Pascal Adolphe Jean Dagnan-Bouveret
Bretons en prière ©Musée des Beaux-Arts de Montréal
Ainsi donc, il priait seul. Seul devant Dieu. Seul avec Dieu. Seul en Dieu.
L’évangéliste Luc se plaît à le rappeler : c’était lui, ça, c’était un priant. Il priait seul, et ses compagnons le savaient. Il priait seul, et ses compagnons respectaient son intimité.
Mais ce respect fit aussi naître en eux un désir. Un désir qui, un jour, finit par s’exprimer sous mode de demande : « Seigneur, apprends-nous à prier. »
Alors il leur a donné des mots. Il nous a donné des mots. Qui ne pouvaient pas être très loin de ses mots à lui.
Ces mots, nous les avons reçus. Ces mots, ils nous sont si familiers. Ils nous rassemblent. Et ils nous ressemblent. Ils lui ressemblent.
Ce sont des mots qui disent ce qui était important pour lui. Ce qui devrait devenir peu à peu essentiel pour nous. « Père… ton nom… ton règne… le pain dont nous avons besoin… le pardon… ne pas entrer en tentation. »
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
À l’image de ce qu’avait fait Jean-Baptiste, ce sont les mots d’un maître qui trace un chemin à ses disciples. Des mots qui sont devant nous un peu comme un programme.
Mais les mots ne sont pas tout. On peut dire les mots de la prière sans prier vraiment. Pour être prière, pour être chemin, les mots ont besoin d’une âme.
Nous ne le savons que trop : on peut prier de manière machinale. On peut dire les mots en pensant à tout autre chose. On peut réciter des formules, originales ou usées, neuves ou désuètes. N’est-il pas assez fréquent que jusque dans le culte, des formules soient si conventionnelles que nous n’arrivons plus à les habiter avec notre vie? Que dans nos chants, des paroles nous semblent si mièvres, ou artificielles, que nous n’arrivons pas à les faire nôtres?
Pour être prière, pour être chemin, les mots ont surtout besoin d’une âme.
Et l’âme des mots de la prière, c’est la foi. Pas la foi intellectuelle, pas la foi qui est « ce (à) que je crois ». L’âme des mots de la prière, c’est un élan. Un élan qui suscite une initiative. Cet élan, Jésus le résume en trois verbes. Demander. Chercher. Frapper. Avec confiance. La confiance que l’on recevra. La confiance que l’on trouvera. La confiance que l’on nous ouvrira.
La confiance était l’âme de la prière de Jésus. Sa confiance ne reposait pas sur une théorie, une conception religieuse, une pensée théologique. Le fondement de la confiance qui était l’âme de sa prière, il nous le livre d’une manière presque naïve dans une phrase toute simple. Une phrase à son image, comme il faisait toujours. Une phrase accessible à tous, qui fait appel au bon sens : si nous, qui sommes loin d’être parfaits, savons donner de bonnes choses à nos enfants, combien plus notre Père du ciel donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux et celles qui le lui demandent?
C’est justement à l’Esprit-Saint que Paul fait appel pour parler de la prière dans le texte que nous venons d’entendre. À la différence de Jésus, Paul parle abondamment de sa prière. Mieux, il n’y a pratiquement pas une de ses lettres dans laquelle il ne prie pas. Il bénit. Il rend grâce. Il admire. Il confie.
Lui aussi, c’était un priant.
Et nous aussi, n’est-ce pas?
Même si nous nous sentons plus souvent qu’autrement novices, même si nous pourrions souvent nous couler dans les mots des disciples : « Seigneur, apprends-nous à prier. »
Permettez-moi de vous offrir trois clés qui sont peut-être déjà dans votre trousseau. Ce sera une dose de rappel, si l’on veut.
Voici la première : c’est en priant qu’on apprend à prier. Les mots que nous recevons de la tradition, et singulièrement les mots du Notre Père, ne sont pas un point d’arrivée, mais un point de départ. Une rampe de lancement. Les mots du Notre Père, comme les mots des psaumes, sont des portes et des fenêtres. Par eux, nous pouvons échapper à notre solitude. Mais ils sont tout autant des portes et des fenêtres par lesquelles l’Esprit entre et vient vers nous. Prier de manière régulière, c’est garder grandes ouvertes ces portes et ces fenêtres par où peut s’effectuer la rencontre.
La deuxième clé, c’est que les mots de la prière ont besoin de silence. Ils ont besoin de silence pour descendre en nous. Pour nous imprégner. Et pour nous conduire dans la présence. Nous n’avons pas seulement besoin de silence et de recueillement pour prier : nous avons besoin de laisser les mots se déposer. C’est difficile dans la prière communautaire de respecter le rythme de chacun. Mais dans la prière personnelle, il faut savoir donner aux mots la chance de percoler jusqu’à notre âme.
La troisième clé, c’est d’apprendre à parler à Dieu. Entrer dans le jeu du « tu » et du « je » (ou du « nous »), du « toi » et du « moi » (ou du « nous »). Quelle différence entre dire « Le Seigneur est bon, sa fidélité est éternelle, il veille toujours sur chacune et chacun nous, il pardonne toutes nos fautes » et dire : « Seigneur, tu es bon! Ta fidélité est éternelle! Tu veilles toujours sur chacune et chacun de nous. Tu pardonnes toutes mes fautes. » On peut sans doute dire « Demandons à Dieu d’accompagner telle personne dans son épreuve ». Mais quelle différence de dire : « Seigneur, accompagne cette personne dans son épreuve. »
Alors voilà. Jésus nous a donné des mots, mais il nous a surtout donné l’âme des mots, à savoir la confiance. Soutenus par la musique, entrons pour un moment dans le silence. Et renouvelons notre désir d’avancer de manière régulière par le chemin de la prière vers la rencontre de Celui qui se tient dans le fond de notre être. Qui y est notre hôte. Et qui y est chez lui. Confiants en sa présence, demandons. Cherchons. Frappons. Amen.
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