que ce pourrait être parce que les jumeaux ont généralement un défi à relever concernant leur identité. J’imagine que ça peut être difficile d’être soi quand on est physiquement identique à un autre. Quand nos parents, tout fiers et bien intentionnés, nous ont habillés avec les mêmes vêtements, quand les gens nous comparent continuellement.

J’aime Thomas, parce qu’il m’apprend à être avec sans être identique. « Thomas celui qu’on appelle: « le Jumeau »  n’était pas avec eux lorsque Jésus vint ». Et s’il nous apprenait que le défi croyant, ce n’est pas de « croire comme » les autres, mais « croire avec » les autres? Aucune des pierres d’une maison en pierre des champs, aucune des pierres que nous avons rapportées à la maison dimanche dernier, n’est identique à une autre. Et pourtant, il n’y a qu’un seul mur, une seule maison.

« Thomas n’était pas là quand Jésus vint. » Il me fait penser à toutes les personnes d’aujourd’hui que la figure de Jésus attire ou du moins impressionne et qui poursuivent leur démarche, pour un temps, à l’écart de l’institution ecclésiale. Ce n’est pas banal ce qu’il dit aux disciples enthousiastes qui lui font le catéchisme de la résurrection : « Nous avons vu le Seigneur! » Lui, il n’est pas là, il en est encore au drame de la croix. Il veut voir la marque des clous, y enfoncer son doigt, de même qu’enfoncer sa main dans le côté de Jésus. Aux disciples qui sont tout à leur enthousiasme d avoir « vu le Seigneur », le questionnement de Thomas rappelle qu’on ne doit jamais dissocier le ressuscité du crucifié. La résurrection n’a de sens qu’en rapport avec la croix, comme cette dernière n’a de sens qu’en rapport avec la résurrection.

Ah! Que je l’aime, ce Thomas! Comme il nous est proche avec ses questions qui sont tout sauf des doutes, comme on a toujours dit. C’est par le chemin de ses questions qu’il avance. Qu’il nous fait avancer. En ce deuxième dimanche de Pâques, laissons-nous conduire jusqu’à la foi au ressuscité grâce à une autre question de Thomas : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin? » (14 4-5). Si Thomas n’avait pas osé la formuler, cette question, comment aurions-nous pu connaître et accueillir la réponse de Jésus : « Je suis le chemin, et la vérité, et la vie. » (14 6)?

 

LECTURES BIBLIQUES

1 Pierre 1, 3-9

Jean 20, 24-29

 

Photo : Lankaart montée par PAG

Un commentaire

  1. Raymond Giguère says: · ·Répondre

    Quel beau texte qui sait bien amener le questionnement! Le doute est la bougie vers une recherche intérieure plus profonde.

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