L’autre jour, je me suis réveillée avec une prière sur les lèvres : « Seigneur, donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Rien de plus… mais rien de moins. Les temps sont durs. Je savais que ça prendrait un miracle… et j’ai prié pour un miracle pour moi et pour ma famille et je suis sortie sur la place publique… là où se tiennent les gens qui espèrent être embauchés pour la journée.
En arrivant, j’ai vu tous les habitués de la place. Chacun et chacune a son histoire… et, plus souvent qu’autrement, c’est une histoire d’horreur. Oui, même ici en ce pays ruisselant de lait et de miel, où la moisson est abondante, mais où les travailleurs agricoles se font rares. Plusieurs sont arrivés ici espérant travailler pour donner à leur famille une vie meilleure, mais même ici, les patrons font des profits records… et les travailleurs et travailleuses s’endettent pour joindre les deux bouts. Ça a l’air que les derniers seront toujours les derniers. Ainsi va la vie… du moins, c’est comme ça que je voyais le monde jusqu’à l’autre jour.
Il était 9 heures du matin quand un maître de maison est venu pour embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il a appelé un groupe de jeunes gens qui avaient l’air forts et en forme. Il les a envoyés travailler après s’être engagé de leur payer le salaire habituel d’un ouvrier : une pièce d’argent pour la journée. Une somme modeste, mais honnête. Assez pour un peu de viande pour le repas du soir et du pain pour le matin.
Je n’étais pas de la partie. Rien qu’à voir, on voit bien. Je n’ai ni la force ni la forme des jeunes. Je me suis dit : « Pas de miracles pour moi aujourd’hui. Tous les maîtres sont pareils ». Mais j’avais tort. Le maître de maison qui est venu ce matin n’est pas comme les autres. Il est revenu à trois reprises et à chaque fois il a embauché du monde en s’engageant de leur payer ce qui était juste.
Vers 17 heures, il ne restait plus grand monde. Je me préparais à partir moi-même. Les derniers sont toujours les derniers. Puis, ce même maître de maison est revu. Il s’est approché de notre petite gang et il nous a demandé : « Pourquoi êtes-vous restés là toute la journée sans travailler ? » Ben là, j’ai perdu patience… Je me disais, « Ça y est, encore un smatte qui veut nous écoeurer… qui nous prend tous et toutes pour des paresseux ». C’était plus fort que moi ! J’ai rétorqué : « Parce que vous les maîtres, vous n’avez pas été assez intelligents pour nous engager à la première heure. ». Aussitôt que je l’ai dit… je l’ai regretté. Aucun employeur ne voudrait engager une chiâleuse !
Mais, je vous l’ai dit…ce maître n’est pas comme les autres. C’est à croire qu’on peut tout lui dire… et, dans sa générosité, il nous répond non selon nos paroles et nos gestes, mais en fonction de nos besoins. Plutôt que de me tourner le dos… et de me faire payer pour ma remarque désobligeante… il voulait me payer. Il m’a envoyée travailler dans sa vigne – moi et tout le reste de ma gang – nous disant qu’il allait nous donner ce qui était juste. Bon…je ne savais pas à quoi m’attendre…pas grand chose pour une heure de travail…mais je rendais grâce à Dieu pour la chance que j’avais.
Imaginez ma surprise quand j’ai reçu une pièce d’argent. Et imaginez la surprise des autres, particulièrement de ceux et celles qui avaient travaillé toute la journée, mais qui ont reçu, eux aussi, une pièce d’argent ! Si le maître avait payé les autres en premier, il aurait pu éviter la contestation. On dirait qu’il voulait nous mettre à l’épreuve, mettre en lumière le fond de nos cœurs. Et les premiers ont vite dit ce qu’ils avaient sur le cœur : « C’est pas juste ! Nous autres, on a travaillé toute la journée et avons supporté la grosse chaleur et nous avons le même salaire qu’eux autres ! »
Et le maître de répliquer à l’un d’eux : « Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ? Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? »
Mais les premiers ne voyaient pas la bonté du maître. Ce n’est pas vrai que quand on se compare, on se console… du moins pas toujours. On peut toujours trouver quelqu’un qui semble être plus privilégié que nous. Cela peut nous enfermer dans la jalousie et la peur. Et ça… c’est pas bon pour personne.
Ça me rappelle l’histoire de nos ancêtres qui ont murmuré contre Dieu dans le désert. Dieu qui est plein de tendresse et de bonté a promis de leur donner de la viande le soir et du pain le matin. La Bible nous dit qu’ainsi Dieu voulait mettre le peuple à l’épreuve, voir s’il suivrait ses instructions et ramasserait uniquement ce dont ils avaient besoin. Bon…vous connaissez sans doute la suite de l’histoire (sinon, vous pouvez la lire dans le livre de l’Exode). Certains n’ont pas obéi et… leur surplus a pourri ! Le don de Dieu est devenu un cadeau empoisonné. Accumuler… garder jalousement pour soi ce qu’on devrait partager ne peut qu’avoir des conséquences désastreuses. Ça pourrit par en dedans et ça finit par tout gâcher. Le maître qui nous a engagés à travailler dans sa vigne, essaie-t-il de dévoiler une autre économie – c’est-à-dire, une autre façon d’administrer notre maison commune ? Avec lui, on dirait que ce monde nouveau est déjà là… Des hommes et des femmes – même parmi les plus nantis – se sont mis à réclamer une distribution juste des biens du maître. Que toutes et tous aient de la viande le soir et du pain le matin.
Bon… il y en a aujourd’hui qui voient d’un mauvais œil la bonté du maitre de maison qui nous a engagés à travailler dans sa vigne. Mais je suis persuadée que nous n’avons pas entendu la fin de l’histoire. Je vous l’ai dit, notre maitre n’est pas comme les autres. Il est bienveillant et plein de tendresse, lent à la colère et riche en bonté. Il est bon pour toutes et tous. Moi, j’étais parmi les premiers à chanter sa gloire. Les derniers sont les premiers… mais ne seront certainement pas les seuls, par la grâce de Dieu. J’ai la conviction que notre maître reviendra sans cesse chercher des travailleurs et des travailleuses jusqu’à ce que toutes et tous voient sa gloire et célèbrent sa bonté ! Ainsi soit-il ! Amen.
Le 20 septembre 2020 – 16 Pentecôte A20 – St-Pierre/Ste-Adèle
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